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Muntadas: Images sans frontières

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Comme il se doit d’un artiste multimédia à géométrie et à géographie variables (« vit où il travaille et travaille où il vit », selon ses dires), Antoni Muntadas ne rentre pas facilement dans les cases. De la rue au musée, en passant par la télé ou le web (et sans oublier les nombreuses écoles et universités où il enseigne régulièrement), tous les espaces sont bons pour bousculer les idées et les images reçues.

Mais comment qualifier cet homme-orchestre jouant tour à tour de la photo, de la vidéo, du film, du graphisme… ? En une phrase (la sienne) : « Traducteur en images de ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui ».

Muntadas : Dans les années 1970, quand il était plus difficile pour moi de faire comprendre le travail, je disais qu’il y avait trois cercles – peut-être je te l’ai dit 50 fois, mais ça sert encore – l’art, les sciences sociales et le système de communication. Évidemment, c’est plus complexe : l’art, c’est lié à la pensée, les sciences sociales à la politique, la communication à l’économie. Mais la superposition des trois définit l’espace qui leur est commun. Il y a des gens du milieu de l’art qui disent, « Ah, Muntadas, ton travail est trop sociologique », ou d’autres qui disent, « Ton travail est sur les médias ». Oui, d’accord, mais je crois que c’est notre paysage. Les gens aiment voir les choses sépares, et moi, je les vois ensemble. 

C’est vrai aussi par rapport à tes utilisations des différents médias dès le début de ton travail – image fixe, image animée, son… Mais pour reprendre la question que tu as posée il y a une trentaine d’années – sur un panneau publicitaire – avec le projet Media Eyes (1981) : « Que regardons-nous ? »

Je dis toujours que je n’invente rien : tout existe. Ce que j’apporte, c’est un regard personnel sur des choses que je contextualise, ou recontextualise, ou que je juxtapose ou confronte, que je déconstruis et construit. Ce sont tous des dispositifs qui m’aident à questionner l’image et à voir comment sa représentation se fait. 
Mais le point d’origine, c’est toujours des choses qui existent. Je ne suis pas un faiseur d’objets mais plutôt un faiseur de systèmes pour construire des formes de compréhension. La méthodologie des projets me permet d’engager un processus dans le temps et pour moi, c’est important. Je ne peux pas travailler rapidement, je dois digérer les choses, les comprendre. C’est clair que quand tu consacres du temps à un projet, tu es bien  critique.
Pour te donner un exemple : dans les années 1977-78, après avoir passée des années à chercher « l’objectivité », j’ai fait un travail sur les photos de Life Magazine intitulé On Subjectivity. Il s’agissait d’accepter la subjectivité, mais une subjectivité critique. J’ai sélectionné cinquante photographies de Life, à partir du livre The Best of Life (1973), pour que ce soient des photos très intéressantes, prises par de bons photographes, puis j’ai demandé à cent personnes d’horizons très différents d’écrire des légendes. Le livre qui en est issu, On Subjectivity (1978), montre cinquante photos, chacune accompagnée de cinq légendes très diverses. Finalement, ce qu’on trouve, c’est qu’il y a de la subjectivé non seulement du côté des informations elles-mêmes, mais aussi à partir du contexte ou de la culture de ceux qui regardent.

C’est toute l’idée derrière la série de projets que tu réalises depuis 1995 sous le titre générique « On Translation », où tu fais ressortir des « filtres » interprétatifs qui entourent les archétypes du pouvoir, du savoir ou de la vie quotidienne (tels les Jeux Olympiques, la ville, la salle de presse, le musée, la librairie ou la signalétique des toilettes homme et femme…).

Oui, d’une certaine manière, mon travail est toujours sur la traduction. Même Between the Frames (1983-1992 [une vaste enquête à base d’entretiens vidéo avec des acteurs majeurs du milieu de l’art]), anticipe l’approche de « On Translation ».

On pourrait dire qu’il n’y a rien comme un changement de pays et de langues pour aiguiser le regard sur cette question. Ta bio lapidaire – « né à Barcelone en 1942, installé à New York depuis 1971 » – fait ressorti quand même quelques-unes des multiples dimensions de ta propre culture : catalane, espagnole, new-yorkaise… D’ailleurs, tu avais fait des études d’ingénierie industrielle à Barcelone.

J’ai étudié à l’Escuela de Ingenieros Industriales mais je faisais de la peinture en même temps.

Qu’est-ce qui t’a amené à New York ?

3p : personnel, professionnel, politique.

Là-bas, tu es passé par une école d’art, le Pratt Institute…

Oui, mais pas en tant qu’étudiant. J’ai eu une bourse et j’ai été affecté au Pratt Graphic Center, pour les estampes. J’y travaillais comme moniteur.

