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Louis Faurer, Par lui-même

À la fin de mes études secondaires à Philadelphie, je me suis inscrit dans une école de peintre en lettres. Après des mois durant lesquels ma main a tremblé, j’ai contemplé ma première enseigne, qui disait : « POISSON FRAIS ». De 1934 à 1937, j’ai croqué des caricatures sur la plage à Atlantic City (New Jersey). C’est de 1937 que date mon intérêt pour la photographie, intérêt qui s’est beaucoup renforcé le jour où j’ai remporté un premier prix au concours de la « photo de la semaine » du Philadelphia Evening Public Ledger. Bientôt, les premiers livres de photographie de la Farm Security Administration devinrent ma bible. J’ai été particulièrement séduit par les photographies de Walker Evans. L’univers de Harper’s Bazaar aussi me fascinait.

Plus tard, à New York, j’ai rencontré Robert Frank au studio de Bazaar. Comme j’habitais loin, il m’a invité à séjourner dans son loft, en compagnie de ses 9 chats. Il arrivait de Suisse et vivait seul. New York m’a enchanté et étonné. Partout, il y avait des choses à découvrir. Mes photos, refusées au début, commençaient à paraître dans U.S. Camera. On acceptait mon travail ; souvent, ça me paraissait irréel. J’ai montré mes photos à Walker Evans. Une belle bouilloire en cuivre dans son minuscule bureau de fortune exprimait toute sa stabilité et son éloquence. « Tu ne photographierais pas de grosses femmes ? » m’a-t-il demandé. Plus tard, il m’a mis en garde : « ne te laisse pas contaminer ». Mon besoin de continuer à photographier a trouvé sa réponse dans la photographie commerciale. J’ai travaillé pour la presse, y compris pour Harper’s Bazaar.

Les années 1946 à 1951 furent importantes. J’ai photographié presque chaque jour, et la lumière hypnotique du crépuscule me conduisait à Times Square. Mon mode de vie était de photographier le soir et de développer et tirer mes photos dans la chambre noire de Robert Frank. Il s’exclamait « Whatta town, Whatta town ! ». J’ai été retenu pour l’exposition d’Edward Steichen « In and Out of Focus ». Ensuite, ce fut du travail, du travail et toujours du travail. « Mon garçon, m’avait-il lancé, sors photographier et pose les photos sur mon bureau ». Cet ordre a été assorti d’un coup de poing sur le plateau en verre de son bureau. C’est un miracle que le verre ne se soit pas brisé. J’ai goûté et accepté les propositions des années 1950 et 1960. Life, Cowles Publications, Hearst et Condé Nast m’ont permis de poursuivre mon travail personnel. Souvent, j’avais avec moi une caméra 16 mm en même temps que mon Leica, et je photographiais dans les rues de New York. Le résultat n’a jamais été montré publiquement. Les négatifs ont été rangés dans un coin.

En 1969, j’ai ressenti le besoin de voir de nouveaux lieux, de nouveaux visages, de changer. J’ai essayé l’Europe. Je suis revenu aux États-Unis vers le milieu des années 1970 et j’ai été stupéfait par les changements qui s’étaient produits. Je me suis remis à photographier New York avec un enthousiasme presque égal à celui des débuts. Après les achats de Harry Lunn, s’ouvrit le monde des galeries. J’ai été de nouveau attiré par le dessin que j’avais pratiqué dans ma jeunesse et, comme par magie, le photographe était devenu un artiste !

Ce que recherche mon regard, ce sont des gens qui sont reconnaissants à la vie, des gens qui pardonnent et qui ont surmonté leurs doutes, qui comprennent la vérité, dont l’esprit tenace est baigné d’une lumière blanche tellement perçante qu’elle donne de l’espoir à leur présent et à leur avenir.

Louis Faurer

2 octobre 1979

 

Texte publié à l’occasion de l’exposition Louis Faurer – Photographs from Philadelphia and New York 1937-1973 présentée du 10 mars au 23 avril 1981 à l’Art Gallery de l’université du Maryland.

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