Ilford Imaging a beau avoir fait faillite en décembre 2013, le site de ce fleuron mondial du matériel photographique, à Marly près de Fribourg, n’est pas laissé à l’abandon. Au contraire: un projet pharaonique, le Marly Innovation Center (MIC), vise même à lui offrir une deuxième jeunesse, comme SEPT.info l’avait révélé dans un premier article mis en ligne le 17 juillet.
Nous complétons cet article ce 8 octobre à la suite de la conférence de présentation du «masterplan» de la zone. Ce plan d’action, imaginé par l’architecte Bernard Vichet, qui dirige le bureau Destal Ingenieria (Barcelone et Shanghai) a été validé en juillet par la commune de Marly.
Ateliers dédiés à l’artisanat et à la sous-traitance, clinique de jour, bureaux pour des sociétés de service, amphithéâtre de 220 places, fondation dédiée à Hubert Audriaz, musée de la photo et du papier, place pour des manifestations populaires, centres culturel et sportif comprenant notamment un manège: au delà des constructions déjà existantes, qui occupent 70’552 mètres carrés de surface au plancher, le dossier table ainsi sur pas moins d’une vingtaine d’unités pour une surface de 58’398 mètres carrés. Cela sans compter le développement parallèle d’une zone résidentielle.
Ce «masterplan» ambitieux ne manquera pas de faire causer dans les chaumières: il vise à créer ni plus ni moins de 1500 emplois à moyen terme, à accueillir une centaine d’entreprises et à investir plus de 100 millions de francs dans la rénovation du site actuel ainsi que dans la construction des nouveaux bâtiments. L’objectif étant de construire le quartier du futur, comme l’explique à SEPT.info l’architecte Bernard Vichet.
Cet architecte bien connu dans le canton de Fribourg fait partie du groupe de réflexion qui a repensé les lieux. Un groupe emmené par Damien Piller, avocat d’affaires (et président du conseil d’administration de SEPT.ch SA, la société éditrice de SEPT.info) et par l’équipe du MIC.
Pour rappel, cette dernière a repris les activités de Ilford Property, l’entité qui gérait les biens immobiliers de la défunte société Ilford Imaging, et qui a échappé à la banqueroute avant de changer de nom. C’est que plusieurs fournisseurs ont perdu de l’argent dans la faillite du géant de papier. Beaucoup d’argent pour certains. Ainsi, les simples achats en ville, pour de l’outillage ou des besoins courants, se sont-ils peu à peu transformés en chemin de croix. «On faisait des misères à nos employés. On leur refusait des crédits», reprend Jean Marc Métrailler. «Je ne dirais pas qu’on était chassé lorsqu’on s’annonçait au nom d’Ilford, mais on n’en était pas loin, parfois.»
À la tête du MIC, les anciens plus hauts cadres d’Ilford ont conservé les postes à responsabilité: l’ex-chef de la production Michel Gremaud, l’ex-directeur financier Jean Marc Métrailler et l’ex-directeur général Paul Willems tiennent désormais le gouvernail du MIC. À leurs yeux, il était temps d’abandonner l’identité d’Ilford et de se tourner vers l’avenir. Ilford Property est ainsi devenue le MIC, le «Marly Innovation Center», une société à responsabilité limitée (Sàrl) au capital de 100’000 francs. «Car malgré quelques échos encore positifs, il était devenu difficile de vivre dans une entreprise qui s’appelait Ilford, une marque associée à un traumatisme régional», reprend Jean Marc Métrailler, qui se réjouit de la mise en route du projet de revitalisation du site.
Après la faillite d’Ilford, et pour maintenir certains pans d’activité en vie sur la base d’un business plan viable, tout avait été revu à la baisse, y compris les salaires. À la recherche d’alliés, les dirigeants du Marly Innovation Center avaient tissé un partenariat avec Anura SA, la société de Damien Piller, afin de payer les charges d’exploitation. Désormais, c’est lui qui soutient le MIC. L’été dernier, c’est lui, déjà, qui avait permis à Ilford de prolonger sa survie de quelques mois par un apport de liquidités (lire ci-dessous).
Mais avant de penser à l’avenir, les dirigeants ont été contraints d’assurer le présent. Ils ont ressuscité certains niches d’Ilford Imaging via la création de nouvelles sociétés. Par exemple DFI CHEM, start-up de quatre chercheurs de pointe dans le développement de colorants, à la recherche d’investisseurs, ou CMA Imaging, active dans la commercialisation des services de gestion de couleurs et de produits à jet d’encre destinés à la branche graphique. L’entreprise fribourgeoise Wifag Polytype a, de son côté, repris sous son aile une dizaine d’employés d’Ilford Imaging compétents dans la recherche et le développement des couleurs et de l’enduction. C’est Lars Sommerhäuser, un autre ancien dirigeant du groupe Ilford, qui dirige cette équipe. Au total, grâce à ces nouvelles structures entrepreneuriales, 35 employés d’Ilford ont retrouvé un emploi; la restructuration et la faillite de leur entreprise, l’an dernier, avaient condamné deux cents vingt personnes au chômage.
