Rechercher un article

Interview avec Lisa K. Erf à propos de la JPMorgan Chase Art Collection

Preview

J.P. Morgan est partenaire officiel de Paris Photo pour la 4e année consécutive. Lisa K. Erf, directrice depuis huit ans de la JPMorgan Chase Art Collection, nous parle de son travail de curatrice, de la collection et de la sélection de photographies qui en sont issues présentée pendant la foire.

Parlez-nous de la collection…

La collection est considérée comme le modèle et le précurseur des collections d’entreprise. David Rockefeller l’a lancée en 1959, nous fêtons cette année notre 55e anniversaire. L’idée était “l’art au travail”. Elle est venue à l’époque avec les nouveaux programmes d’architecture et de rénovation de la compagnie : cela n’avait pas de sens d’y remettre les vieilles peintures. La compagnie a commencé à acheter de l’art contemporain, l’art de son temps. David Rockefeller pensait que l’art devait être une extension de la vie quotidienne, qu’on devait donc avoir des œuvres d’art dans les bureaux : du service courrier aux salons qui accueillent les clients. La réponse des employés a été très positive, et la collection a commencé à grandir. Nous avons aujourd’hui 30 000 pièces exposées dans 450 bureaux partout dans le monde. La collection, l’une des plus importantes au monde, comprend essentiellement de l’art moderne et contemporain. Parmi les artistes, dont nous avons acheté les œuvres alors qu’ils n’étaient pas encore connus, nous avons des pièces incroyables d’Alexander Calder, Josef Albers, Sam Francis, Pierre Soulages, Cy Twombly, Robert Smithson, Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons ou Joan Mitchell… La photographie représente environ un cinquième de l’ensemble, mais si l’on tient compte des travaux d’artistes qui ont utilisé la photographie comme base pour leurs sculptures, leurs tableaux ou leurs performances, et pas uniquement la photographie classique, le nombre en est bien plus élevé.

Ce dont je suis particulièrement fière avec la JPMorgan Chase Art Collection, c’est qu’il me semble que, pour une grande compagnie comme celle-ci, ce dont nous nous préoccupons vraiment est de constituer une collection pour l’intérêt de l’art. Nous ne faisons pas de spéculation, pas de publicité particulière [la collection n’a pas de site internet dédié par exemple]. Nous la montrons dans des expositions à certaines occasions comme pour nos 50 ans, en 2009, ou lors d’opérations comme Paris Photo. Nous cherchons aussi à toucher de nouveaux publics. À chacune de nos expositions par exemple est associée une action éducative à l’adresse des jeunes et des familles. Et nous avons un programme très actif de prêts aux musées. Mais la meilleure façon de voir notre collection est de travailler chez nous ou avec nous. La collection fait vraiment partie de notre identité.

Qui collectionnez-vous aujourd’hui ?

Je n’achète que des œuvres d’artistes vivants — ou parfois d’artistes qui devraient être toujours vivants, comme le photographe Tsen Kwong Chi, dont nous montrons une petite image à Paris Photo, et qui est mort du sida. Ce sont en général de jeunes artistes émergeants ou, ce qui est parfois plus excitant, des artistes qui travaillent depuis longtemps, mais qui n’ont pas été découverts par le marché et dont le travail est encore accessible financièrement. Ou alors des artistes qui sont connus chez eux mais pas aux Etats-Unis. Depuis que je suis à la tête de la collection, j’ai, par exemple, beaucoup augmenté la part des artistes latino-américains. Leur travail est en général d’une extrême qualité, mais ils restent sous-évalués pour le moment. De la même façon, nous avons commencé une campagne historique d’acquisitions de pièces de jeunes artistes au Moyen Orient.

Parmi ceux que nous avons fait entrer récemment, je suis très enthousiaste à propos du photographe norvégien Bjørn Sterri, que j’ai découvert à la foire de Milan l’année dernière, et qui est aussi dans l’exposition à Paris Photo. Il est l’exemple type de quelqu’un arrivé au milieu de sa carrière, dont le travail, très personnel, n’attire pas encore l’attention qu’il mérite. C’est une vraie joie de trouver un artiste comme lui, qui a perfectionné son art, mais qui reste abordable. Ou Sarah Trouche, que je présente également dans notre sélection. Je l’ai rencontrée il y a deux ans par le biais d’un ami qui m’a emmenée dans son atelier. J’adore son travail : elle fait des performances dont le but est de prendre une photo. Elle voyage, rencontre des gens, se met dans des situations souvent risquées, puis elle organise une performance et en tire une image unique. Elle sait d’avance quelle photographie elle veut faire, la performance fait partie du processus.

Quels sont vos critères de choix ?

Je recherche avant tout la qualité et un prix acceptable : notre budget est modeste comparé aux standards d’aujourd’hui. Mon choix est très intuitif. Si je sens que l’œuvre est forte, qu’elle induit du plaisir ou du trouble, je commence à passer plusieurs choses en revue. Est-ce que l’œuvre a sa place dans la collection, esthétiquement ? C’est mon premier critère. Je connais la collection par cœur et je ne perd jamais de vue que j’achète, pour une institution financière, des œuvres qui vont être accrochées dans les bureaux, avec lesquelles les gens vont vivre. Je peux choisir un travail provoquant, mais pas une pièce qui crée une trop grande confrontation. Ma seconde question est souvent : est ce que je connais une œuvre équivalente en termes de qualité qui soit le travail d’une femme ? Je voudrais accroître la présence des femmes dans la collection, qui a toujours été très variée, mais dans laquelle les hommes américains et européens sont surreprésentés. Comme c’est souvent le cas. Ces dernières années, j’ai également cherché à acquérir plus de pièces d’artistes afro-américains.

