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Paris Photo : Le Journal de Matthieu Wolmark

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Paris Photo n’a certainement jamais aussi bien porté son nom. Dans le sillage de cette foire mondiale où marchands, collectionneurs et conservateurs du monde entier se retrouvent pour l’évènement photographique de l’année, les axes, rues et arrière-cours de Paris se transforment chaque année en novembre comme autant de cimaises photographiques.

Mois de la Photo, Salon de la Photo, Photo OFF, Parcours Saint Germain, No Found, initiatives individuelles, expositions institutionnelles, vente aux enchères prestigieuses… On ne compte plus les centaines de vernissages, accrochages et présentations portés à cet art, cette technique, ce médium si jeune, à l’histoire pourtant si remplie. Des plaques de Daguerre aux tablettes digitales, l’invention de cet instrument étrange qui transforme le temps en images, a radicalement changé notre rapport au monde, à ce qui nous entoure, qu’il soit proche ou lointain.

C’est autour de cette idée du temps, de celui qui passe comme celui qui reste, de ce temps capté, choisi, travaillé par les photographes dans toute leur diversité de formats, de techniques ou d’expressions, que je me suis promené dans cette forêt d’œuvres et de regards, en collectant des images et les paroles de ceux qui les défendent, comme pour illustrer un journal de voyage imaginaire, et forcement parcellaire, de cette mémoire collectivement intime.

Gustave Le Gray et la Bohème scientifique chez Serge Plantureux

Par un heureux hasard, dans la première allée à l’entrée de Paris Photo, des photos sérigraphiées des années 60 de Niki de Saint Phalle regardent dans le blanc des yeux le bohème scientifique et reconnu de 110 ans son ainé, le fameux Gustave le Gray. L’historien bibliophile Serge Plantureux présentait un ensemble exceptionnel de seize portraits «de famille» où figurent ces amis, épouse et jeune muse que Le Gray prit vraisemblablement rue Vivienne, avec pour studio le balcon de son ami Auguste Mestral. Serge Plantureux s’est livré à une véritable enquête pour identifier ces plaques. Cette investigation, où l’histoire de l’art se mêle à l’histoire tout court, est relatée dans le numéro 1 d’un fort beau cahier de photographie, opportunément intitulé Nicéphore.

Connu pour ses daguerréotypes, ses paysages et portraits du monde, on oublie parfois que Le Gray, ayant fui les fonctions notariales pour se repaître des méandres de l’art photographique, fut l’inventeur du tirage papier. En 1850, le jeune homme publie une brochure (Traité pratique de photographie sur papier et sur verre) dans laquelle il décrit les différentes techniques photographiques et fait part de sa découverte du collodion, cet agent qui, utilisé de pair avec l’ammoniaque et le proto-sulfate de fer, permettait de tirer des épreuves sur papier presque immédiatement…

Penser qu’à cette époque, Le Gray organisait des ateliers d’expérimentations avec ses collègues et amis dandys laisse rêveur. D’autant plus lorsque l’on sait qu’il eut comme élève des grands noms de la photographie comme Nadar, Charles Nègre ou Maxime Du Camp. Ce qui m’a arrêté à l’intérieur de ce cabinet de curiosités est le portrait d’un musicien, Frederic Brisson, que l’on imagine aisément sortir tout droit du roman «Scènes de la vie de Bohème». Ce roman – qui instaura dans l’imaginaire collectif cette image de l’artiste pauvre, joyeux et excentrique qui inspira nombre d’artistes, de Puccini à Aznavour-, fut écrit, quel hasard, par Henry Murger en 1851.

Ce même Murger, qui, aux côtés d’Alexandre Dumas fils et autres figures artistiques emblématiques de l’époque, faisait partie du cercle de Le Gray… Plonger dans cette archéologie de la photographie est un délice car, en sus de la passion évidente qui anime Serge Plantureux, et de l’évocation poétique de ces plaques, il est amusant de pouvoir regarder ce portrait de Brisson et d’y reconnaître, derrière les atours et habits surannés, un regard, une posture, un visage que l’on pourrait croiser aujourd’hui au détour d’un conservatoire ou d’une école de Beaux-Arts. Lorsque Le Gray capture sa femme, sa muse ou ses amis, ce même sentiment de proximité est présent. Malgré les années qui nous séparent de ces plaques, c’est étrangement leur côté familier, proche et humainement reconnaissable qui rend ces images si touchantes. Il est plaisant de penser qu’à travers les âges, et malgré le nombre de clichés qui nous séparent de Le Gray, nous restons encore et encore touchés par ces expressions d’humanité.