Pour l’ancienne direction, ces relances ne sont en rien des artifices. A l’été 2013, lorsqu’ils avaient cherché des investisseurs pour reprendre le groupe, ils avaient constaté que nombre d’entre eux s’intéressaient à des produits spécifiques, à des niches, mais jamais à l’ensemble. Et depuis, ils le répétaient à l’envi: la vulnérabilité d’Ilford était son surdimensionnement. Ce paramètre éliminé, restaient des actifs immatériels: la marque, une centaine de brevets, la propriété intellectuelle, les compétences. «On a fait en sorte que les activités restent ici, à Marly», relève Paul Willems. «On voulait absolument éviter que tous les brevets partent à l’étranger.»
Tandis que cette la gestion immobilière demeurait une activité «secondaire» d’Ilford Imaging, elle est désormais la seule et unique mission du MIC. Et le travail ne manque pas avec les 70’000 m2 actuels de surface au plancher, soit 10 terrains de football. Paul Willems, actuel directeur du MIC, y voit une opportunité de créer un écosystème de sociétés actives dans l’innovation et la haute technologie. Il pointe les excellentes capacités de stockage existantes. «Nous possédons aussi l’expérience et les compétences pour accompagner les sociétés dans leur stratégie de développement et marketing», précise-t-il.
La disparition d’Ilford Imaging continue cependant d’affecter le MIC. Le dialogue est en effet permanent avec l’administration des faillites, qui doit avaliser la libération de certains locaux et procéder à la vente de certains biens. Wifag Polytype a ainsi déjà acquis pour 378’000 francs de brevets, 216’000 francs d’installations, 36’000 francs d’arriérés de loyers et 65’000 francs d’arriérés de salaires. Soit un total de 695’000 francs. Les sociétés australienne C.R. Kennedy & Company et japonaise Chugai Photo Chemical se sont appropriées toutes les marques déposées (sauf CMA Imaging) pour 2 millions de francs. Les Taïwanais de Lin & Life International Trading ont récupéré des microfilms couleurs pour une valeur de 165’000 dollars, tandis que les Indiens de Rex Tone Industries Limited souhaitent désormais mettre la main sur certains brevets pour 350’000 dollars.
Le MIC a, quant à lui, racheté un stock de matières premières, d’emballages et de produits pour 885’000 francs. Des sommes qui serviront à l’indemnisation des créanciers dans le cadre de la faillite. D’anciens employés se sont parfois lamentés sur les lenteurs du processus. Jean Marc Métrailler, lui, souligne l’ampleur de la tâche. Au 31 janvier 2014, l’Office fribourgeois des faillites a déclaré que le processus prendrait des mois. «Je pense qu’ils étaient plutôt optimistes», lâche-t-il.
Un temps, il était envisagé que tout le bâtiment soit détruit. Aujourd’hui cependant, le nouveau projet de Destal Ingenieria prévoit de le vider et d’en modifier son affectation.
Pour le MIC, reste encore à générer des revenus. «Les affaires progressent depuis le début de l’année, et cela devrait continuer», se réjouit Jean Marc Métrailler. En effet, les dirigeants sont en discussion avec des dizaines de locataires potentiels qui ne sont pas exclusivement issus du milieu industriel. Parmi eux, la «Maison des Artistes», une coopérative inscrite au registre du commerce depuis décembre 2013, qui vise à mettre à disposition d’artistes, d’artisans ou d’associations, des ateliers de travail à prix modéré. «On est heureux de quitter le domaine de l’innovation et de s’ouvrir à celui de l’art», affirme l’actuel directeur du MIC.
Quant à Bernard Vichet, il se réjouit de ce nouveau projet qu’il voit comme la continuation de ce qu’il a entrepris il y a près de vingt ans.
Du côté de Marly, pas question cependant d’y percevoir une quelconque concurrence. Même si rien ne relie pour l’instant les deux projets, les opportunités de collaboration sont réelles: «Nous sommes en avance puisque nos locaux sont prêts et déjà bien occupés par plus de 250 personnes. Mais ce n’est pas une course», lâche Jean Marc Métrailler. Paul Willems abonde: «Il serait idiot de mettre en compétition deux sites fribourgeois qui disposent d’atouts différents et complémentaires, alors que le jeu de la concurrence fait rage aujourd’hui aux niveaux national et international», relève ce Belge d’origine. «On croit parfois que Marly, c’est la fin du monde. Mais c’est à cinq minutes de la gare de Fribourg. En travaillant ensemble, en misant sur les bonnes cartes, la région pourrait s’imposer comme un hub de compétences.»
Un optimisme partagé par Jean-Luc Mossier, directeur de BlueFactory: «L’offre est à ce point complémentaire qu’il n’est pas exclu que des sociétés choisissent de s’installer sur les deux sites pour profiter de leurs qualités respectives.» Si BlueFactory bénéficie de la proximité de l’Université de Fribourg et de la gare, le parc ne dispose en revanche pas d’espace de production, contrairement au MIC. Qui vise à l’avenir la perfection. Ou, à tout le moins, une harmonie, comme le souligne Bernard Vichet. Manquera-t-il quelque chose à ce quartier qui pourrait presque vivre en autarcie? «L’évasion», sourit-il.
Ilford : clac de fin (1/5)
Ce qui a tué Ilford (2/5)
Ilford, une institution (3/5)
Un projet pharaonique pour le site Ilford Imaging (4/5)
Non, Ilford n’est pas mort (5/5)
www.sept.info/author/thomas-dayer