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Histoires de scoop. PHOTO #205, oct 1984 : Stéphanie de Monaco

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« Stéphanie de Monaco et Anthony Delon ont passé la journée au Beach. » L’information tombe le mercredi 1er août à 18 h. Nul n’y prête encore attention. Ce qui en trois jours va devenir l’événement sentimental de l’été, le scoop de ce mois d’août, un roman policier insensé, ne bouleverse alors que cinq personnes. Quatre photographes, dont un qui, en observant la rencontre, affirmera dès le soir : « Anthony est là uniquement pour Stéphanie et il va réussir. » Et Michel Sola le responsable du service photographique de Paris Match. Pour lui, si l’information se confirme, c’est le drame : tout ce qui se produit au-delà de mardi 20 h est irrécupérable. Le journal est bouclé, il roule, les premiers exemplaires tombent. La couverture : Ornella Mutti. S’il se passe quoi que ce soit, il faudra attendre et tenir huit jours. L’attente sera très longue.

Mais que se passe-t-il au fait? Le Beach est un complexe hôtelier situé en territoire français mais loué à la Société des bains de mer monégasque. C’est un ensemble formé d’un hôtel, d’un restaurant, d’une piscine, d’une plage ultraprivée sur laquelle sont disposées des tentes louées à des prix quelque peu prohibitifs. Un certain nombre de personnalités y sont présentes, ce qui invariablement attire les photographes. Le Beach, comme tout territoire monégasque, est en permanence contrôlé par la police, et l’ennemi n° 1 est systématiquement le photographe. Tous sont fichés et surveillés. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles. Il y a quatre possibilités : payer son droit d’entrée au Beach et essayer de faire quelques clichés — c’est quasiment impossible vu le nombre de gens ; photographier du parking public qui le surplombe à 200 mètres ; ou des rochers, sur la gauche, qui le sépare de la plage publique ; ou encore louer un bateau et rester au large (voir dessin).

En ce premier jour du mois d’août, ils sont quatre photographes à ainsi observer la rencontre. Quatre bons, professionnels jusqu’au bout des ongles, venus plus pour Caroline de Monaco, Sheila, Nastassja Kinski, Michel Sardou que pour Stéphanie— son idylle de deux ans avec Paul Belmondo ne stimule plus guère l’intérêt. Pourtant, ce matin-là, quand Anthony et Stéphanie se rencontrent à la piscine, nul n’est dupe. Il se passe quelque chose. Les regards ne trompent pas : les deux adolescents sont très attirés l’un par l’autre. Anthony d’ailleurs, contrairement à son habitude est venu sans fille, accompagné de son seul ami et manager. Alors les rumeurs renaissent. Paul et Stéphanie se seraient disputés quelques jours auparavant dans un restaurant. Elle souhaitait l’accompagner à une course il avait préféré prendre avec lui quelques mécaniciens.

Brouille ou rupture? On sait que Paul est dans le centre de la France chez sa grand-mère. Ce soir-là, 1er août, Régine donne une grande soirée brésilienne. Anthony et Stéphanie s’y seraient retrouvés mais nul photographe n’y a été admis. Jeudi 2 août. Confirmation ou pas ? Les quatre photographes sont sur le pied de guerre. Deux opèreront depuis les rochers, deux s’installeront sur un bateau loué à Nice, un hors-bord de 150 chevaux. Une heure de mer pour arriver en vue du Beach et y jeter l’ancre. Il est midi , l’attente commence.

A 13 h, l’un de ceux qui planquent sur les rochers va au parking privé du Beach. La Ford XR3 grise de Stéphanie et la BMW 320 noire d’Anthony s’y trouvent déjà. La tente d’Anthony, ils l’ont repérée la veille, à l’extrême gauche de la plage, près du débarcadère principal. Stéphanie est bien là, en maillot deux pièces noir et blanc. Anthony joue avec des amis. Rien ne se passe.

A 17 h, Anthony, Stéphanie et une bande d’amis se retrouvent sous la tente. Des rochers on ne voit rien. Du bateau, tout. Les jumelles du photographe tressaillent. Stéphanie s’est penchée sur Anthony et l’a embrassé. Il n’y croit pas encore. Il saisit son 500 mm muni d ‘un doubleur de focale. Ils travaillent tous avec des 500 ou des 600 mm doublés et des pellicules Fujicolor 100 ASA ou Ektachrome 200. C’est vrai, ils se sont embrassés, mais de plus ils quitteront ensemble le Beach, main dans la main, à la vue de tous. Ce qui était rumeur hier devient réalité. Que vous en soyez bouleversé ou pas, ce sera l’événement de l’été.

Vendredi 3 août, Michel Sola n’a plus qu’une obsession, tenir l’information secrète pendant encore six jours. Eviter toute fuite, toute indiscrétion, c’est dur quand on sait que la plupart des journaux concurrents de Match paient à l’année des informateurs au sein de la rédaction ou de l’imprimerie.

