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Les Franciscaines – A Deauville, le fonds Irving Penn de la MEP dans toute sa splendeur

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Deauville forme une terre généreuse pour la photographie. L’idylle aux fascinations de Robert Doisneau, Robert Capa ou encore Gisèle Freund et la ville peut aujourd’hui se targuer d’abriter sur ses rivages et en ses murs, un des festivals les plus enthousiasmants, Planches Contact.

Depuis 2021, Deauville s’est dotée d’un équipement culturel polyvalent, en lieu et place d’un couvent dix-neuvième des sœurs Franciscaines refondé et réhaussé par l’architecte Alain Moatti en un lieu polyvalent : musée aux nombreuses salles d’expositions, centre d’art dans un ancien cloître au ciel désormais couvert, médiathèque aux grands divans de lecture, ponctuée d’ilots propices aux études et accrochages des collections de la ville.

Les Franciscaines illustrent ce récent modèle d’équipements culturels polyvalents, à l’image de la Filature de Mulhouse, qui centralisent une programmation et des pratiques culturelles diverses avec l’espoir d’y diversifier son public.

Le succès des Franciscaines semble être conséquent, dix-huit mois après son ouverture des et près de 300 000 visiteurs, dans une ville qui désormais ne vit plus au rythme des saisons. Il faut dire, avec coquetterie, qu’il est assez réjouissant de pouvoir travailler ou, à défaut s’effeuiller d’une sieste impromptue, entouré de Larry Fink ou de Bernard Plossu.

La réclame bien méritée pour ce bâtiment prend avec la rétrospective Irving Penn une tournure laudatrice. Pour la première fois, le fonds Irving Penn de la Maison européenne de la photographie est exposé dans son ensemble, soit 109 tirages. L’histoire de l’institution parisienne avec le photographe américain, né en 1919 à Plainfield (New Jersey) et mort en 2009 à New York est riche de plusieurs étapes.

Jean-Luc Monterosso, premier directeur de la MEP, et Pascal Höel, responsable des collections et commissaires de l’exposition, s’intéresse dès le début des années 1990 à l’œuvre de Penn, alors cantonnée à une vision dévaluée de la photographie de la mode et acquiert un premier ensemble d’œuvres, suivi d’un don conséquent de l’artiste en 1996. En 2019, la Fondation Irving Penn complète ce fonds avec une donation de 46 œuvres, ce qui en fait, de très loin, le fonds le plus représentatifs de l’artiste en France sinon en Europe.

« Chefs d’œuvres de la Collection MEP » montre les ensembles iconiques, déjà appréciés récemment lors de la grande rétrospective Irving Penn au Grand Palais (2018). Ces « passages obligés » forment le cœur de l’œuvre de l’artiste, des portraits iconiques d’artistes (Picasso, Duchamp, Cocteau) sur fonds neutres à ceux pénétrés de malices de sa femme, la danseuse puis mannequin Lisa Fonssagrives-Pennn. Ces compositions firent la gloire de l’artiste comme les plus belles pages de Vogue, ou plus sporadiquement, d’Harper’s Bazaar.

Ce sont ces poses au même regard curieux, au caractère humble et égal pour les enfants rondelets de la peuplade Cuzco ou les détails plus graphiques des eye-liners, mascaras, réhausseurs et autres accessoires de mode donnant à une paupière le tournis d’une composition géométrique proche des arabesques d’Aurélie Nemours.

En cela l’exposition est impeccable, ou si l’on peut dire, hautement représentative. Elle remplit sa fonction : donner à voir une œuvre complexe, d’une grâce répétée malgré les objets d’intérêt de l’artiste pour le corps féminin, le visage des hommes et les replis d’un mégot. Mais elle s’agite ! Elle prend une tournure inattendue, avec un fonds méconnu dans la série de Penn, « Le Bain (Danseurs du ballet de San Francisco) ». Forte de 14 tirages virés au sélénium, cette série montrée uniquement en 1996 forme sur trois murs un repli ou une île au sein du cloître.

Elle est d’une beauté éprouvante. En 1967, Irving Penn rencontre la troupe des Dancers’ Workshop of San Francisco dirigée par Anna Halprin. Celle-ci bouscule les codes établis des chorégraphies en y mêlant improvisation et libertés de mouvement, théâtre de rue, participation du public et joue sur plusieurs genres musicaux dans ses représentations. Elle est invitée par le Wadsworth Atheneum de Hartford à composer une chorégraphie autour du bain et de sa dimension ordinaire, comme l’est le simple fait de se laver, ou au contraire érotique et rituelle sitôt que le bain devient collectif.

Penn observe cette chorégraphie dans un studio de répétition avant d’immortaliser les gestes des danseurs, probablement figés devant l’objectif moyen format du photographe. Le jeu des danseurs nus se trouve dans son objectif être une élégie à la douceur des corps. Les silhouettes se portent dans cette impression constante, quand il s’agit du jeu des portées et des relâchés, d’une fragile apesanteur. Les étreintes semblent franches ou délicates, parfois passionnelles ou entièrement dévouées à l’exercice fictionnelle du bain.

Il y a au-delà du sujet des ponts évidents avec l’histoire de la peinture, qu’on y retrouve d’un tirage l’autre les toilettes intimes des prostitués de Degas ou les exercices répétés des petites danseuses du même peintre. Toute une histoire encore à tisser avec les femmes lascives de Poussin, abandonnées au bras et désirs frusques de l’homme, ou quand la troupe redevient une, comme d’une algue uniforme et mouvante qui rappelle les clichés tout aussi réussis de la troupe de Merce Cunningham par Robert Rauschenberg en 1961.

Cette série pleine de tendresse l’est aussi parce qu’elle donne à voir une image masculine à nue, où le danseur souvent s’abandonne à l’étreinte de sa partenaire, où son visage rompt avec la dureté que sa société, plus encore à la fin des années 1960, lui imposait. Elle dit la possibilité des amours égales, des enlacements aux émotions entières. La fiction du bain pensée par Anna Halprin et fixée par Penn donne cette occasion, celle d’un moment où femme et homme se livrent à l’autre dans une égalité parfaite. Il faut parfois l’art, et le souvenir de la Genèse, pour se rappelle cette possibilité.

 

Informations pratiques

Irving Penn. Chefs d’oeuvres de la collection de la MEP.
Commissariat : Pascal Hoël, Responsable des collections de la MEP et Frédérique Dolivet, Adjointe du Responsable des collections de la ME
Pour la première fois exposée, l’intégralité de la collection de photographies d’Irving Penn de la Maison Européenne de la Photographie.
Du 4 mars au 28 mai 2023, 145 bis avenue de la République, 14800 Deauville
https://lesfranciscaines.fr/

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