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Les industries portuaires de Geert Goiris 

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En 2017, le transporteur de liquides Rubis et sa filiale Rubis Mécenat ont confié au photographe flamand Geert Goiris une mission d’envergure : photographier douze de ses sites portuaires et fluviaux pendant un an. Cette commande, exposée au FRAC Normandie-Rouen ainsi que sur trois sites portuaires de la ville, témoigne d’un jeu poétique sur les lumières, les couleurs abruptes, les architectures, les liquides et leurs reflets.

Longer le littoral nordique européen doit être un exercice merveilleux. De Brest à Hambourg, du Havre à Anvers, en passant par Dunkerque, Felixstowe, l’Europe a au bout de ses plages une guirlande de ports, docks, sites de stockages et industries lourdes. Ces sites marquent l’héritage de nos premières modernités et symbolisent l’activité des échanges mondialisés de biens commerciaux. Ces sites nous paraissent mystérieux, ils sont pour l’œil aussi visibles qu’impossibles à pénétrer. Tous montrent portes closes aux badauds et de loin, se contemplent, cheminées extravagantes, leurs cônes en chapelles, leurs hangars et silos démesurés formant cathédrales aux nefs déshumanisés.

Ces différents paradoxes ont été merveilleusement saisi par Geert Goiris. Dans ces espaces, le photographe observe, fasciné « ces gens au travail, saturés responsabilités. La plupart des actions comme des produit reste invisible. Les gens travaillent lentement, dans des environnement aseptisés et scientifiques ». Une œuvre particulièrement frappante montre deux ouvriers rejoignant un site, habillés d’une combinaison de protection. Le point de vue choisi donne l’illusion d’une photographie voyeuriste, prise par exemple avec un téléobjectif, et renforce la distance du spectateur avec cet environnement qu’il ne maitrise pas.

Le caractère supposément déshumanisé, tout au moins scientifique de cette photographie est contrebalancé par une autre œuvre, saisissante de simplicité. La journée de travail se finit. Les ouvriers viennent raccrocher au vestiaire leur costume. Aux pendants, deux combinaisons. Hors-cadre, un ouvrier entre, regarde de travers l’appareil sur pied dans la salle exiguë, hésite à pénétrer le cadre pour finalement accrocher une troisième combinaison. La photographie montre là encore un paradoxe. Elle est une trace silencieuse autant qu’amusée de l’activité de ouvriers. Elle pourrait également se penser comme un souvenir anthropomorphique des ouvriers à la tâche.

Geert Goiris joue avec une référence de la photographie industrielle. Ses œuvres rappellent l’illustre travail de Bernd et Hilla Becher. Dans les années 1960 et 1970, les époux allemands avaient sillonné l’Europe et l’Amérique du Nord pour immortaliser de front silos, mines, forges, raffinerie, fabrique de textile, de caoutchouc, de plastique, hangars de stockage, château d’eau et royaume des métaux lourds.

Entre Bernd et Hilla Becher et Geert Goiris, des décennies ont passé. On retrouve pourtant chez le photographe flamand les mêmes réseaux de tuyaux, de pipelines, de plateformes. Pour autant, les bâtiments ne sont quasiment jamais pris de plein pied – ce qui était la signature des Becher. Chez Goiris, l’œil est dérouté des structures par le jeu des couleurs, par ces opposition (béton/fer ; tuyauterie/océan). Le travail sur la forme et les couleurs vient définitivement différencier son travail.

Toute la merveille de Peak Oil ne se confine pas uniquement au jeu des grandeurs, de ce paradoxe d’un homme industrieux perdu dans un environnement qu’il a conçu, pensé et qui finalement le dépasse. Goiris baisse la tête et son regard coulisse sur des merveilles à nos pieds. De là à sublimer l’art de voir ce que l’on a sous nos yeux, il n’y a qu’un pas. La photographie réside aussi dans ce décalage du regard.

Une des plus belles photographies de la série vaut tous les voyages à Rouen. Sur le site de Strasbourg, le photographe trouve un visage se plongeant dans une mer de couleurs. Les reflets bleu nuit et roses violacés agitent l’image, lui donnent une profondeur douce autant qu’une vibration. Cette photographie est une merveille. Elle clôt l’exposition et donne à voir une vision poétique des industries portuaires.

 

Arthur Dayras

Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.

 

 

Geert Goiris, Peak Oil
Du 9 décembre au 18 janvier 2018
FRAC Normandie
3 Place des Martyrs de la Résistance
76300 Sotteville-lès-Rouen
France

www.fracnormandierouen.fr

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