Les photographes anonymes et la danseuse Berlinoise

La galerie La Lumière des Roses présentait comme chaque année à Paris Photo sa récolte de photographies d’anonymes ou de photographes méconnus. Quel pari que de présenter des œuvres sans autre côte ni valeur que la qualité esthétique de leur composition, dans une foire commerciale où le nom reste le critère premier de la valeur.

Fort heureusement, l’enthousiasme contagieux de ces jeunes galeristes, leur réussit. A chaque passage, leur stand était rempli et les trois acolytes de cette aventure donnaient inlassablement informations et histoires des clichés. Après 8 ans d’existence, ils continuent de revenir à Paris Photo et s’estiment ravis de leurs ventes, comme de l’accueil des collectionneurs quant à leur démarche. Ici, le nom au dos ne compte pas, seule la qualité des images et l’histoire qu’elles racontent importent. Et ils excellent à partager cela.

Il est par exemple difficile de rester insensible à ce couple dansant, amoureux, comme s’ils jouaient pour eux-même une scène de Fellini. Il est par contre impossible de résister à la sensualité hypnotique de ce cliché montrant une danseuse Berlinoise des années 30, masquée, déhanchée, la poitrine offerte – ceci, autant par la qualité de son cadrage et de la lumière, que par son évocation des nuits sulfureusement joyeuses des cabarets allemands de l’entre-deux-guerre. Intérêt d’autant plus grand lorsque l’on apprend que ce cliché fut retrouvé dans les affaires d’une grand-mère catholique, stricte et dévote et que le photographe lui en fit don, à l’époque, directement…

Jan C Schlegel

Présenté par Berheimer, la très sérieuse galerie de Munich, le regard intense d’une fillette attire mon regard. Posé à même le sol, au dessous de guerriers et femmes aux peaux lustrées, la simplicité et l’énergie que dégage ce portrait, imposent le respect. Masrana, 13 ans, a été photographiée au Pakistan, à Kalashi, dans ses habits de tous les jours par Jan C Schlegel. Ce jeune photographe allemand parcoure le monde pour garder une trace des peuplades qu’il rencontre pendant ses voyages et de leur plus important joyau… les personnes elles-mêmes. Pour les mettre en valeur, il les photographie en noir et blanc et reprend chaque cliché à la main avec une recette connue de lui seul. A l’heure du tout photoshop, le procédé est inhabituel, mais le rendu exceptionnel, comme en dehors du temps.

Au fil des allées

Au fil des allées, je me suis laissé prendre par la beauté de Julia Duckworth, la future mère de Virgina Wolfe, croquée par Julia Margaret Cameron; me mis à rêver devant cette sculpture de Marc Aurele, capturée à Rome par Calvert Richard JONES (Hans P Krauss Jr); ai souhaité partager la douce sieste de Lilian, capturée par Adam Bartos pendant un trop court séjour en Afrique (Galerie Tom Gitterman). Je me suis arrêté devant un portrait en pied de Kate Moss qu’un photographe semble avoir voulu transformer en papier peint, et ai retrouvé la joie sauvage de De Niro en Taxi Driver dans les contacts précis de Shapiro (Camera Work). Je me suis interrogé sur les rapports entre art moderne et photographie sur le stand de galerie Westlicht (Vienne) qui présentait des oeuvres d’Araki et un ensemble particulièrement rare de la 6eme action de l’artiste Viennois Schwarzkogler photographié par Michael Epp.

