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Pléthores Photographiques : Enfers pour Photographes

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Il est de notoriété publique que la qualité et la quantité, ne font pas bon ménage. Un accroissement des contenants engendre inexorablement un affaiblissement des contenus qui s’en trouvent tirés vers le bas. Cette Loi de la Nature, car c’est une Loi de la Nature s’applique aussi à tous les systèmes et aux procédures génératifs. Les dommages qui résultent de ces croissances exponentielles, bien souvent anarchiques, se révèlent, à terme, catastrophiques, lorsqu’ils ne sont pas mortels.

L’actualité photographique de ces dernières semaines m’entraine dans un champ d’observations, de constatations et de réflexions dont l’importance ne peut pas nous échapper et surtout nous désintéresser.

Tout ce qui touche notre medium prend de telles proportions que le noyau réel de la Photographie avec ses véritables photographes arrivent au-delà du vulnérable. Le gigantisme mondialisé s’est installé tant en amont (matériels et fournitures) qu’en aval (droits et œuvres), sans oublier toute la chaine économique impliquée dans les procédures qui lient l’un à l’autre. Pire, le magicien — le vrai, celui qui mérite son titre de photographe —, est incontestablement passé plus par pertes que par profits.

Le matériel de prise de vues ne se distingue plus que par l’écusson de sa marque collé sur l’appareil et le montant des sommes publicitaires investies pour obtenir un retour en parts de marché. Pour le reste, toutes marques confondues, les composants de la machine et/ou de son optique, les algorithmes qui devront faire le boulot à votre place, sont issus de trois ou quatre multinationales. Ces dernières sont plus préoccupées par la rentabilité de leurs investissements que par l’utilité du boitier qui se retrouve entre nos mains. Ce n’est peut-être pas si grave. Puisque la quasi-unanimité des possesseurs desdits matériels ne comprennent rien dans le fonctionnement de ce petit bijou qu’ils affichent fièrement sur le ventre. Parfois, ils restent un peu déçus — quand même — que l’outil ne soit pas encore assorti à leurs baskets. Ce qui vaut pour la caméra de prises de vues s’étend, bien entendu, à tous les accessoires (pieds, flashs, mémoires, etc.).

Pour le laboratoire, c’est le même combat. Sauf, que nous venons de perdre environ 80% des combattants qui sont totalement incapables de transformer le clic sur leur appareil en une image digne de ce nom. Vous m’opposerez quelques-uns de nos grands ancêtres de la photographie de la période intermédiaire [1930- 2000] qui confiaient à des laboratoires, avec tireurs d’élite, le développement et le tirage de leurs vues. C’est vrai, excepté que la plupart étaient capables de faire ce travail incontournable par eux-mêmes et maitrisaient le résultat final qu’ils souhaitaient et qu’ils imposaient (cadrage, densité, contraste, etc). Nous n’en sommes plus dans ce schéma. Ce qui a généré une foison de pseudo-laboratoires numériques (pour l’analogique, avec ou sans les sels d’argent, il faut un minimum de connaissances, rédhibitoires pour les nuls). Par contre, en général, chose cohérente, ces officines, spécialistes du traitement de l’image, sont aussi peu compétentes que leurs clients.

La marche suivante débouche sur la prolifération de galeries ès photographies qui envahissent jusqu’aux villages perdus dans les montagnes. Tout le monde se doit d’être propriétaire d’une galerie pho…to…graphique. Certaines villes déjà matinée par la photographie, à divers titres, ont observé leurs charcuteries, leurs boulangeries, leurs teintureries et autres cordonneries se transformer en vitrines d’images photographiques. Il y a plus de lieux de recueillements admiratifs et de ventes photographiques que de vrais auteurs avec des images pour narrer, reporter et émouvoir. Il faut bien que les gens gagnent leur vie dans les temps difficiles actuels ; mais, par pitié, avons-nous besoin de ces patronnes et ces patrons de galeries qui me présente une impression offset comme un tirage « cibachrome* ». Tel autre, avec déjà un petit pignon sur rue, était sincèrement persuadé que le collodion humide et le virage sépia étaient la même chose. J’espère qu’un petit tour sur internet, après mon passage, lui aura remis ses pendules à l’heure.

