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M. Daguerre a trop promis

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Fondé sur sa thèse soutenue sous la direction d’Henri Zerner à Harvard, l’ouvrage de Stephen C. Pinson était très attendu. L’objectif de son auteur était ambitieux : offrir non seulement une nouvelle biographie de Louis Jacques Mandé Daguerre mais aussi, et surtout, replacer l’œuvre et la vie de l’inventeur du diorama et du daguerréotype au sein de la vie artistique, sociale, économique et politique de son temps.

Une telle étude était nécessaire ; les travaux de Gabriel Cromer et de Georges Potonniée, sur lesquels Beaumont Newhall comme Helmut Gernsheim appuyèrent leurs propres recherches, dataient des années 1930. Bien des études, comme le souligne Pinson dans son introduction, sont venues depuis, aux États-Unis et en France, nourrir l’historiographie autour de Daguerre et du daguerréotype, sans pour autant gommer la manière négative dont l’homme et ses positions étaient perçus. Près de cent soixante-quinze ans après l’annonce faite par François Arago de la création daguerrienne, les échanges demeurent vifs entre ses partisans et ceux de son associé de 1829, Nicéphore Niépce.

Les débats autour de la naissance de la photographie, en France particulièrement, semblent ne mettre les contradicteurs d’accord que sur un seul point, la nécessité de désigner un inventeur de la photographie, de distinguer un champion. Daguerre pâtit encore, de nos jours, d’avoir reçu reconnaissance politique et financière après le vote de la loi sur la photographie à l’été 1839 ; cette reconnaissance fut aussi sémantique, le substantif désignant son procédé ayant été construit sur son patronyme, daguerr-è-o-type. Son image a également souffert de la complexité à discerner, dans l’étude de l’invention de la photographie, intentions et réception.

Le travail publié ici par Pinson est de très grande qualité ; étayé par des recherches archivistiques personnelles – au contraire de certains de ses prédécesseurs qui se contentèrent de sources secondaires – il permet de retracer les étapes de la vie de Daguerre et de détailler ses œuvres et réalisations, des décors à l’Opéra et à l’Ambigu-Comique au diorama, des toiles présentées au Salon et des lithographies réalisées pour Les Voyages pittoresques dans l’Ancienne France au daguerréotype. Un des atouts de l’ouvrage, et non des moindres, est ainsi constitué par un catalogue raisonné des œuvres connues de l’inventeur et artiste.

Riche par son analyse historique, le livre de Pinson l’est aussi par la manière dont son auteur conduit avec succès la démonstration de son point de vue ; son postulat, déjà exprimé dans plusieurs articles, se fonde sur l’existence d’un lien étroit entre les différentes réalisations de Daguerre, portées par une maîtrise de la lumière, qui lui offrirent de représenter, le plus justement possible, les oppositions de l’ombre et de la clarté.

Pinson dépeint l’inventeur comme un peintre habile des effets, comme un maître de la lumière et un alchimiste de la couleur. Une partie importante de l’ouvrage est dédiée aux créations de Daguerre à l’Opéra, auprès d’Ignacio Degotti, puis en association avec Pierre-Luc Charles Cicéri, dont les réalisations nourrirent la conception du diorama, ouvert en juin 1822 à Paris.

Pinson décrit avec justesse une époque amatrice de sensations fortes portées par un goût pour l’illusion et les effets, au théâtre comme au musée. Il rappelle ainsi les expériences, aujourd’hui souvent méconnues, de Jacques Alexandre César Charles dans les galeries du Louvre, permettant la transformation de miniatures en peintures immenses, grâce à une camera obscura composite, à la fois lanterne et miroir.

Il montre également combien la recherche de reconnaissance personnelle qui anima les peintres et motiva leurs expositions personnelles – celle des Sabines par Jacques-Louis David dès le début du XIXe siècle ou celle du Radeau de la Méduse par Théodore Géricault en 1819 –, les conduisit à obtenir les meilleures conditions lumineuses de la présentation de leurs œuvres, afin de mettre en valeur leur qualité esthétique, mais aussi de séduire le plus large public possible.

