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Juul Kraijer – Morphogénèse, la vie des formes

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« L’homme a été appelé par les anciens microcosme […]. Car de même qu’il est un composé de terre, eau, air et feu, de même le corps de la terre. Si l’homme a les os, support et armature de la chair, le monde a les rochers comme supports de la terre ; si l’homme porte le lac du sang où le poumon se gonfle et dégonfle dans la respiration, le corps de la terre a son océan qui, lui, croît et décroît toutes les six heures en une respiration cosmique ; si les veines partent de ce lac de sang, en se ramifiant dans le corps humain, de même l’océan remplit le corps de la terre d’une infinité de veines d’eau. » (Léonard de Vinci)

Dans une série de photographies de Juul Kraijer : un serpent entoure un visage tel un châle ou une coiffe d’une peinture d’Holbein. L’écaille, qui s’apparente à un tissu organique, devient partie intégrante du corps. Dans un dessin, la chevelure abrite un buisson. Dans une autre scène, des moustiques envahissent un corps, celui-ci reste toutefois immobile.

Pour l’artiste, il s’agit d’un état de conscience. La beauté sereine de ses modèles rappelle l’harmonie des sculptures grecques. La finesse de son trait et l’exactitude des détails évoquent les dessins de la Renaissance. En contrepoint, des papillons nichés dans l’épiderme féminin convoquent un rêve éveillé, qui tourne au cauchemar organique.

Dans un autre dessin : une branche d’arbre sortant d’une bouche parle de la cohabitation ou plutôt du dialogue avec tout le vivant. Dans cet espace d’hybridation, les frontières entre l’humain, l’animal, l’insecte ou la plante, sont abolies.

Ses photographies sur fond noir, la disposition exacte d’une fleur, rappellent « Les formes originelles de l’art » du photographe allemand Karl Blossfeldt. Juul Kraijer insiste « ce ne sont pas des portraits, mais des visages abstraits quasiment transcendants ». La concentration et la lumière sont celles d’une méditation : un arrêt sur le temps.

Juul Kraijer est fasciné par la souplesse du corps des danseurs et leur état d’esprit. Le corps en tant que matière malléable, est le lieu d’un dépassement où se jouent toutes les métamorphoses. Ici, la pesanteur de la condition humaine disparait. Dans la vidéo « Prologue » la danseuse, recroquevillée est enveloppée d’un tissu telle une chrysalide. Les bras sortent au ralenti en se déployant dans l’espace. Cette performance évoque les différents stades de la croissance. Toute l’œuvre de Juul Kraijer invoque cette morphogénèse : le développement d’un organisme, le dépliement et repliement d’une forme.

La plupart des ses protagonistes ont des yeux tournés vers l’intérieur ; cette introspection se partage avec le spectateur. Pour Lise Pauton, contorsionniste et chorégraphe, également un des ses modèles, cette attitude est au cœur de la danse pour arriver à une métaconscience : un oubli de soi. La danseuse tête en bas forme une roue tel un serpent se mordant la queue, « l’ouroboros » nous dit Juul Kraijer. Ce cercle incarne à la fois un temps présent et un temps suspendu.

Cette intemporalité caractérise le travail de Juul Kraijer. Ses longs séjours en Inde, avec son mari, un artiste Indien, lui ont ouvert un univers de contrastes intenses, d’une nature éblouissante avec ses dangers inhérents : l’artiste souligne qu’elle est médusée par la beauté et la menace du serpent ; cette juxtaposition marque toute son œuvre.

Toutefois elle refuse d’en faire une lecture symbolique, elle est au plus près du réel : son regard capte l’analogie des formes : les veines, les branches d’arbres et les replis des entrailles. Dans ses photographies de danseurs, le dos avec sa colonne vertébrale si apparente, révèle l’objectivité de son regard. Les tissus musculaires du corps jusqu’à l’échine sont sculptés par la lumière. Ce relief apparaît comme un fossile. Telle une botaniste, elle étudie l’architecture du vivant qui l’entoure.

Juul Kraijer nous offre une nouvelle approche de l’humain comme lieu d’ancrage des structures du vivant. Elle met en évidence le principe dynamique de la nature, inhérent à chaque être. Son œuvre allie l’intériorisation du regard à l’extériorisation de la peau. Le regard ouvre vers l’intérieur. La peau humaine, cette limite, mue en devenant le terreau qui abrite des microorganismes d’autres formes du vivant, animal, ou végétal. Un dessin quasiment surréaliste, d’un visage féminin recouvert de papillons, dont les ailes portent des yeux, montre la permutation qu’opère Juul Kraijer vers cet autre regard, celui de la nature.

Juul Kraijer soulève un des enjeux majeurs de notre civilisation en crise : repenser le corps humain en interaction avec les espèces et notre milieu naturel. La chair de l’homme s’inscrit dans un flux vital universel.

Jeanette Zwingenberger

Membre de l’AICA (International Association of Art Critics) est commissaire indépendante. Elle enseigne l’histoire de l’art, à Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

Juul Kraijer
Exposition du 13 mars au 6 avril 2019
Galerie Les Filles du Calvaire
17, rue des Filles-du-Calvaire
75003 Paris

www.fillesducalvaire.com

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