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Ilford, récit d’une faillite : Non, Ilford n’est pas mort (5/5)

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Le monde de la photographie croyait Ilford mort et enterré. Il n’en est rien. Tandis que le site fribourgeois de la prestigieuse entreprise suisse de matériel photographique s’imagine un avenir radieux grâce au projet pharaonique du «Marly Innovation Center» conçu par l’architecte Bernard Vichet, le papier réputé qu’elle produisait a lui aussi trouvé un endroit pour ressusciter.

Dans une récente édition du magazine Fine Art Printer, un homme au large sourire pose devant une une factice du New York Times. «Ilford returns» («Ilford revient»), est-il écrit. On devine également une maquette imitée du journal allemand Frankfurter Allgemeine avec ces mots: «Ilford in sicheren Händen» («Ilford entre de bonnes mains»). Cet homme, c’est Arnoud Mekenkamp, directeur marketing de Tecco.

Car l’intrigue de cette renaissance met en scène trois acteurs. D’abord, les Australiens de C. R. Kennedy & Company. Ensuite, les Japonais de Chugai Photo Chemical Co, dont la filiale JetGraph était entrée dans le capital-actions d’Ilford Imaging Switzerland quelques semaines seulement avant sa faillite. Enfin, les Allemands de Tecco, une autre filiale de Chugai, entreprise de taille modeste mais depuis longtemps implantée dans la distribution de papier photographique en Europe.

SEPT.info l’avait déjà révélé il y a quelques mois: dans le cadre de la procédure de faillite, les marques déposées et les actifs associés d’Ilford Imaging Switzerland ont été acquis, en partenariat, par Chugai Photo Chemical Co. et C. R. Kennedy & Company, pour la somme de deux millions de francs.

Le rappel de cette transaction, survenue pendant l’été, provoque un sourire amer chez certains ex-employés d’Ilford Imaging Switzerland. «L’argent acquis via une telle vente s’ajoute à la masse de la faillite, qui doit servir à régler des dettes envers des fournisseurs ou des anciens employés», font-ils remarquer. De leur côté, peut-être ne recevront-ils jamais un centime de l’argent qui leur est dû.

«Or, la marque a été bradée», accuse l’un de ces anciens employés. «Apparemment, JetGraph avait injecté cinq millions de francs pour tenter de sauver l’entreprise. C’est pour cette raison qu’ensuite, la maison-mère Chugai a pu rafler la marque et les actifs pour un montant dérisoire. Deux millions de francs, ce n’est rien en regard de ce qui a été obtenu.» A savoir l’opportunité de relancer certaines activités lucratives autrefois exécutées à Marly.

Fruit de la joint-venture entre Chugai et C. R. Kennedy, la société à responsabilité limitée (Sàrl) Ilford Imaging Europe a été constituée en mai déjà. Et, depuis cet été, la vente de papier photographique destiné au secteur du jet d’encre a été relancée. L’entreprise a établi sa base à Bergisch Gladbach, près de Cologne. A la même adresse que Tecco. Elle n’a eu besoin de recruter aucun ex-employé d’Ilford Imaging Switzerland. Elle n’est en quelque sorte qu’un bureau. Ou plutôt, un nom.

En septembre, Ilford Imaging Europe a tenu un stand d’exposition à la foire Photokina, à Cologne justement, où ni Chugai, ni C. R. Kennedy n’était présent. «Les différents sociétés travaillent pour remettre la marque Ilford sur le marché», souffle un acteur impliqué dans le dossier, qui a accepté de témoigner sous le couvert de l’anonymat.

D’abord, la nouvelle entreprise poursuit la distribution des stocks restés en rade à Marly. Ensuite, elle assure la relance du coupage et du conditionnement de certaines sortes de produits. «Autrefois déjà, ces types de papiers ne subissaient aucun traitement à Marly», relève notre source.

«Personne ne trahit de secret en disant que la maison Schoeller, en Allemagne, produisait la majorité des supports papiers utilisés dans le monde de la photographie déjà du temps où Ilford était installée à Marly», analyse Jean-Noël Gex, qui fut le dernier responsable du support technique d’Ilford à Fribourg. «Ce que vous constatez, ce n’est pas une reprise de la production. C’est seulement une commercialisation de produits tiers sous le nom Ilford.»

