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Newsha Takavolian, I know why the rebel sings

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Newsha Tavakolian est née à Téhéran en 1981. Elle découvre le médium photographique à 16 ans et s’engage alors dans une carrière de photographe-reporter. En 1999, elle couvre le soulèvement étudiant en Iran, en 2002 la guerre en Irak ainsi que plusieurs conflits régionaux. Elle a su s’imposer en tant que photojournaliste et collabore aux grands magazines comme Newsweek, The New York Times, Stern, Der Spiegel ou Le Monde. Son attachement à son pays est fort et complexe. En 2009, elle couvre l’élection présidentielle iranienne qui se termine dans le chaos et qui l’emmène à mettre de côté temporairement son activité photo journalistique. Sa photographie glisse alors vers une forme plus suggérée et éminemment poétique. Elle expose dans de prestigieuses galeries et institutions muséales. Co- commissaire de l’exposition Iran. Année 38. La photographie iranienne contemporaine depuis la révolution de 1979 présentée aux Rencontres d’Arles en 2017, elle dit clairement comment elle cisèle peu à peu son écriture et comment, dans son viseur, l’intime est politique. « J’ai appris à dire ce que je pensais à travers mes photos en maniant l’ambiguïté, sans être jamais explicite. Il a fallu beaucoup d’entraînement pour y arriver. Ce nouveau langage est devenu ma signature. On le décèle aussi dans les clichés que je prends à l’extérieur de l’Iran.» (catalogue de l’exposition. Éditions Textuel. 2017). Newsha Tavakolian s’inscrit dans la lignée de réalisateurs et artistes persans contournant et modelant la contrainte et l’interdit pour faire œuvre.

C’est ce choix assumé qui est le fil rouge de cette exposition mulhousienne. Elle présente dans une scénographie originale, les séries photographiques, installations sonores et vidéos consacrées à la jeunesse de Téhéran (Blank pages et Look), aux combattantes du Kurdistan irakien en Syrie (Ocalan’s Angels), aux femmes des FARC en Colombie, aux chanteuses iraniennes face aux interdits (Listen), à une victime yazedi (A Thousand Words for a Picture I Never Took). Face à chacune de ces installations, le regardant doit fournir un effort d’attention et faire preuve d’insistance car le point de vue ne se donne pas immédiatement et déborde parfois l’image seule.

Donner voix

La photographie est un art silencieux. Pourtant les compositions visuelles de Newsha Tavakolian charrient des mots, des sons. Henri Cartier Bresson évoquait l’art du portrait comme « le silence intérieur d’une victime consentante ». Les portraits de Newsha Tavakolian expriment au contraire des cris retenus ou des chants étouffés. Cette thématique de l’expression contrariée est au cœur du travail de l’artiste. Listen propose un regard sur les femmes chanteuses qui en Iran n’ont pas le droit de se produire seules sur scène ou de sortir des albums en raison de la règlementation islamique en vigueur depuis la révolution de 1979. « Pour moi (dit Newsha Tavakolian), la voix d’une femme représente un pouvoir ; si vous la taisez, la société entière se trouve déséquilibrée et tout est déformé. Le projet Listen fait écho aux voix de ces femmes réduites au silence. J’ai laissé des chanteuses iraniennes se produire devant mon objectif alors que le monde ne les avait jamais entendues. » Ses photographies suggèrent qu’un lien, ténu, entre ces deux moyens d’expression, le son et la photographie, est tangible et elle parvient à le formaliser visuellement. Et quand il n’est plus possible de photographier, d’user de son appareil car le sujet l’impose, la voix de la photographe prend le relais pour nous dire en mille mots la rencontre avec une toute jeune fille yazidi revenue de l’enfer (A Thousand Words for a Picture I Never Took). L’artiste crée une installation qui évoque la Chapelle Rothko, plaçant le visiteur face à un tirage monochrome alors que la voix d’une comédienne nous fait le récit de cette prise de vue échouée et interroge les limites de l’acte photographique.

Portraits funambules

La plupart des séries photographiques ici présentées mettent le regardant face à de saisissants portraits qui hésitent entre la figure allégorique et une présence dense au bord de s’animer. Les êtres capturés par Newsha Tavakolian se situent dans un fragile entre- deux. Dans ses installations, elle travaille une transition sensible en mêlant images fixes et images animées. Dans le projet Look elle invite ses voisins à poser dans son appartement transformé en studio, et réalise dans un même cadrage et sans romantisme, des portraits animés de cette génération confinée. Le spectateur devient voyeur de scénettes introspectives. Les images des femmes au combat témoignent de la même proximité frémissante, capturée avec délicatesse. Affleure une intimité qui dévoile la complexité d’un engagement et parfois une survivante derrière l’uniforme guerrier. C’est le cas de ces rebelles des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) dans la jungle colombienne et des « anges » peshmerga. La photographe manie l’art pictural du clair-obscur dans ses portrait mais une touche colorée nous ramène souvent à une réalité plus prégnante où une désacralisation annoncée de la figure allégorique, l’objet fétiche (peluche, foulard, vernis à ongle, bijou, soutien- gorge), redimensionne le portrait de façon documentaire.

« Telle une danseuse sur la corde raide, je parcours cette métropole, prête à tomber au moindre faux pas » se confie Somayeh dans la série Blank pages. N’est-ce pas aussi de cette façon que Newsha Tavakolian produit ses images, modèle son écriture, et fait faire un pas de côté à la photographie documentaire, en photographe-funambule habile, précise, engagée et poétique ? La Grâce pour dire la Pesanteur du monde.

Emmanuelle Hascoët

 

Newsha Takavolian, I know why the rebel sings
Jusqu’au 17 février 2019
La Filature, Scène nationale
20 allée Nathan Katz
68100 Mulhouse

http://www.lafilature.org/spectacle/saison-18-19-2/

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