Un tour d’horizon avec les jeunes conservateurs du FOMU

Profitant de leur présence à Paris Photo, j’ai demandé aux jeunes conservateurs du musée de la photographie d’Anvers de pointer quelques oeuvres qui leur avaient plu, non par leur importance dans un cadre muséographique, mais en tant qu’amateurs éclairés. Nous nous sommes retrouvés au VIP room pour en discuter, où armés de nos téléphones portables, appareils numériques et autres tablettes, nous avons échangé nos opinions et trouvailles. Comme je m’y attendais, ils avaient déniché des œuvres qui m’étaient passées sous le nez et ai décidé de suivre une partie de leur chemin pour en partager la qualité.

The Sochi Project

D’un commun accord, Tamara Berghmans, Rein Deslé et Joachim Naudts ont célébré The Sochi Project de Rob Hornstra et Arnold van Bruggen, présenté par la Galerie Flatland. Depuis 2009, Rob photographie, Arnold écrit, et ensemble, ils font le journal de Sochi en Russie. Ville meurtrie, délaissée, oubliée, Sochi accueillera en 2014 les Jeux Olympiques d’Hiver. Ils photographient les habitants dans leur habitat, leurs lieux de travail; ils dévoilent la dégradation de cette ex-cité balnéaire soviétique tombée en décrépitude, qui retrouvera pendant la durée des jeux un semblant de lustre… C’est pour montrer l’envers du décor, pour garder une trace de ces vies difficiles que les deux compères ont créé ce projet artistique et humaniste qui s’autofinance par le biais de ses fans. Livres, photos, éditions leur permettent d’inscrire leur travail et leurs relations avec les habitants dans la durée. Cette attitude de documentaristes donne à l’ensemble une épaisseur, une profondeur, dont les photos sont le clair reflet.

Tout aussi inattendue est l’attitude de la galerie Flatland elle-meme, qui consacre un pan de mur entier à ce qu’ils appellent avec humour la «take away exhibition»… Ce journal qui reprend les portraits et histoires des habitants de Sochi a été distribué gratuitement pendant Paris Photo. En moins de deux jours, ces quelques 5 000 exemplaires et bientôt collectors se sont envolés… Reste les exemplaires collés au mur pour montrer le projet dans son aspect le plus radical…

Quand je demande à la Galerie quel est leur intérêt financier à faire cela, ils me retournent un grand sourire et me confient qu’ils pensent qu’il faut suivre les artistes dans la durée et qu’ils aiment tant l’esprit que les oeuvres de ce projet. C’est pourquoi ils ont décidé d’y participer à leur manière, en tant que fan et galeriste…Ce n’est certainement pas par hasard que les conservateurs d’Anvers m’ont dirigé vers une galerie qui agit ici comme un mécène…

Mr One Roll a day

Un autre travail de photographe de rue est celui de Bruce Gilden, photographe de Magnum, qui a produit une série de portraits assez durs dans les faubourgs de Londres. Présenté dans le cadre de la carte blanche laissée aux Archives of Modern Conflict, ces portraits en noir et blanc accrochent l’oeil par la violence des regards qu’ils vous portent et le cadrage serré, encastré, dans lequel Gilden enferment les visages. Tamara Berghmans me racontait que Gilden prenait ses photos sans se soucier le moins du monde de la réaction des gens qu’il photographie. Par contre, il sait très bien ce qu’il fait et n’utilise pas plus d’une pellicule par jour. C’est certainement pour cela que se dégage de la série une impression de force, teintée de malaise, comme si nous étions aux premières loges, avec lui, avec eux, dans un monde sans issue.

Les jeux de Timm Rautert

Pour contrecarrer ces visions urbaines porteuses de violence, les trois conservateurs du FOMU me laissent respirer un air plus léger avec les clichés ludiques de Timm Rautert. Présentés par la galerie Parrota (Stuttgart), ces images prises dans les années 70 semblent doucement rigoler de tout, y compris d’elles-mêmes… A l’instar de cet avion dans l’avion ou de cette autre image où la main du photographe transforme le positif en négatif, le jour en contrejour… C’est amusant, rafraichissant et nous rappelle qu’il est parfois bon de ne pas tout prendre au sérieux.

Dave Heath ou le radical fait photographie.

Un enfant noir pleure en plusieurs tailles, en une longue séquence alignée dont la profondeur n’est pas immédiatement visible depuis les allées. Il faut s’en approcher pour en saisir la sensibilité et laisser l’oeil s’habituer à la profondeur des noirs et en découvrir la puissance.

