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Kathleen Blumenfeld, une photographe en quête de personnages

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Cette grande dame est infréquentable. Vous voulez la voir ? Elle n’est jamais où vous l’attendez. A Paris ? On la signale en Allemagne. A Berkeley ? Mais elle vient de rentrer en France. Née française, américaine, elle se situe quelque part dans le monde. Comment la joindre dans un magazine auquel elle collabore ? A Vogue ? A Paris-Match ? Impossible. Elle a décrété son indépendance. Pas d’agent. Pas de contrat. Pas de lien.

Vous la voyez enfin : elle vous jauge du haut de sa taille et de sa « classe ». Photographiquement, vous devenez la proie de son objectif. Son histoire ? Après avoir souffert de la guerre en France – le sujet la découvre pudique -, elle part à la conquête de l’Amérique ; on lui offre un poste de professeur au fameux collège Vassar. Elle préfère écrire et découvrir l’aventure humaine. Elle ne sait pas encore que la photo sera son univers. Un homme va fixer son destin. Erwin Blumenfeld, grand seigneur de la photographie de mode, jouant avec tous les effets de solarisation, d’effets spéciaux, du surréalisme chers à Man Ray ou à Tabard. Assistante du maître, elle choisit les modèles, arrange les coiffures, organise les rendez-vous. Un jour, il lui dit : « Savez-vous que j’ai un fils de votre âge ? Il arrive de Washington aujourd’hui. Je le fais rencontrer et déjeuner avec la plus belle fille de New York, un modèle hollandais. Et ce soir, vous. Je veux savoir de qui il va tomber amoureux. » « Bien-sûr de moi », répond Kathleen. Huit jours après, il la demandait en mariage. Huit jours plus tard, elle disait oui.

Aujourd’hui, elle est toujours mariée à Henry, devenu grand scientifique de Princeton. Ils ont deux enfants et trois petits-enfants. Quand je vous disais que cette personne était infréquentable ! Kathleen ne croit pas à la technique. Son œil, c’est celui de son Rolleiflex, sa lumière, c’est celle de la vie et ses sujets, ceux et ce qu’elle aime. Ce qui est merveilleux en elle, c’est son angoisse. Chaque prise de vue la fait trembler. A chaque séance de laboratoire, elle craint l’incident qui va détruire son travail.

Elle croit à la famille. Ses plus belles images, elle les doit à ses enfants, à son proche environnement. Pour elle, le monde fantastique de la science rejoint celui de la poésie. A travers les portraits intenses des grands de ce monde – comme des moins grands – elle recherche cette parcelle d’authenticité qui nous fait croire, dans le déchaînement désordonné de son histoire, en l’être humain et son avenir. Je vous l’avais bien dit : une grande dame.

Roger Thérond
Ce texte signé de Roger Thérond, ancien directeur de Paris Match, a été publié en 1990.
 
Kathleen Blumenfeld, Profession photographe
Du 9 novembre au 15 décembre 2016
Le Salon H
8 Rue de Savoie
75006 Paris
France

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