A 10 h, les quatre représentants des photographes sont dans son bureau. Un marché est conclu. Chacun recevra la même somme quoi qu’il arrive, mais chacun s’engage à ne distribuer aucune image aux concurrents. Une demi-heure plus tard, c’est le premier drame. Les photos du baiser de la veille sont parties par erreur chez un concurrent. Tout s’écroule ? Non, Le vendeur de l’agence les récupérera in extremis en prétextant une menace de procès. Au Beach, les quatre sont à nouveau là. Ils ont échangé leur place. Rien. Stéphanie ne se montre pas. Anthony fait du scooter tout seul ou avec ses amis. Les quatre photographes dînent ensemble, leur conclusion est la même, Rainier mis au courant a sévi, Stéphanie a été mise au pas. L’idylle tourne court. Match remet en cause sa couverture, où ils se tiennent par la main.

Samedi 4 août, deux des quatre photographes partent très tôt pour Saint-Tropez. Ils n’y croient plus et préfèrent suivre le vernissage d’une exposition. L’un des deux, néanmoins, a fait venir son vieux complice pour le remplacer, au cas où… Quelle lucidité ! Ils sont trois donc. Deux indépendants se joignent à eux plus tard mais ne feront pas le poids. Car le drame, c’est que tout le monde est au courant. Les informateurs ont tenu leur rôle et balancé la nouvelle. Le milieu des paparazzi est en émoi. Ils viendront tous, mais tous perdront vingt-quatre heures à repérer l’endroit. Professionnalisme oblige. Les deux premiers ont loué un bateau. Un ketch de douze mètres piloté par un marin. Femmes et enfants ont été embarqués. Qui va soupçonner un bateau où s’égaye une famille ? Dans les rochers, le troisième prend place en parfait touriste, boxer short, T-shirt blanc et bob sur la tête, le télé caché dans une serviette, les jumelles sous le T-shirt. Une visite au parking les a rassurés. Les voitures d ‘Anthony et de Stéphanie sont bien là. Alors, que va-til se passer ? Stéphanie a un maillot deux pièces rouge. Anthony fait du scooter de mer. Au bout d’une demi-heure, elle ne résiste pas et le rejoint. Sur le bateau, l’un des photographes saisit son boîtier. Le drame, la panne. Il saute dans l’annexe, rame jusqu’à la plage publique, se précipite dans un taxi, va jusqu’à Menton changer son boîtier et revient.

16 h, Stéphanie se change et enfile un maillot une pièce à rayures. Une demi-heure plus tard, elle refait du scooter avec Anthony. Puis, fatiguée, elle va se reposer sur une planche à voile à proximité du débarcadère (voir croquis). Anthony la rejoindra quelques minutes après et là, à égale distance des gros 600 mm, ce sera « la série», le moment d’abandon et de tendresse. Cela durera une heure. Quelques centaines d’images dans les trois boîtiers. L’idylle est née. Les deux photographes rentrant de Saint-Tropez dans la soirée acceptent avec amertume leur défaite et repartent la nuit même à Paris avec les films de leurs confrères.

Lundi 6 août, 11 h, Match prépare son bouclage. Dix pages, une couverture. Sola est à l’écoute du moindre bulletin radio ou télévisé, rien. Aucun quotidien ne pipe mot. Tout le monde sait et pourtant rien n’est ébruité. Dans les hebdomadaires concurrents, c’est l’affolement. Les directeurs eux-mêmes contactent les agences et surenchérissent sur les prix offerts. Mais aucun des quatre photographes ne cèdera. Voyou peut-être, mais une parole est une parole et aucun ne se déjugera. 18 h, deuxième drame, un indépendant a réussi à faire quelques clichés et les a donnés à tirer. 22 h 30, les films sont sous-exposés de 6 « diafs » et inutilisables.

Mardi 7 août, 13 h, la mise en page et la couverture sont prêtes à être envoyées à l’imprimerie. Troisième drame. Un informateur a prévenu directement le palais à Monaco et un référé de demande de saisie est notifié à Match pour le lendemain 15 h. C’est maître Matarasso, l’avocat de Match, qui prévient la rédaction. En hâte, un projet de couverture et dix pages intérieures sont refaites sur la mort de Richard Burton. Les arrières assurés, la rédaction peut se battre. Les photos ont été réalisées en extérieur et dans un lieu public. Un certain nombre de clichés montrant des touristes en arrière-plan en feront foi. Preuve ultime : Michel Sardou et un reporter de Match sans appareil, qui ont vu à cinq mètres de leur bateau Anthony et Stéphanie faire du scooter. La demande de saisie échoue. Match sortira. Résultat : un tiers de ventes en plus et Stéphanie punie, envoyée par son père en croisière en Sardaigne.

Le mot de la fin, c’est l’un des portiers du Beach qui l’aura, prévenant l’un des photographes le jour de la parution de Match : « Vous n’êtes pas au courant ? Anthony Belmondo a une histoire avec la princesse !» Lundi ler octobre : l’idylle est terminée, mais ce sont les cinq mêmes photographes qui ont révélé le visage du nouveau prétendant.

« L’Histoire du Scoop de l’été », PHOTO #205 , Octobre 1984

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