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Mehrali Razaghmanesh : Résidence à Paris et virée végétale

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Le photographe iranien Mehrali Razaghmanesh achève une résidence à la Cité des arts à Paris. Dans la capitale française, il a pu poursuivre ses recherches autour des plantes. Une autre façon de voir la beauté de la ville, notamment en célébrant certains de ses arbres, les saules pleureurs.

Mehrali Razaghmanesh considère les végétaux comme des êtres vivants. Au cours d’une promenade en forêt, il lui arrive de les caresser comme on pourrait le faire avec un cheval pour toucher son crin, dans un geste vif et amical. Il semble avoir noué avec eux une relation spéciale.

À Téhéran, il s’est par exemple rendu dans un terrain abandonné et a photographié l’incroyable profusion de la flore, les couleurs ocres et mauves, les verts d’une splendeur éblouissante quand ils apparaissent à l’aube, dans un nuage de brume ou un zeste de rosée.

Auparavant, au cours de sa jeunesse, le photographe a vécu dans une ville du Nord de l’Iran qui était située tout près des forêts Hyrcaniennes. Peu connue, cette très grande étendue d’arbres qui va du Sud de l’Azerbaïdjan jusqu’au littoral iranien de la mer Caspienne est l’un des massifs forestiers les plus vieux du monde.

En s’y rendant régulièrement, notamment en partageant parfois la vie des bergers qui travaillent dans la zone, Mehrali Razaghmanesh a ressenti une émotion très particulière. Il confie y avoir trouvé un lieu habité, très chargé de présences et dont il a pu percevoir l’écho, tentant de magnifier cette expérience dans son travail de photographe.

Venu à Paris, dans le cadre d’une résidence à la Cité des arts à l’automne 2021, il s’est naturellement tourné vers les arbres de la ville. Il a d’abord exploré tous les parcs de Paris, arpentant aussi bien celui de Montsouris que celui de Belleville, passant aux Tuileries comme au Jardin du Luxembourg. Il y a fait le portrait de certains végétaux. Il les a d’abord photographiés, en a ensuite gardé seulement la forme en noir et blanc en utilisant un logiciel de retouche numérique, puis il a recouvert aux crayons de couleur chaque parcelle de l’image.

Les teintes qu’il utilise ne sont pas toujours exactement celle que nous croisons sur les arbres de Paris. Pour un platane, il s’est même autorisé à lui faire des feuilles roses.

Un procédé qu’il a poursuivi dans cette série dédiée aux Saules Pleureurs. Fasciné par la beauté de la Seine qui passe sous les fenêtres de son atelier à la Cité des arts, il s’est mis en quête d’y faire des rencontres intéressantes, d’étudier les arbres qui vivent sur les flancs du fleuve et d’approfondir ce travail entamé dans les parcs.

Particulièrement intrigué par l’indication que je lui ai faite du Saule pleureur du Square du Vert Galant quand il me demandait quel type d’arbre vivait sur les bords de la Seine à Paris, il est allé le voir de plus près. Il s’est alors remémoré la très grande beauté inhérente au Saule pleureur dont il n’existe pas de semblables et qui, d’une certaine façon, est le plus biscornu de tous les arbres.

« Noir comme le bois des gibets », dit de lui Victor Hugo qui en tire le portrait dans son poème Comédie dans les feuilles et laisse entendre que la nature a bien fait de laisser une place à ce « vieux qui n’a plus de cheveux ». Le mot même de « Saule pleureur » quand nous remontons loin dans ses racines étymologiques pourrait vouloir signifier littéralement : « Celui qui crache des pleurs ». Un nom trouvé sans doute en raison de ses branches-lianes qui tombent très bas – allant parfois jusque dans une zone d’eau – ou sinon aussi parce que des gouttes d’eau liée à la condensation peuvent s’écouler de ses feuilles.

Partant à la recherche de l’arbre, Mehrali Razaghmanesh en a dénombré sept tout au long de la Seine. Reprenant son procédé avec lequel il vient recouvrir aux crayons de couleur le canevas d’un végétal issu d’une première photographie, il a réalisé le portrait de ces arbres-là, ceux qui vivent au plus près du bord du fleuve de la capitale et forment comme des présences étranges, intrigantes et entières. Mehrali Razaghmanesh a tenté de marier des couleurs d’automne à des couleurs de printemps, rendant improbable la teinte de ces Saules, mais finalement la teinte qu’ils pourraient avoir si nous décidions de les voir en y mêlant toutes les saisons.

Le Saule pleureur est raboteux, avec cet air de chevelu qui semble échapper à tout canon classique. Sa grande taille, ses proportions informes, sa manière de s’abaisser vers l’eau – et non de se hisser vers le ciel comme par exemple les peupliers qui ressemblent à de fines flammes – lui confèrent un aspect rude, fruste et rugueux. Mais justement cet aspect semble nous assurer que quelque chose en lui va au-delà des apparences immédiates et déploie comme une antique tempérance, celle d’un vieillard qui sait tout et dont il faut prendre soin.

Victor Hugo le nomme justement à la fin de son poème l’« Héraclite des arbres » ou encore le « Démocrite des oiseaux ». Héraclite d’Éphèse est un philosophe grec qui a vécu dans l’Antiquité et prodiguait des observations sur la nature. Démocrite est un autre philosophe grec d’une période proche qui appréciait visiblement une certaine réclusion dans sa vie.

Le Saule pleureur a fait son apparition en Europe à la fin du XVIIème siècle, mais il est originaire des régions sèches du Nord de la Chine et semble avoir quelque chose de cette sagesse de moines des montagnes chinoises qui traçaient autrefois de magnifiques peintures, comme aux grottes de Mogao où de nombreuses fresques furent réalisées pour célébrer les croyances bouddhistes en une belle variété de couleurs.

Des couleurs qui aussi ont guidé Mehrali Razaghmanesh dans ce travail, lui qui avoue beaucoup aimer la peinture de Claude Monet, l’impressionniste qui travailla tant sur la Seine et tant sur les arbres. Le peintre aura justement fait plusieurs fois le portrait de Saules pleureurs à la fin de sa vie, dans le début des années 1920. L’un d’eux est exposé aujourd’hui au Musée d’Orsay et il s’agit peut-être de l’une des toiles les plus abstraites de Monet, comme s’il avait trouvé que devant le grand Pleureur nous pouvions voir le monde en nous passant de toutes formes.

Jean-Baptiste Gauvin

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