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Novembre : Les choix de la librairie de la MEP par Irène Attinger

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Une sélection par Irène Attinger d’ouvrages en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale et/ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale.

UMBRA,
VIVIANE SASSEN
Prestel, Munich / Londres / New York, 2015
Le nouveau livre de Viviane Sassen se concentre sur un thème commun à ses photographies : l’ombre (umbra en latin). Elle a peur de la mort depuis sa prime enfance africaine. « Mon père était médecin et, en Afrique, on côtoie plus facilement la mort. » Le livre présente des œuvres autonomes de Viviane Sassen où l’ombre peut être vue comme une métaphore de notre psyché. Les angoisses et les désirs, mais aussi l’imagination et l’illusion, intriguent et interpellent le spectateur. Le travail de Viviane Sassen est renommé pour son jeu habile entre le réalisme et l’abstraction. Cela se traduit, ici, par l’utilisation spectaculaire de lumières, d’ombres et de couleurs vives ainsi qu’au travers de la coupe adroite des images et des interventions sur les tirages. La façon dont Viviane Sassen trouble notre perception, en balançant entre réalisme et abstraction, crée une expérience visuelle fascinante et laisse le champ libre à différentes interprétations. Elle amène le spectateur à réfléchir sur ce qu’est le réalisme en photographie. Ce réalisme a, chez elle, des côtés spectaculaires et poétiques.
Viviane Sassen a invité l’écrivaine Maria Barnas a composer des poèmes qui sont insérés dans le pli de doubles-pages non coupées.

• LE DÉSERT RUSSE,
LJUBISA DANILOVIC
Editions lamaindonne, Marcillac-Vallon, 2015
Premier livre du photographe Ljubisa Danilovic, Le désert russe est une fiction photographique, une œuvre personnelle qui a pour décor la Russie enneigée et, pour prétexte, un désastre démographique annoncé. La démarche, à la fois poétique et documentaire, mêle impressions personnelles et identités visuelles de zones méconnues. Les photographies ouvrent les portes d’une région du bout du monde peuplée d’animaux étranges, de paysages vides où l’homme n’est souvent qu’une apparition fantomatique.
Ce livre est silencieux. C’est le livre d’un deuil, d’une interrogation, d’un questionnement sur soi-même. Le photographe a fait plusieurs voyages dans le célèbre transsibérien après le décès d’un de ses proches. Une période de sa vie finissait alors. Une autre allait sans doute s’ouvrir plus tard. Mais cet entre-deux, cette parenthèse est l’objet de ce livre. On accompagne le photographe dans un voyage personnel, un voyage solitaire, un voyage où le cours de la vie semble s’être arrêté… Les rencontres avec les humains prennent la forme de silhouettes muettes et quasi fantomatiques… Un voyage qui, partant du noir, avance vers un blanc toujours plus envahissant, les grands paysages russes de la Sibérie, pour enfin déboucher sur quelques visages qui semblent apparaître dans le brouillard. Un livre donnant à voir des photos qui, en montrant des paysages, des animaux ou des humains, nous parlent en fait des sentiments d’un homme…

FACE,
BRUCE GILDEN
Dewi Lewis Publishing, Londres, 2015
Même confrontées à d’autres œuvres de Bruce Gilden, les images de ce livre sont extrêmes : une série impitoyable de portraits plein cadre. Ce sont ceux des battus, des blessés de la vie elle-même, des gens pauvres, privés des droits civils et, dans quelques cas, retranchés dans l’alcoolisme ou la dépendance. De façon exceptionnelle, il a obtenu une autorisation de publication de tous ses sujets. Face est problématique, pourtant vous le regardez : un catalogue d’humains grotesques qui, affirme Chris Klatell dans un bref essai concluant le livre, est à la fois un geste politique (la reconnaissance des exclus) et un autoportrait soutenu de l’auteur.
« Voici les gens de Bruce Gilden, sa famille. Il partage leurs mauvaises dents, leurs barbes de trois jours, leurs écorchures, leurs défauts, leur crainte de la mort. Dans les froncements des sourcils des femmes, dans leurs coups d’œil très ambigus, il voit le visage de sa propre mère avant qu’elle ne se suicide. » [Chris Klatell]
D’autant que Face reste un catalogue implacable et cruel du genre de laideur à laquelle Bruce Gilden a été confronté enfant, témoin de scènes de conflit. Ici, la proximité de l’appareil photo et la lumière du flash accentuent tous les défauts des visages.
Ces visages cassés nous confrontent à ce dont d’habitude nos regards se détournent. Mais le style de Bruce Gilden semble aller à l’encontre de toute intention d’humaniser ses sujets. Chris Klatell affirme que Face est « le Facebook ou l’Instagram de Gilden ». Dans ce contexte, le livre devient « un réseau inversé, un réseau fantôme, un réseau de portraits que l’on ne voit jamais sur Facebook ». Le livre réplique à la pose lisse des images si faciles à marquer d’un « like » sur les médias sociaux, en résonance à la façon dont Emil Nolde, Max Beckmann ou George Grosz ont montré les « gueules cassées » de la première guerre mondiale. Il se veut un avertissement de ce qui peut nous attendre si nous fuyons toute empathie et « filtrons » ces images.
L’avertissement peut-il être entendu ? La réponse appartient à chacun de nous.