Mais la nouvelle entité, qui s’approvisionne donc chez Schoeller ou d’autres fournisseurs comme Mitsubishi ou Sihl comme le faisait Ilford Imaging Switzerland, ambitionne aussi de relancer la production de papiers photographiques autrefois confectionnés à Marly.

«Nous évaluons la demande du marché pour fixer les priorités, mais tous les produits importants continueront à être produits», indique Sheldon S. Nazaré, directeur de la communication d’Ilford Imaging Europe. «Pour le moment, aucun produit n’a été condamné.»

«Il ne s’agira jamais d’équivalents, tout juste des pseudo-équivalents», souligne notre première source. «Prenez le Smooth Pearl, ou le Smooth Gloss. Ce sont des produits spécialement impossibles à recréer ailleurs.»

Pour preuve, certains anciens ingénieurs d’Ilford Imaging Switzerland, transférés dans d’autres entreprises, avaient autrefois essayé d’exporter les recettes, sans pouvoir toutefois égaler le caractère d’origine. «La relance de la marque, c’est du marketing pur», estime notre source. «C’est une question de prestige. Il serait inconcevable de ne pas profiter de la notoriété d’un nom comme Ilford.»

Afin de savoir s’il existe des différences entre les papiers vendus sous la marque Ilford entre l’époque marlinoise et aujourd’hui, nous avons utilisé le formulaire de contact ordinaire du site Ilford. Nous avons reçu réponse par l’intermédiaire de Roger Engelberger. Son entreprise Engelberger AG, basée à Stansstad, est la distributrice officielle du papier Ilford pour la Suisse.

«Il est correct que Ilford Imaging Switzerland (sic) a fait faillite, ce qui a conduit à une rupture temporaire de stock. Mais les nouveaux propriétaires ont pris le relais en ce qui concerne l’assortiment. Il est donc de nouveau disponible sur le marché suisse.»

Mais qu’en est-il de la qualité? A-t-elle été préservée? «La majorité des papiers sont identiques à ceux vendus précédemment, quelques-uns ont été nouvellement développés», assure Roger Engelberger. «De manière générale, la qualité est au moins aussi bonne qu’auparavant.»

Directeur du marketing de Tecco, Arnoud Mekenkamp ne s’en cachait pas dans une l’article du «Fine Art Printer»: «Concernant les papiers qui étaient autrefois coulés en Suisse, de minimes écarts seront inévitables.»

Roger Engelberger nous conseille d’ailleurs de lui soumettre le type de papier dont nous voudrions savoir s’il est identique aujourd’hui à celle de feu Ilford Imaging Switzerland. Manager de produit auprès de Engelberger AG, Andreas Hofer indique que le «Gold Fiber Silk» désormais vendu est à 100% identique à l’ancien (Ilford en externalisait la production). Le «Smooth Pearl» est à 97% identique. Quant au «Smooth Gloss», il s’agit d’un «nouveau papier, mais très proche de l’«ancien» Smooth Gloss d’Ilford», explique Andreas Hofer. Sans mentionner de chiffre.

Pour Jean-Noël Gex, ce débat est dépassé. «A l’époque, c’est l’alliage de technologies entre les encres et le papier qui faisait la qualité des produits Ilford», souligne-t-il. «Aujourd’hui, les progrès dans le domaine des encres sont tels que la qualité du papier n’est plus autant primordiale que lorsque nous avons connu nos plus belles années.»

Reste la question éthique de l’utilisation de la prestigieuse marque Ilford pour vendre des produits d’une qualité désormais amoindrie. Quoi qu’il en soit, la région fribourgeoise a été amputée d’un fleuron industriel, d’une institution, si des fournisseurs ont perdu beaucoup d’argent, si la dernière restructuration et la faillite ont laissé plus de 200 employés sur le carreau, Ilford Imaging a ainsi trouvé le moyen de ressusciter en Allemagne.

 

Ilford : clac de fin (1/5)
Ce qui a tué Ilford (2/5)
Ilford, une institution (3/5)
Un projet pharaonique pour le site Ilford Imaging (4/5)
Non, Ilford n’est pas mort (5/5)

http://www.nicolasbrodard.com

www.sept.info/author/thomas-dayer

http://www.sept.info

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