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Nicholas Nixon, l’harmonie des différences

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À Madrid, la fondation Mapfre organise une grande rétrospective du photographe américain Nicholas Nixon. Conçue par Carlos Gollonet, la rétrospective offre un regard complet depuis les premiers pas du photographe en 1970. Cinquante ans de carrière résumée en deux vastes salles, quelques murs, c’est le pari réussi de la fondation espagnole. Parmi ses séries, l’exposition restitue le travail de longue haleine de l’artiste sur l’intime et le temps.

On peut regarder la photographie de Nicholas Nixon comme on ouvre un dictionnaire. Dans un dictionnaire, on trouve tout un tas de définitions et lorsqu’enfin on tombe sur le mot souhaité, on comprend toute la dimension de ce mot. Sa connaissance nous est comme révélée.

La photographie de Nicholas Nixon est ainsi. Devant ses œuvres, des mots surgissent, simples, limités et si l’on pensait en connaître le sens, leur définition est comme agrandie. Elle s’étend, s’élargit, notre imaginaire du mot est grandi, sa nature transformée.

Un court exercice, individuel comme collectif, peut se révéler amusant : il faut tenter de qualifier en une seule phrase, une seule expression, voire un seul mot, une photographie, ou pire encore, une série photographique. L’exercice permet de tirer sur la racine de l’imaginaire, de comprendre comment s’articule langage et vision et traduit nos émotions devant l’œuvre. Dans l’exposition, certaines séries de Nixon se prêtent au jeu à merveille.

Dans Couples, Nixon a approché des années durant des couples d’âges, d’origines, de propositions et sexes différents. Il les a côtoyés au plus près, jusqu’à effleurer leurs peaux, dans les détails de l’intime, pores drues d’une barbe rasée, tétons vermillon et gonflés de désir, lèvres apposées avec douceur dans l’abandon de l’autre. Il s’est intéressé aux écorces, aux surfaces, aux frontières enchevêtrées de deux êtres et curieusement le mot qui (me) vient est celui d’intérieur. S’il fallait l’expliquer, devant chaque portrait, il vient la curieuse impression de voir l’intérieur de chacun se refléter sur l’autre.

L’intimité de sa photographie ne va pas sans un regard sur le temps. On a souvent parlé de sa série photographique la plus connue, The Brown Sisters. Mais l’on connaît moins les portraits que Nicholas Nixon a fait de sa femme et lui, de sa fille Clémentine et sa femme, de Clémentine et lui. Le temps qu’enregistre Nixon n’est pas nécessairement chronologique, même si l’on peut regarder ses séries comme une simple évolution de l’homme dans sa vie et parmi ses proches. Le temps peut aussi être celui des sentiments, de l’attachement sacré d’une mère et d’un père pour leur enfant – scène presque religieus (Bebe and I, Cambridge 1981), jusqu’à glisser vers l’imperturbable aboutissement d’une vie (Bebe and I, Savignac de Miremeont, France, 2011). Le fond de l’œil me paraît être l’expression la mieux trouvée. Dans leurs regards, il scintille sans discontinuer des mystères et l’on devine à peine ce qu’ils entendent par amour. Pourrait-on simplement connaître ce qui les unit ?

La série The Brown Sisters peut aussi se comprendre comme la plus parfaite illustration du temps et de l’intime photographiée par Nixon. Elle est la plus connue du photographe. La Fondation Mapfre l’a entièrement restituée sur un mur. Depuis 2009, Mapfre a acquis la série et a acheté depuis le portrait réalisé d’une année à l’autre par le photographe des quatre sœurs Brown.

La méthode de Nixon est simple. Pendant près de quarante ans il a photographié de l’extérieur ou de de l’intérieur les quatre sœurs Brown dans le même ordre. On reconnaît sa femme au milieu, la deuxième en partant de la gauche. Seules leurs postures changent.

On peut y voir l’âge qui courre, les différences creusées par le grand âge, les caractères propres à chacune, les tragédies qui unissent et défont. On peut lire la série comme une réflexion anthropologique, s’attacher aux modes vestimentaires comme aux coupes de cheveux. On peut enfin faire mille suppositions quant aux états d’âmes de chacune et à leurs relations. Une harmonie des différences, expression de Kamasi Washington, voilà qui qualifierait le mieux ces portraits de quatre sœurs.

Parmi d’autres séries merveilleuses, il y a l’attention que Nixon porte à la vulnérabilité des malades. Cet aspect du travail de Nixon est peu connu. Il est l’un des plus puissants réalisés par le photographe. Pendant des années, Nixon a souhaité montrer le déclin autant que l’humanité de quinze patients touchés par des maladies physiques ou mentales. Il les a suivis dans leur vie quotidienne, à l’hôpital, dans leurs luttes, leurs abandons, leur courage. Un sujet bouleversant de compassion.

 

Arthur Dayras

Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.

 

Nicholas Nixon
Du 14 septembre 2017 au 07 janvier 2018
Fondation MAPFRE
Paseo de recoletos, 23
28004 Madrid
Espagne

Plus d’informations sur le site.

 

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