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Moscou 2012 –Sergei Shestakov

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Contrairement à ce qu’indique le titre – un peu sec – de l’exposition, à l’arrêt n°2, personne ne descend. Car tout le monde est parti. Depuis longtemps. Fasciné par les villes mortes, Sergei Shestakov a voyagé jusqu’en Tchoukotka (Extrême-Orient, en face de l’Alaska) pour y chercher un futur bien peu enviable. Et qui correspond plutôt à un passé oublié : une ville toute entière abandonnée par les autorités soviétiques au sortir de la Guerre Froide. Une vingtaine de grands tirages couleur montrant une succession d’immeubles cages à lapin aux murs lépreux, aux vitres brisées, vides depuis des décennies. Les couleurs de la végétation locale, pas franchement vives, ont glissées sur la peau des constructions humaines. Ce sont les couleurs de la toundra septentrionale. Marron, vert foncé, quelques taches jaune sale. Au-delà du cercle polaire, le climat est d’une agressivité totale. Sergei Shestakov a eu le bon sens de s’y rendre durant le très court été. A un jour près, c’est déjà l’automne… Et le surlendemain, l’hiver recouvrant tout de son manteau uniformément blanc.
 
De 1958 à 1986, la ville de Goudyn hébergeait des milliers de militaires veillant sur une batterie de missiles intercontinentaux nucléaires braqués sur les USA (les fameux SS-20 dont le nom fait encore frissonner les plus de 40 ans). Ce sont aussi des bâtiments militaires, des radars immenses et rouillés, des souterrains titanesques et des maisons de bois déjà pratiquement décomposées par les intempéries. Le décor aurait pu être utilisé par Andreï Tarkovski pour son fameux film « Stalker ». Goudyn est une « zone » effrayante et Shestakov potentialise l’effroi en l’associant au futur.
 
A l’arrêt n°1 de sa série d’exposition « voyage dans le futur », le photographe nous avait montré la ville de Pripiat, abandonnée à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. La seule catastrophe de Goudyn consiste en son abandon par les humains. Au fond, à la contemplation des clichés on se dit que c’est mieux pour tout le monde. Les militaires ont été redéployés dans le centre de la Russie, sous un climat beaucoup plus propice. Et le fragile équilibre écologique du Grand Nord se trouve délivré de la menace atomique.
 
Un autre détail contredit le titre. De quel futur s’agit-il quand on tombe sur Tatiana Georgievna, une habitante inattendue de cette ville morte ? Sergei Shestakov dit être tombé des nues lorsqu’il a découvert cette dame âgée, « survivant Dieu sait comment, seule, sans la moindre élément de confort : ni chauffage, ni téléphone, ni eau courante ». Le photographe nous en fait un portrait qui ressemble à n’importe quelle grand-mère russe. « Adorable, le cœur sur la main, pleine d’optimisme ». Tatiana Georgievna, dans ce décor de fin du monde, incarne l’intemporelle Mère Russie, enracinée dans la terre et qui tourne résolument le dos au futur. Son slogan, écrit sur un calendrier accroché dans la cuisine, a suffisamment surpris Shestakov pour qu’il le fixe sur sa pellicule : « Tout ira bien, même s’il en est autrement ».
 
Emmanuel Grynszpan

Jusqu’au 9 mai 2012
Salle d’exposition du Manège

Place du Manège, n°1
Moscou, Russie

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