2015 aura été le deuxième année où le Festival Planches-contacts a investi le bâtiment des Franciscaines et la dernière année où elle pouvait le faire avant que les travaux du futur hub culturel ne les rendent indisponibles. Rendez-vous pour l’ouverture en 2018 !
C’était aussi la première année de Marin Karmitz – le producteur, cinéaste et collectionneur – au Jury du concours des étudiants de Planches-contact. Première année également pour Aurélie Tisseyre qui représentait Jean-Jacques Naudet, directeur de la revue en ligne « L’œil de la photographie », grande première également pour Philippe Normand, le nouveau directeur du Festival, première aussi d’une nouvelle circulation du vernissage itinérant, commencé au Point de vue et finissant aux Franciscaines.
Sens de l’histoire, en quelque sorte, qui pointe vers l’avenir et a permis aux Deauvillais de profiter du cloître fleuri de roses et dans lequel le palmarès a été publié, devant le Christ XIX e, au beau visage de séducteur.
Les dix candidats – issus des écoles de photographie d’Arles, de Lausanne et de Londres – dont les productions étaient présentées dans La Chapelle, ont tiré le portrait de la ville. Avec un travail qui l’a emporté à la quasi unanimité du jury.
Il s’agit de l’installation parodique d’Anna Broujean déployant dans le petit espace d’exposition alloué à chaque étudiant l’incroyable bric à brac publicitaire d’un office du tourisme – avec ficus et pendule – vantant les charmes d’un Deauville burlesque, avec ses présentoirs bourrés de carte-com, de dépliants, de prospectus, de matériels promotionnels pour, par exemple, le Musée du coquillage ébréché, ou les affiches appelant au « jour où se cacher derrière son cheval » etc.
Cette interrogation sur le kitsch et les codes, sur le « cliché » touristique, soutenu par un travail photographique jouant, à la fois, sur les prises de vues originales mais aussi sur le réemploi et le détournement de photos existantes, signale, pour la première fois, l’irruption du rire dans la compétition. Est-ce le signe du triomphe de l’esprit « petit journal », de la dérision qui est aussi et d’abord la marque de cette génération de jeunes « digital natives » prompts à s’emparer des images et à les détourner ? Ce travail dont les œuvres multiples peuvent – comme un take away – être emportées par le visiteur, a séduit par la radicalité de son parti-pris conduit et développé avec fermeté jusqu’à son terme.
Second prix, (doté avec une constance et une fidélité à l esprit Deauville par Louis Roederer) – une première là encore -, celui du public, invité lui aussi à se prononcer sur les productions des élèves. C’est le londonien Carl Bigmore qui rafle la mise avec son très subtil « last horse on the sand », inspiré d’un poème d’Apollinaire. Cadrages alternant les intérieurs nuits et les extérieurs jours, vues de détail et vue panoramique, c’est un regard très cinématographique porté sur un Deauville secret et saturnien, à l’image de ce manoir éclairé d’une lumière d’aurore.
Le « samedi plage » de Coline Amos (Lausanne) éclairait, avec jubilation, un Deauville d’aujourd’hui, en rupture avec les clichés d’une plage bourgeoise exclusivement blanche. Ces quelques portraits couleurs d’adolescents noirs, posant devant les parasols polychromes des Planches, donnaient à voir une plage ouverte, rendez-vous de la France de demain. Un tirage sur serviette de bain relevait l’accrochage d’un clin d ‘œil parodique en renvoyant l’image de la plage à la plage elle-même.
Chaque étudiant raconte une histoire, mais celle qu’a choisie Marguerite Bornhauser (Arles) et qu’elle a intitulée 8, a frappé les esprits. C’est l’histoire, à peine croyable, de Francoise Sagan et de son installation à Deauville – trop longue pour être résumée ici – et qui tourne autour du hasard…Le travail sur la couleur, portée à sa plus grande intensité, la traque du 8, cette sorte de code-clé du mystère Sagan inscrivait ainsi la part d’irrationnel qui habite cette ville de casino.
La série Sleepy Jack Rose, de Jacques-Aurélien Brun tentait de capter ce moment incertain, encore alcoolisé, d’un after matinal, sur la plage, entre sidération et lassitude. Portrait non pas d’un espace mais d’un moment, d’un état intermédiaire où tout est étrange et ouaté, où tout ce qui est familier devient dérangeant.
Younes Klouche (Lausanne) a marqué par le choix qu’il a fait de produire quelques tirages prisonniers d’une épaisse couche de verre. Sa variation sur la fortune, sur l’or, sur les pommes surfait sur le cliché politique d’une cité de riches et de conservateurs. Au risque peut-être de la simplification.
Le travail de Kos, cette jeune femme (Londres), qui a décidé d’entrer dans Deauville au prisme d’un souvenir personnel, a pu toucher par sa dimension autobiographique, où la photo, comme une suite d’impressions diffuses, tente de fouiller les clairs obscurs de la mémoire. Regard démystificateur sur une histoire d’amour passée ? Les paysages de cette romance s’avèrent être des « faux » paysages où un rivage naît d’un détail de fenêtre ou d’un mur travaillé par la corrosion.
Ryan Nell (Londres) avec son « avant la tempête », avouait n’avoir jamais entendu parler de Deauville avant d’y séjourner. Ainsi a-t-il choisi de représenter non pas la ville mais l’approche du lieu, cet « avant » qui ignore la différence entre ce qu’il faut voir et ce qu’il y a à voir. Cette progression vers la révélation a engendré un regard précautionneux de poète. Incarné notamment dans deux images d’une grande beauté. Une contre-plongée sur le Christ du cloître des franciscaines, aspiration au ciel. Et une vue en plongée sur le sable de la plage. Mais entre ciel et sable, paraissent une araignée et un pigeon. Dialogue avec les animaux, premiers êtres vivants auxquels celui qui ne connaît pas les lieux et ne parle pas la langue choisit de s’adresser.
Les images psychédéliques de Jean Vincent Simonet, traitées au filtre infra-rouge pour certaines, mêlent quant à elles photo et peinture en jouant de la référence à l’esthétique « pop ». Le livre qui accompagne l’accrochage – comme pour la plupart des travaux – complète et ajoute une densité particulière au propos.
Les images de Myriam Stanke (Londres) explorent un beau inconnu – comme cette image de court de tennis envahi par une végétation tropicale…
Comme toutes les années de transition du Festival, les articulations de ce grand corps qui grandit ont grincé. Nouveaux lieux, nouvelles personnalités, nouveau prix etc. Une des discussions se concentrant notamment sur la question de la commande faite aux jeunes photographes. Faut-il exclure, dans le rendu, le livre pour privilégier le mur – surface plus universelle de l’exposition des travaux ? Faut-il donner la parole aux étudiants – au risque de favoriser les orateurs, ou de desservir l’œuvre ? Beaucoup d’échanges qui témoignent d’un art photographique qui ne cesse de se chercher entre art plastique, art d’installation, art multimédia etc
Thierry Grillet
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