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L’agence des Reporters Associés par Louis Le Roux

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L’agence de presse des Reporters Associés fait partie, avec les agences APIS, Dalmas, Europress et quelques autres, des rédactions photo qui naissent dans les années 1950 et s’épanouissent avec le développement des magazines Paris Match, Stern, Jours de France etc. Elles préfigurent le succès des agences Gamma, Sipa, Sygma. Elles sont le berceau de femmes et d’hommes qui inventent « le photojournalisme à la française » de la seconde partie du XXème siècle.

Louis Le Roux, laborantin et photographe, puis chef du laboratoire des Reporters Associés avant de devenir celui de Sipa Press est, non seulement un acteur, mais également un observateur attentif de cette époque. Son témoignage est exceptionnel de précisions tant sur les hommes que sur l’évolution des techniques.

Michel Puech

 

#1 – « Loulou » découvre les Reporters Associés

Né à Brest le 12 octobre 1934, je viens de passer trois ans dans l’Aéronavale. J’ai vingt ans et je monte à Paris. Les dés sont jetés, je suis embauché par Lova de Vaysse le patron de l’agence de presse les Reporters Associés, comme « tireur photo », puis, comme « chef du service photo » titre que je garderai toute ma carrière. Je fais du laboratoire mais également des prises de vue. J’achète un Rolleiflex. J’obtiens ma carte de presse numéro 16 870, car je suis également reporter photographe. Je pense que je dois être aujourd’hui un dinosaure de la presse.

En octobre 1953, l’agence de presse des Reporters Associées est créée par Lova de Vaysse, Renaud Martinie et le journaliste André Sonine qui se tue dans un accident d’automobile au volant d’une Floride. Lova de Vaysse me dira toujours « N’achète jamais une Floride c’est un cercueil roulant ». Lova de Vaysse et André Sonine sont tous deux transfuges de l’hebdomadaire France Dimanche. Ils sont rejoints par le photographe, Jacques Blot, ami de Lova de Vaysse et par Claude Rodriguez, d’origine belge, qui s’occupe du laboratoire et qui par la suite deviendra photographe. Plus tard, Raymond Darolle y travaillera aussi un temps avant de fonder sa propre agence Europress.

Lova de Vaysse et Renaud Martinie installent la société dans 60 mètres carrés, en sous-location avenue Frochot, une voie privée du 9ème arrondissement près de Pigalle, dans une superbe villa louée au couple Roby Davis et Andrée Daidy-Boyer.

Andrée « Daidy » Boyer, amie de Lova de Vaysse est une femme imprésario très en vogue dans le milieu d’artistes de l’époque. Elle découvre de nombreux talents et organise les tournées des plus grandes vedettes du music-hall des années 1950 : Django Reinhardt, Dizzy Gillespie, Charles Trenet, Henri Salvador, Gilbert Bécaud, Mistinguett, Tino Rossi, Mouloudji, Edith Piaf, Charles Aznavour, Roger-Pierre et Jean-Marc Thibaut. Roby, son mari, est à l’époque un saxophoniste connu.

A partir de 1960 elle deviendra « Mamy Scopitone [1]» et filmera les chanteurs et les artistes. C’est ainsi que la société les Productions Davis-Boyer possède encore actuellement un des plus importants catalogues d’archives d’artistes et de chanteurs et est cogéré par Katherine Richkoff, la fille de Lova de Vaysse.

Revenons à nos moutons. Le breton de 20 ans que je suis est adopté et je deviens très vite le fils de la famille. Lova de Vaysse sera pour moi un maître d’apprentissage. Les premiers mois sont assez durs. Je loge dans un hôtel à Boulogne Billancourt et je traverse chaque jour la ville pour travailler à Pigalle. Mes parents m’aident financièrement pendant deux mois, puis je deviens indépendant.