«Ce David Heath là est mort en 1968», dit de lui-même le photographe en parlant de cette époque. Photographe engagé proche de la beat generation, Dave Heath est l’archétype même de l’artiste écorché. Abandonné par son père à 5 ans, par sa mère à 6, placé en orphelinat à 7 par ses grandsparents, Heath grandit dans un environnement que l’on aurait souhaité pour lui plus rose. Adolescent, il se rêva cartographe pour pouvoir sillonner le monde, jusqu’à ce qu’il tombe sur un numéro du magazine LOOK, où il découvrit la vie d’un jeune délinquant en photo. Marqué par l’émotion que ces images provoquèrent en lui, il décida de devenir photographe. Ce qu’il fit avec beaucoup de talent, comme le démontre les clichés présentés sur le salon. Un beau jour, après la publication de son livre, il décida de changer de voie et mit à la poubelle l’ensemble de ses négatifs à l’exception des 80 contacts qu’il avait utilisés pour la publication. Ce qui rend d’autant plus rare les clichés présentés sur le salon par Stephen Bugler, qui fut son élève et en parle avec autant de respect que de réelle passion.

Agnès B. et la collection.

La semaine dernière, une partie de la collection de photographies d’Agnès B. se reposait du brouhaha ambiant, au Salon de la Photographie. Calée tranquillement au fond de ce Hall de la Porte de Versailles, rempli de caméras, objectifs et logiciels de retouche dernier cri, cette reprise partielle d’une exposition de 1994 était l’occasion d’apprécier à sa juste valeur l’importance de l’accrochage, de la sélection à la disposition. Il est rare de voir un ensemble résonner avec autant de fluidité alors qu’il présente des clichés de formes, de dates et d’expressions qui couvrent l’ensemble du XXème siècle.

D’Atget à Martin Parr, de Lartigue à Hiett, en passant par tant de «géants» qu’il serait lassant de nommer sans les montrer, Agnès B., a su donner à l’ensemble une cohérence qui marque dès que l’on pose un pied dans l’exposition. A l’instar de cette splendide Caecilia de Steve Hiett, dont le visage se reflète en miroir sans que l’un nuise à la beauté de l’autre, chaque oeuvre présentée comporte un élément de discours fort, une patte d’artiste immédiatement identifiable, qui, grâce à l’intelligence de l’accrochage et la mixité de la collection, ne contredit pas ses voisins.

Lorsqu’Agnès B. ouvrit sa galerie en 1984, collectionner des photographies au même titre que la peinture n’était pas chose courante. La photographie en tant que telle n’était pas, de ses propres dires, considérée. Aussi collectionna-t-elle uniquement en fonction de ce qui la touchait, et peut-être aussi de ce qui l’inspirait. Styliste de renom formée aux Beaux-Arts, ce n’est certainement pas un hasard si nombre de ses choix, en plus d’une esthétique forte et marquée, semblent raconter une histoire de personnes. Comme cette image de Sergio Larrain, ou l’on voit deux fillettes marchant de dos dans Valparaiso en 1957, cette poissonnière immortalisée par Roberto Martinez entre 1982 et 1992, ou encore cette caissière estonienne prise par Martin Parr à Tallin en 1992. Sans oublier bien sûr, ce clin d’oeil amusé qu’Agnès B. se fait à elle-même, en mettant dans un coin ce cliché d’Atget qui montre au début du siècle une boutique de modiste place Saint Médard…

Penser, lorsque l’on est face à de telles oeuvres, que la photographie pouvait ne pas être pleinement considérée comme un art à part entière laisse songeur. Non seulement devant le chemin écoulé mais aussi devant le fait que c’était hier, il y a presque quarante ans.

Matthieu Wolmark, journaliste

http://www.nicephore.com
http://www.lumieredesroses.com
http://www.bernheimer.com
http://www.sunpictures.com
http://www.gittermangallery.com
http://www.camerawork.de
http://www.westlicht.com
http://www.fotomuseum.be
http://www.flatlandgallery.com
http://www.parrotta.de
http://www.bulgergallery.com
http://europe.agnesb.com/fr/

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