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Jeff Cowens, Photoworks

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À une époque où le monde (et particulièrement le médium photographique) est dominé par les techniques numériques, et que l’attribut de l’authenticité prend de plus en plus de valeur, le travail de Jeff Cowen occupe une place spéciale. Dans son approche, la fugacité et l’éphémère de la photographie sont paradoxalement liés à l’immortalité et à la malléabilité de la peinture. L’aspect moderne qu’il donne à ses œuvres réside dans son utilisation de la photographie pour transformer ses sujets en thèmes profondément personnels. Les couches que Cowen ajoute à ses travaux de photographie brouillent la signification d’origine, adoucissent les contours tranchants et réalisent une transformation qui les fait passer du banal au sublime.

Jeff Cowen est un citoyen du monde. Il est né à New York et a fait ses classes dans cette ville, sauf en 1987, année où il est allé étudier au Japon. En 2001, il a déménagé à Paris et, depuis 2007, il vit et travaille à Berlin. De 1988 à 1990, il a été l’assistant du photographe américain Larry Clark, puis, de 1990 à 1992, celui de Ralph Gibson. Sans aucun doute l’œuvre de ces mentors a eu une influence sur l’approche photographique de Cowen, mais elle n’est pas immédiatement perceptible. Jeff Cowen a commencé sa carrière en tant que photographe de rue à New York, mais le fait de dépendre de sujets externes pour s’exprimer a fait naître chez lui une grande frustration. « Je devais toujours attendre qu’il se passe quelque chose. Il me fallait le bon angle de vue, le bon sujet et le bon éclairage. Et une telle combinaison se produisait rarement. En gagnant en expérience, je me suis rendu compte que je voulais maîtriser complètement ce que j’avais devant moi, afin de donner naissance à ce que je porte en moi plutôt qu’être dépendant du monde extérieur. Alors j’ai commencé à inviter des gens à venir dans mon studio, pour travailler comme un peintre ».

Jeff Cowen n’a rien d’un ermite, mais son œuvre se crée au cœur de son studio, issue des images qui se forment dans son esprit. La grande majorité des sujets qu’il choisit – des nus, des paysages, des natures mortes et des portraits – fait partie du répertoire classique. En arrachant ses sujets à leur environnement d’origine, il leur confère une dimension universelle, il leur donne une vie propre. Même les objets inanimés se retrouvent dotés d’une âme grâce à sa technique, comme dans sa dernière série, Sculpture Photographs. Cowen ne cherche pas à produire une représentation fidèle de ses sujets. « Quand on prend quelqu’un en photo, le défi c’est de saisir le bon moment, et ça peut être difficile. […] Il faut laisser les choses se faire de manière organique. Avec une statue, c’est plus difficile encore. Elle n’est pas vivante physiquement, donc cela requiert un peu de magie photographique. Je transforme les sculptures en les photographiant, dans l’espoir de donner l’impression qu’elles respirent, comme nous avons la chance de le faire le temps d’un moment délicieux, mais court », expliquait Cowen en 2016.

Cowen est réticent à utiliser le terme “portrait”, car ses images ne tentent pas de transmettre la personnalité du modèle. « Quand je prends un visage en photo, je cherche à capturer un universel spirituel de l’humain, quelque chose que nous avons tous en partage. » Il décrit en ces termes le visage de l’un de ses modèles, Emmanuella : « Cette forme parfaite et organique d’œuf […] c’est presque un élément graphique abstrait sur le fond noir du négatif. »

Jeff Cowen décrit ainsi sa méthode de travail : « J’utilise un appareil argentique et après une prise de vues, je développe la pellicule, je tire des planches de contact puis de petits tirages de ce qui m’intéresse. Et je place ces photos sur le mur de mon studio, où je les examine pendant une durée indéterminée. Ensuite, je prends beaucoup de temps pour regarder et contempler ces tirages. Si l’un d’eux me plaît, je décide parfois d’en faire un agrandissement grand format dans la chambre noire. Je suis un imprimeur plus qu’un photographe. » Et dans la chambre noire, il utilise ses connaissances en chimie. Il traite la surface du papier avec des émulsions, des expositions lumineuses. Et dans l’atelier, c’est la peinture, le collage et le perçage qui interviennent. Pour finir, l’œuvre reçoit une sorte de piercing, car il la punaise ou la cloue à un support. Ce traitement adoucit les contours de ses sujets, les rend ambigus.

L’aspect le plus paradoxal du travail de Jeff Cowen est qu’il crée avec maestria des œuvres photographiques tactiles à une époque où notre société (et en particulier le médium photographique) est dominée par la technologie numérique. Comment expliquer que son œuvre, qui, par ses accointances avec l’art pictural, revêt un aspect archaïque, ait acquis une importance significative dans le monde de la photographie ? « Les contours doux, les pratiques mélangeant les genres, les idéologies fluctuantes et les styles de vie nomades sont un signe des temps, et font revenir sur le devant de la scène les sensibilités baroques », écrit le sociologue Michel Maffesoli. La sensibilité baroque de notre époque est communément exprimée via le corps, dont les contours s’effacent lorsque la peau est peu à peu saturée par une collection de tatouages colorés. Les traitements utilisés par Cowen transforment ses photographies – qui sont, pour lui, aussi intimes que sa propre peau – en objets doux et ambigus.

Jeff Cowen, Photoworks
Du 11 mars au 4 juin 2017
Huis Marseille Museum for Photography
Keizersgracht 401
1016 EK Amsterdam
Pays-Bas

www.huismarseille.nl

https://www.huismarseille.nl/en/

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