Comme certains immeubles se vantaient d’avoir le gaz à tous les étages, la photographie peut affirmer avoir une propension boulimique dans toutes ses étapes. Même pour celles en principe  les,plus prestigieuses. Nous arrivons aux fameux festivals et autres expositions fabuleuses, même à l’échelle d’un village de quelques centaines d’habitants. Pourquoi pas ? Ce n’est pas le village qui dérange, c’est le montage et les objectifs de l’exposition. Cela fait maintenant plus d’une décennie que ces grandes et petites manifestations ne s’intéressent plus directement aux œuvres photographiques. Pourquoi ? Trop d’expositions qui montrent souvent les mêmes choses, avec une vedette médiatique aux images vues et revues, l’essentiel est de faire du buzz. Ensuite, une ribambelle d’images issues de créateurs en mal d’ego, des « amis de la famille » ou des copains de beuveries. Ne pas oublier les auteures et les auteurs, dans l’air du temps, marqués par la mode des tentatives d’évolution de notre société. Compétence photographique égale zéro, trois points de communication pour l’organisateur : c’est le bingo. Le point d’orgue concerne les visites des écoles avec un double effet :

des enfants confrontés à des horreurs absolues en matière de photographie (comme c’est génial !) ;

des subventions garanties pour l’organisateur (maigre, mais salutaire pitance). Laissons de côté, dans le haut du panier, les grands évènements où les noms des fondations de mécène prévalent, en haut des affiches et à l’entrée de l’exposition, sur toutes autres considérations, avec à la clé la sélection de leurs artistes. Ce phénomène nouveau devient universel et mériterait une chronique complète à lui seul.

Les ambitions de surabondance ont trouvé un sommet cette semaine avec un des plus grands festivals internationaux et estivaux. L’organisateur incite tous les photographes professionnels, et les mêmes en amateur très avertis à venir présenter leur travail en lectures dites de portfolio. Ce n’est pas moins de 165 (vous avez bien lu !) expertes et experts en photographies qui seront à votre disposition pour commenter votre travail et vous guider pour vous permettre un avenir prospère. Dans un premier temps, il est indispensable de consulter la liste des experts. Purement hallucinante, cette myriade d’invités au festival qui vont expliquer (contre monnaie sonnante et trébuchante) à nos amis professionnels ou amateurs très avertis (un requis pour l’inscription) ce que c’est qu’une photographie. Qui vont déblatérer sur les photographies qu’ils jugeront bonnes ou mauvaises. Qui affirmeront surtout que s’ils s’y prenaient mieux (vous prendrez bien un petit workshop ou une vraie masterclass), nos ignares de photographes pourraient être reconnus universellement. Nous ne sommes pas dans un sketch humoristique, plus de la moitié de ces experts sont incapables de faire une photographie. Ils sont tout aussi incapables de critiquer techniquement, esthétiquement une photographie et de trouver un plus ou un moins prometteur, s’il y en a un. Même dans le subjectif, la rigueur est de mise, sans parler de la déontologie. J’ai participé à de nombreux portfolios, toujours gratuit** pour la présentatrice ou le présentateur du travail (cela m’a toujours semblé être un minimum de dignité). Le lecteur est là pour partager, pour formuler un avis ou une interrogation, pour vérifier l’intérêt d’un travail avant une diffusion à des publics moins initiés, nous ne sommes pas dans une formation avec un enseignement onéreux. Cela devient une sorte d’appel au masochisme, en demandant à des personnes compétentes de payer pour se faire contester leur travail par des gens, pour beaucoup, au-delà de la limite de l’incompétence sur le sujet traité. Vu le nombre proposé de lecteurs disponibles, nous atteignons une multiplicité déraisonnable. Doit-on penser que ce festival merveilleux qui bénéficie de financements publics très abondants, d’apports de mécénats substantiels, serait en déroute financière pour faire payer quarante euros les 20 minutes d’entretien ?

Décidément, le gigantisme, sous toutes ses formes autour de notre Photographie, devient sans aucune limite. Espérons que tous ces boulimiques, friands de monnaie et de gloire, trouveront rapidement d’autres terrains de chasse, pour nous permettre d’essayer la sauvegarde de ce qui restera.

Thierry Maindrault, 10 mai 2024

* cibachrome est une marque déposée pour les tirages en couleur de type R, tout comme ilfochrome.

** je suis toujours disponible pour échanger sur un travail autour de la création et de la lumière.

vos commentaires sur cette chronique et sa photographie sont toujours les bienvenus à

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