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Paris : Taryn Simon au Jeu de Paume

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Jusqu’au 17 mai, le Jeu de Paume consacre une rétrospective à la photographe new-yorkaise Taryn Simon, qui vient de fêter ses quarante ans. On avait pu découvrir sa démarche en 2010 à Arles alors qu’elle y recevait le prix Découverte, une sélection d’artistes qui, cette année-là, avait soulevé moult interrogations sur l’évolution de la photographie et du festival.

Dans les séries présentées à Paris, Taryn Simon relie deux pôles, images et textes, et explore la complexité du monde en un inventaire d’une minutie qui dérange.
Ses recherches et démarches la classe comme artiste de “l’après-11 septembre”, et c’est en 2002 qu’elle présente pour la première fois The Innocent, série initialement commandée par le New York Times Magazine : une galerie de portraits de condamnés à tort, ayant purgés parfois de longues peines de prisons, avant d’être innocentés puis libérés grâce aux tests ADN.
Tous photographiés et réintégrés dans la scène du crime ou sur le lieu de leur arrestation, la réalité et la fiction se brouillent dans l’esprit du regardeur, le doute s’immisce. Les photographier là où le crime a été perpétré, là où certains n’ont même jamais mis les pieds, c’est là que réside toute la radicalité de la démarche puisque les voilà liés pour toujours à cette histoire.
Ce qui fascine Taryn Simon dans le pouvoir inhérent de la photographie, c’est qu’il peut à la fois lever l’ambiguité et la certitude. Car dans ces affaires mises en lumière,  l’erreur fatidique est basée sur une identification via des photographies présentées aux témoins par les services de police.
Ainsi Taryn Simon formule ici un questionnement sur le rôle du dispositif photographique, sur  les dangers d’une mauvaise interprétation de l’image. Elle insiste sur la méprise qui s’insinue dans l’esprit du témoin à la vue de différentes images d’un homme ressemblant à l’agresseur qu’on lui soumet (Polaroids, photographie d’identification d’archives policières) puis qui l’aperçoit de nouveau dans un “tapissage” (scène d’identification de suspects aligné). Cette photographie devient alors pour le témoin le référent en lieu et place de la scène réelle du crime.

Plus loin, la série A Living Man Declared Dead and Other Chapters, présentée en triptyques et exposée il y a deux ans à la Tate, explore les lignées. On y découvre celle d’un Indien déclaré mort, d’une mère de famille de Srebenica dont les 4 enfants ont été tués ou encore celle d’un conseiller personnel d’Adolf Hitler.
A gauche sont exposées les portraits des membres de la famille dans l’ordre de naissance, tel un arbre généalogique. Certaines cases resteront désespérément vides, du fait d’un décès ou d’un refus d’être photographié et associé à cette lignée. Dans la partie centrale de l’installation, les légendes des images et un résumé de leur situation. Enfin, à droite, comme un inventaire de “pièces à conviction” épinglé là pour alimenter la réflexion et documenter le récit.
C’est à un réel travail d’enquêteur que cette série a convoqué Taryn Simon à travers une vingtaine de pays durant quatre ans. Et c’est l’élaboration d’une formule rigoureuse, presque  mathématique capable de régir les histoires humaines que Taryn Simon  tente de proposer, où le texte a autant d’importance que l’image comme dans la plupart de ces projets.

D’ailleurs, on perçoit dans la série suivante, An American Index of the Hidden and Unfamiliar, la complémentarité du propos. Œuvres d’art accrochées dans les couloirs impersonnels d’une agence gouvernementale, jeune parturiente dans un fauteuil d’accouchement, tigre en cage dans un élevage sélectif, étude de corps en décomposition dans un complexe de médecine légale. On ne parle pas ici de lieux réputés inaccessibles mais plutôt de thématiques méconnus. Une grande partie du travail de Taryn Sinom qui reste totalement invisible et inquantifiable résulte surtout de l’obtention d’autorisation de photographier et de documenter. Ainsi, cinq jours à suivre une équipe du service des douanes de l’aéroport JFK à New York produisent  1075 portraits, dont une partie est exposée au Jeu de Paume dans un ordre rigoureusement minutieux.
Enfin, on finira la visite par son tout récent travail au cœur de la Bibliothèque publique de New York.
Plus d’un million de documents visuels répartis en 12 000 dossiers. La photographe en a sélectionné quelques-uns, les a étalés au sol, puis en a rephotographié le contenu. Sur chaque tirage grand format, des intitulés : cartes postales, piscines, autoroutes, le fameux “Vues arrières” qui donne son titre à l’exposition et en éclaire le propos, fesses de femmes, soldats américains et, dans une longue vitrine centrale, les demandes de documentation que reçoit l’institution : une approche visuelle d’un système de classement intemporelle qui préfigure les moteurs de recherche d’aujourd’hui avec l’utilisation de mots-clé qui vous plonge dans une multitude d’images qui n’ont parfois rien à voir les unes avec les autres.

EXPOSITION
Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de propagande extérieure, de Taryn Simon
Jusqu’au 17 mai 2015
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris

www.jeudepaume.org
http://tarynsimon.com/

 

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