Par l’intermédiaire d’un copain, je trouve une chambre de bonne sur le boulevard des Batignolles près de la station de métro Villiers, je suis à deux pas du travail …

Je ne me souviens plus des premières images tirées dans la « cabane-labo » des Reporters Associés, car ce qu’on appelle « le labo » est alors une petite pièce de 2 m sur 2,20 m ! Une vraie cabane. Il y a quand même une petite ouverture avec malheureusement un rideau qui laisse passer la lumière indésirable. Au labo, il faut travailler dans le noir absolu !

Sur une table bricolée tout en longueur, il y a trois cuvettes : une pour le révélateur, les autres pour le rinçage et le fixage des photos. Pas de vidange, il faut transporter les cuvettes et les verser dans un évier dans lequel se fait également le lavage des photos.

Dans la même pièce, trois petites cuves de huit litres permettent le développement des films de prises de vue. En face, un agrandisseur en bois datant d’avant la guerre de 1940…   L’Impérator[2], cet auguste appareil est accroché au mur au-dessus d’une planche de travail. C’est un engin obsolète mais qui fait malgré tout de beaux tirages. Il reste un petit espace pour se mouvoir à l’intérieur de la pièce. L’éclairage inactinique se fait avec une lampe au sodium.

En sortant du labo, à gauche, il y a une glaceuse plate pour sécher les photos qui sortent sur papier brillant, une table pour étaler les photos, quelques étagères pour l’archivage. Voilà l’agence que je découvre ! Ce n’est pas génial, il va y avoir du boulot.

A droite de cette pièce se trouve la chambre à coucher de Lova et Jacqueline de Vaysse, et en face, un couloir donnant sur leur cuisine et leur salle de bain. Sous la véranda qui m’a accueilli : une table, un bureau, une machine à écrire pour que Jacqueline de Vaysse tape les textes, et, où travaille Renaud Martinie le comptable-vendeur. Derrière le bureau, sous une échelle de meunier il y a un petit lit pour Katherine la fille du patron et au-dessus une petite loggia où elle peut étudier !

La famille de Vaysse couche dans ce même local ! Leur chambre est voisine de la petite cabane du labo. Comme on travaille aussi bien la nuit que le dimanche, si j’arrive tôt le matin, je les trouve couchés ! Ce n’est pas grave. C’est la vie de bohème ! Mais je n’ai jamais entendu la famille se plaindre. Ils vivent, dînent, dorment sur leur lieu de travail…

Quand ils leur arrivent de partir se reposer en week-end ou en vacances, Lova de Vaysse me propose de loger à l’agence. J’y couche et y travaille, c’est à la bonne franquette. Il est vrai que vivant dans une chambre de bonne, ça m’arrange bien. Je me retrouve alors le patron de la boite !

Ce fut souvent le cas de 1955 à 1960 jusqu’à l’année de mes 25 ans et de mon mariage avec une charmante et jolie coiffeuse.

Lova de Vaysse a alors 34 ans.

Je suis un peu effrayé car au début, les reportages sont rares : un ou deux par semaine. Pour m’occuper je retourne la terre à l’entrée de l’agence pour y semer du gazon et y mettre quelques fleurs. En plus du laboratoire me voilà jardinier !

 

[1] Mamy Scopitone, surnom d’Andrée ou Daidy Davis-Boyer est une imprésario de spectacle française née le 28 avril 1918 et morte le 10 mars 2012. Qualifiée de « grande dame du music-hall d’après-guerre » puis principale productrice et réalisatrice dans les années 1960 de Scopitones, l’ancêtre du clip vidéo.

[2] Les agrandisseurs Impérator conçus dans les années 1930 étaient fabriqués par la maison Houppé à Chelles (Seine-et-Marne). Il s’agissait d’agrandisseurs en acajou ou en noyer allant du format 24 x 36 mm au 20 x 25 cm.

 

Cet article est d’abord paru sur le site A L’OEIL – Journalisme & Photographie : http://www.a-l-oeil.info/blog/

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