Par la suite, l’enseignement est devenu très important dans ton travail.

J’ai commencé à donner des conférences en 1975, le premier poste de chercheur au MIT, au Center for Advanced Visual Studies. C’était en 1977. Mais j’avais déjà gagné ma vie en faisant des visites guidées des expositions.

A New York ?

Oui, au Metropolitan Museum. Puis j’y étais intervenant dans un programme éducatif, « Art Awareness ». Tous mes projets « sensoriels » sur le toucher, sur l’odorat, je les ai appliqués au musée. Je travaillais avec des jeunes venus de Harlem et de Brooklyn, on se trouvait au musée où ils pouvaient, par exemple, toucher les sculptures avec les yeux bandés.

On n’en parle jamais.

Non, mais c’était vital pour moi, de voir comment ce travail sensoriel pouvait être appliqué. Je considère mon travail comme une série de prototypes. Un autre prototype, c’était Cadaqués Canal Local, l’émission de télévision qu’on a faite en 1974, parce qu’il y avait seulement une chaîne de télé en Espagne à cette époque. [Il s’agissait de reportages vidéo diffusés dans des bars et au casino… jusqu’à l’arrivée d’un télégramme du Ministère de l’intérieur mettant fin au projet.]

Chaque fois que je lis quelque chose comme « C’est le plus grand artiste conceptuel espagnol », je me dis que c’est un peu réducteur. Là, tu rectifies le tir.

Les gens me disent, « Mais ton travail, c’est toujours critique ! ». Je réponds, « Oui, critique, mais parfois il faut chercher un alternatif. » La télévision qu’on a faite à Cadaqués est devenue un prototype pour toute la télévision locale en Catalogne. Ils ont vu que c’était possible de le faire. Moi, je ne me suis jamais intéressé à le continuer, je fais des prototypes.

Ça explique ton travail avec les étudiants un peu partout dans le monde.

Et aussi que le travail continue.

Justement, le travail continue depuis 40 ans. Mais comment éviter ce piège qu’on voit chez beaucoup d’artistes qui, comme l’a écrit quelque part Robert Delpire, finissent par faire des photocopies d’eux-mêmes ?

J’ai peut-être une réponse : je rejette l’idée de style parce que je trouve que c’est une construction formelle qui se répète. Par contre, je défends l’idée de discours, parce que c’est la liaison entre les œuvres. Le style, c’est une façon de lier les œuvres, mais d’une manière formaliste, tandis que le discours, c’est l’union de toutes ces « constellations » thématiques qu’on a réunies dans l’exposition « Entre/Between ».

Mais comment arrives-tu aux différentes « traductions en images » de tes recherches ? Qu’est-ce qui fait que tu utilises la photo plutôt que la vidéo, ou un panneau publicitaire plutôt qu’un livre d’artiste, ou vice versa ?

D’abord il y a toujours les outils d’analyse : une enquête, un dispositif de relations, un travail sur le terrain, du brainstorming, du dialogue… Pour chaque projet, il y a des éléments divers qui construisent un tissu : des photos que je fais, des photos qui existent déjà, des collages de photos, du son, de l’architecture, etc. C’est selon les besoins du projet. Parfois une image seule ne marche pas, il faut une série d’éléments. Parfois ce sont des médias différents qui s’y intègrent pour montrer des aspects différents, pour exprimer sa complexité. En s’étalant dans le temps, le projet se fait de façon organique, les choses se décident. C’est à partir du processus que j’arrive à une conclusion. Ce n’est jamais un travail mécanique.

Miriam Rosen
Visuels Courtesy Muntadas et Andrea Nacach

EXPOSITION 
« Muntadas. Entre/Between »
Jusqu’au 20 janvier 2013
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris France
+33 (0)1 47 03 12 50 

Mercredi-dimanche 11-19h 
Mardi nocturne jusqu’à 21h

ITINÉRANCE
Du 2 novembre 2013 au 2 février 2014
Vancouver Art Gallery
750 Hornby Street
Vancouver BC V6Z 2H7
Canada

CATALOGUE 
“Muntadas. Entre/Between” 

Textes de Daina Augaitis (commissaire), Eugeni Bonet, Jo-Anne Birnie Danzker, Ina Bloom, Marcelo Exposito et Gerald Raunig, Brian Wallis, Judith Revel, Marc Augé, Simon Marchan Fiz, Iris Dressler, Emily Apter, Raymond Bellour, Octavi Rofes, Lise Ott, Sven Spieker, Anne-Marie Duguet, Mary Anne Staniszewski. 

Disponible en espagnol et anglais + livret des textes en français

Coédition Actar/Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia/éditions du Jeu de Paume 

304 pages + 80 pages (livret), 20x28cm, broché
48 €

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