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Rencontres de Bamako 2022, chapitre 4 : Mémorial Modibo Keita

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Rencontres de Bamako, chapitre 4 – Demeure faite de plumes d’ange déchu

Les Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie livrent une édition 2022 de haut vol, centrée sur « sur la multiplicité, la différence, le devenir et le patrimoine ». Notre correspondant Arthur Dayras raconte la quatrième exposition organisée au Memorial Modibo Keita.

Les amoureux du verbe d’Aimé Césaire auront reconnu les vers tirés d’Aimé Césaire et son poème Défaire et refaire le soleil. Ils sont placés en exergue de chaque exposition. Césaire vient indiquer l’orientation, le rythme, la course de la poésie de chaque exposition. « Lorsque nous arrivons à cet endroit du poème, chacun est déjà traversé par les contentions de l’histoire et les ambiguïtés de l’existence ».

Ce quatrième volet est abrité dans le Mémorial Modibo Keita, figure de l’indépendance du Mali obtenue en 1960, premier président de la république malienne et chantre du panafricanisme. L’exposition qui se tient au mémorial trouve une résonnance avec mémoire dans certains gestes artistiques présentés et dans la continuité du verbe de Césaire. La phrase de Césaire citée en exergue de l’exposition évoque la chute d’un être céleste. Tandazani Dhlakama revient dans le catalogue de la Biennale sur ce poème profondément métaphorique, comme l’est l’œuvre de Césaire.

« J’imagine que pour que des êtres divins aient perdu leurs ‘’plumes’’, il a dû y avoir une sacrée bagarre dans le ciel. Nos anges invisibles ont dû charger avec vigueur, se battant en notre nom dans des espaces métaphysiques inconnus. Qu’ils en sortent victorieux ou vaincus, la trace à laquelle Césaire nous renvoie est une plume déchue. Savoir qu’elle est tombée du ciel, et qu’elle n’a pas été placée intentionnellement signifie qu’elle a probablement tourbillonné jusqu’à terre. Bien que son monde ait été instable, Césaire a dû jouir de quelques instants pour s’arrêter, regarder et réfléchir alors que la plume d’ange tombait ».

La 13e édition des Rencontres de Bamako se distingue particulièrement pour cette habilité à relier ses expositions à plusieurs pensées. Les niveaux de lecture sont multiples. On peut y voir artiste après artiste, des gestes artistiques individuels et autonomes. On peut y trouver une pensée qui les unit, les oppose, les juxtapose, les contredit entre eux autour des axes forts de la biennale : les identités multiples, le patrimoine, le fragmentaire. Et l’on peut y voir, plus profond encore, une forme de dialogue poétique qui dépasse bien souvent le cadre de la photographie et de la vidéo.

On retrouve quelque chose de la poésie virevoltante de Césaire dans l’œuvre de Luvuyo Equiano Nyamose. L’artiste sud-africain capture la joie et les éclats des baigneurs du front de mer de Durban. Les plages de ce littoral étaient autrefois prisées des populations blanches sud-africaines avant qu’une vie sociale noire (ebishi) ne prenne possession des lieux autrefois ségrégés, du moins marqués socialement. On y trouve toute la simplicité des moments estivaux de bord de mer, ses foules indolentes et les éclaboussures d’enfants barbillonnant dans la mer. Ici, pour mal paraphraser notre poète, la demeure serait reprise aux plumes par les anges déchus.

Autre jeu aquatique avec les mises en scène oniriques de David Uzochukwu. Mare Monstrum/Drown in my magic raconte avec un imaginaire subtil, propre aux évocations, le mythe de la Méditerranée et ses traversées contemporaines, tristement tragiques. Sans tomber dans un pathos réaliste ni verser dans le style documentaire, David Uzochukwu se saisit bien plutôt de l’imaginaire des sirènes pour affronter le monstre de la mer. Le propos s’avère à la fois subtil et fantasque, et si l’on peut dire extrêmement bien pensé.

Il faut enfin dire un mot du collectif Association des Femmes Photographes du Mali (AFPM), composé des artistes Diabate, Tima Diallo, Oumou Diarra, Anna Landouré, Ramata Maiga, Mariam Niare, Abi Gail Sagarra, Nana Sangare, Awa Sidibé, Aminata Sissoko, Kane Sissoko et Oumou Traore. Celles-ci ont aménagé un minibus du réseau SOTRAMA en un studio photographique. Ces bus transportant quinze personnes sont reconnaissables entre tous pour leur décoration colorée singulière à chaque chauffeur et leur multitude, prompte à couvrir un réseau assez étendu sur Bamako. Ils sont devenus in extenso le symbole de cette ville, et dans un esprit de renversement, le collectif AFPM a transformé l’intérieur d’un de ces minibus pour y immortaliser ses habitants, leurs visages usés du quotidien, leurs espoirs et leurs pensées intérieures. Comme le dit Fatoumata Diabaté, « ces regards-là disent le Mali beaucoup plus fortement qu’un long discours. Ils sont les visages d’une époque comprimée entre l’espoir et le découragement ».

 

The Bamako Encounters 2022
Mémorial Modibo Keita
https://www.rencontres-bamako.org

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