HUMANS AND OTHER ANIMALS,
ADAM BROOMBERG & OLIVER CHANARIN
Tate Publishing, Londres, 2015
Adam Broomberg et Oliver Chanarin sont des artistes connus surtout pour leur manière de fusionner photoreportage et art visuel. Ils produisent ainsi des interprétations provocatrices, ambiguës d’événements courants ou historiques. Là, dans leur premier livre destiné aux enfants, ils recourent à cette façon de regarder le monde pour proposer un abécédaire photographique espiègle et plein d’esprit. Humans and Other Animals a été produit en collaboration avec des étudiants et le personnel de l’école pour les enfants sourds Frank Barnes School for Deaf Children de Londres. L’utilisation du langage des signes britannique permet de créer des rapports inattendus entre la graphie de mots familiers et leurs significations en jouant sur des photographies en noir et blanc, le texte et des pages vivement colorées. Les artistes jouent ainsi avec la relation complexe entre l’image et le texte. Les images de Broomberg et Chanarin alternent ici avec des photographies tirées du Getty Archive de Londres. Ils proposent ainsi, à de jeunes lecteurs, une expérience alternative qui enseigne la manière d’écouter avec les yeux.

• LAGO,
RON JUDE
Mack, Londres, 2015
Dans Lago, Ron Jude retourne dans le désert californien de son enfance comme s’il était un enquêteur, mais c’est sa propre identité qu’il recherche. Au travers de 54 photographies prises entre 2011 et 2014, il tente de réconcilier tant les caprices de la mémoire que l’instabilité de la vision avec notre besoin latent de donner un sens narratif aux choses. Un lac asséché désolé devient le décor qui lui permet de se perdre dans les méandres du paysage aride qu’est son enfance, en prenant note de tout, de l’araignée venimeuse aux magazines pornographiques jetés là. Devant cette série d’images, comment ne pas penser à une sorte de code linguistique, aux khipus de la tradition andine ou aux pictographies amérindiennes. En cadrant ses images et en les assemblant, Ron Jude fait, en quelque sorte, de la cryptographie. Il met en pratique une archéologie poétique qui, plutôt que d’être déterminante, examine des motifs et des rythmes, de façon à suggérer du sens à partir de défauts d’élocution du monde tangible. Selon Ron Jude, « ces assortiments, quand on a la chance de les trouver, sont peut-être ce qui ressemble le plus à la découverte du « sens », et la compréhension de la puissance du lieu. »

CONGO COULEUR NUIT,
OSVALDE LEWAT
Éditions Phénix, Paris, 2015
Pour la série Congo Couleur Nuit, Osvalde Lewat tente de capter l’ambiance particulière de la nuit africaine, à Kinshasa, à Lubumbashi… Ici, la nuit est la matière première d’une œuvre plastique. La lumière qu’elle travaille est le plus souvent la lumière ténue et tremblante de la flamme. Cette dernière n’éclaire qu’une partie de la scène, Osvalde Lewat ne prétend pas nous livrer tous les mystères de cette nuit africaine. L’ocre, le jaune, le rouge occupent une place prépondérante, transpercés de couleurs plus vives, plus froides aussi. Les visages sont mystérieux, même lorsque s’y accroche un sourire. Les photographies de l’auteure dévoilent avec délicatesse et respect l’intériorité des hommes, femmes et enfants qui animent ces nuits. Une lumière émane de chaque corps, de chaque visage, de chaque sourire ou regard.
« Pour moi, cette petite lumière d’un bateau de pêche sur le lac Mwero, dans la nuit noire, évoque tout l’espoir que l’on trouve au Congo. Malgré l’ampleur des problèmes, cette lueur persiste. C’est elle qui m’intéresse ». [Osvalde Lewat]
Partie à la rencontre des gens ordinaires de Kinshasa ou Lubumbashi, elle en a retenu cette leçon : « À leurs côtés, j’ai réalisé à quel point l’Afrique a besoin d’images d’elle-même, d’images lucides ou fantasmées… » Les photos, qui ne sont pas légendées, laissent libre cours à l’interprétation, à la fantaisie du lecteur. Elles reflètent avant tout le regard de celle qui les a prises.

http://www.mep-fr.org

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