Comment partez-vous à la recherche des artistes ?

Je vais là où JPMorgan m’envoie, là où nous avons des bureaux, pour accrocher des œuvres ou pour un événement. Par exemple, j’étais récemment en République dominicaine pour lancer un livre sur la scène contemporaine. J’en profite pour aller chez les collectionneurs, voir ce qui les intéresse localement, ce qu’y font les artistes et comment ils s’intègrent dans l’histoire de l’art. Je n’impose pas mes hypothèses, j’apprends, et j’achète sur place. Quand je sais que je vais quelque part, je garde une part de budget pour acheter là où nous travaillons. La collection est vraiment liée à l’activité de la compagnie.

Pourquoi avez-vous choisi d’être partenaire de Paris Photo ? Quelle est l’importance de la photographie dans votre collection ?

Nous sommes impliqués dans la photographie depuis 45 ans, depuis les années 60, et encore d’avantage depuis les années 70. Il me semble que lorsqu’on cherche, comme moi, à représenter la création contemporaine et davantage de femmes, la photographie est en pointe. Chacune de nos acquisitions dans ce medium a été soigneusement étudiée, nous avons un ensemble d’une grande qualité. Par ailleurs, la plus grande partie de la collection est constituée d’œuvres sur papier ou d’impressions, parce qu’elles sont souvent plus abordables, et plus flexibles dans un environnement de travail. Tellement de choses intéressantes se passent dans la photographie depuis quelques années : conceptuellement, dans les techniques d’exécution, dans ce qu’elle dépeint que ce soit abstrait ou figuratif… La proportion de photographies dans la collection est en constante augmentation. Mon but est de montrer de façon la plus large possible comment les photographes travaillent aujourd’hui. Je suis moins intéressée par les œuvres purement théoriques. Pour moi la photographie ouvre aux gens des fenêtres dans l’espace, non seulement physiquement mais aussi psychologiquement. Ceux qui ont des photographies dans nos bureaux les adorent. C’est un médium très populaire.

Paris Photo, c’est aussi une merveilleuse occasion pour moi de découvrir des artistes que je ne connais pas. Il y a deux ans par exemple, j’ai découvert à la foire le travail de la Péruvienne Luz Maria Bedoya, dont les images, que je trouve intéressantes et mystérieuses, regardent à l’intérieur des immeubles, la nuit.

Cette année, vous montrez une sélection de photographies de la collection sur votre stand, dans une exposition appelée Camera as Release [les travaux de 13 artistes contemporains : Vito Acconci, Sanford Biggers, Flavia Da Rin, Ana Mendieta, Bruce Nauman, Lilly McElroy, Dennis Oppenheim, Miguel Angel Rios, Cindy Sherman, Laurie Simmons, Bjørn Sterri, Sarah Trouche, et Tseng Kwong Chi, parmi lesquels beaucoup que Lisa K. Erf a acheté depuis qu’elle dirige la collection]. Pouvez-vous nous en parler ?

Comme chaque année à Paris Photo, j’essaie de présenter des images importantes d’artistes connus, mais aussi de surprendre le public en leur montrant des pièces d’artistes qu’ils ne connaissent pas ou dont ils ne savaient pas qu’ils avaient des œuvres basées sur la photographie. Dernièrement, il me semble que Marina Abramovic était partout avec ses performances. J’ai pensé que les photographes sont aussi des performeurs innés par leur façon de se cacher derrière leur appareil et, pour beaucoup d’entre eux, de s’utiliser dans une forme de performance. Il se trouve par ailleurs que j’adore l’œuvre de Vito Acconci, qui est dans l’exposition et qui vient de notre Clients Center de New York. C’est un travail qui allie texte et photo et qui fait partie d’une de ses séries des années 60 sur la connexion entre l’homme et la machine, liée à la photographie. Dans le texte il y a : Camera as resistance, camera as release. J’ai pensé qu’aujourd’hui tout le monde prend des selfies : je suis frappée par l’idée de ces gens partout dans le monde qui ont besoin de s’autodocumenter tout le temps. Il y a là aussi un aspect performatif. J’ai donc choisi différentes pièces de la collection pour montrer comment les artistes s’intègrent eux-mêmes dans leur travail. Sanford Biggers, par exemple, qui crée des objets, puis une performance et se fait photographier par quelqu’un d’autre. Alors que Bruce Nauman décide qu’il est art. Denis Oppenheim, lui, se représente lui-même et à travers ses enfants. La très célèbre image de Laurie Simmons, Walking Camera, même si ce n’est pas elle sur la photo, est davantage un motif emblématique, un symbole de l’appareil comme objet performatif… La plus récente de nos acquisitions dans la sélection est une belle image évocatrice de Lilly McElroy.

Propos recueillis par Anne-Claire Meffre.

 

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android