De façon tout à fait intéressante et singulière, Pinson lie l’invention du diorama à ce désir de reconnaissance de Daguerre et de Charles Bouton, son associé, comme peintres. Spectacle optique, le dispositif constituait l’opportunité pour ses auteurs d’ouvrir une galerie de musée d’un genre nouveau qui leur offrait la possibilité de mettre en valeur leurs toiles, dont les modèles étaient présentés au Salon annuel. Le succès du diorama le désignait comme un des lieux de rendez-vous de la bonne société de la Restauration.

Fashionable,le lieu était également exemplaire de la volonté d’une génération, née trop tard dans le monde déjà trop vieux comme s’en plaignait Musset, de se faire connaître et d’obtenir le succès en multipliant les expériences esthétiques. Les paysages peints ou dessinés par Daguerre s’inscrivaient en lien avec la conception d’un paysage théâtral, théorisé au début du siècle par Pierre-Henri de Valenciennes, en écho à la conception classique de Claude Gellée, dit le Lorrain. Leur agrandissement au sein du diorama offrait d’associer, subtilement, théâtre et peinture dans une conception commune.

L’étude de Pinson permet de souligner combien la conception du daguerréotype a été nourrie par les créations de son inventeur pour le spectacle théâtral contemporain, par ses recherches de la maîtrise de l’illusion et des effets lumineux. Daguerre se distingua fondamentalement des intentions de Niépce, désireux de créer une image reproductible. Pinson replace le daguerréotype à la suite des recherches optiques menées, depuis la fin du XVIIIe siècle, par les physiciens comme par les artistes, peintres et décorateurs.

L’invention du daguerréotype selon Daguerre aurait donc été motivée par l’ambition de son auteur de fixer durablement une image lumineuse, dont les effets de recherche illusionniste seraient intacts.

Pinson dessine ainsi l’héritage théâtral de la photographie, occulté par les conditions d’une réception qui se sont établies, moins sur la réalité de la création daguerrienne ou sur l’examen des plaques que sur les discours des commentateurs, Arago au premier chef. Il réussit, grâce à un travail minutieux, à rendre la complexité de la création artistique de l’époque. Les seuls reproches qui pourraient lui être adressés sont liés à ses qualités mêmes de rigueur.

Si Pinson parvient à retracer précisément les étapes d’une vie artistique, il échoue à rendre la sensibilité humaine de Daguerre, son esprit d’invention, son désir acharné d’une reconnaissance. De même, l’ouvrage aurait gagné à mettre plus largement en parallèle les œuvres et réalisations daguerriennes avec celles de la peinture de son temps, ici uniquement citées en contrepoint ou en exemple, sans développement ultérieur. Plus de fantaisie aurait aussi permis de rendre, plus subtilement, l’émerveillement des spectateurs du diorama et des spectacles optiques.

Le titre de l’ouvrage Speculating Daguerre joue avec talent d’un double sens entre la recherche de spéculation financière par les artistes avides de succès et la notion d’une vision spéculaire, rappelant l’importance des jeux de miroirs et de leurs reflets.

On ne peut que souhaiter que cet ouvrage de très grande qualité puisse être rapidement traduit en français afin d’enrichir le corpus des études sur une époque artistique, Restauration et monarchie de Juillet, encore trop méconnue.

Il faudra alors espérer qu’il soit lu, non seulement par les historiens de la photographie, mais également par ceux de la peinture et du théâtre afin de susciter des recherches interdisciplinaires qui donneront de la création esthétique de la période une vision renouvelée, moins étroitement enfermée entre romantisme naissant et néoclassicisme, et ouvriront l’analyse sociale et politique de la création artistique au-delà des clivages entre les gouvernements qui se succédèrent au cours de la première moitié du XIXe siècle. Leur succession, en effet, au- delà des partis pris individuels, offrit aussi aux artistes des moments renouvelés pour faire reconnaître leur talent.

(Dominique de Font-Réaulx, Stephen C. Pinson, Speculating Daguerre, Art and Enterprise in the Work of L.J.M. Daguerre, Études photographiques, Notes de lecture, Janvier 201).

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