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La Fonctionnarisation de la Photographie

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Je vous l’accorde, ce mot est vraiment pesant, relativement indigeste, parfaitement dissonant, à la limite du bannissement. Pourquoi je vous le propose en titre de cette chronique ? Parce que sa forme et son fond envahissent et étouffent réellement l’ensemble de notre espace sociétal. La photographie, souvent à l’avant-garde des évolutions de nos structures sociales, n’est pas déçue de sa rencontre avec cet ogre dévoreur de création. Cette masse informe et décérébrée qui n’est pas hostile à s’offrir des petites gâteries, en avalant goulûment un grand nombre de nos manifestations, en d’autres temps, si prestigieuses.

Au départ, comme dans tous les contes, tout va pour le mieux dans le meilleur des Mondes. Par monts et par vaux, quelques photographes avec plus ou moins de talents et quelques ambitions personnelles légitimes, imaginent des manifestations (festivals, rencontres, rassemblements, etc.) aussi larges que possibles pour faire connaître leurs œuvres au plus grand nombre. La mayonnaise prend bien, pour notre expression créative, puisque au début la photographie, encore peu reconnue pour son utilité culturelle, s’installe et s’invite avec reconnaissance et panache dans notre vie. La représentation objective laisse la place à la représentation créative qui se retrouve, elle-même, débordée par la création photographique. Tout cela fonctionne bien avec des photographes aussi enthousiasmes qu’inconscients, avec des bénévoles aussi dévoués qu’admiratifs, avec des publics de connaisseurs aussi avides que passionnés. Un petit miracle que de découvrir tous ces photographes génétiquement si individualistes qui proposent des ambiances prospères au développement des techniques et à leur appropriation par des passionnés. Ils finiront même par imposer quelques-uns de leurs potes à l’Académie Française des Beaux-Arts (un peu logique pour porter un habit de lumière !).

Mais, les administrateurs patentés du bien-être de nos Mondes, ne l’envisagent pas du tout à travers les mêmes objectifs. Jetez-moi ce grand angle à la large vision que je ne saurai voir et refermez-nous cet angle si permissif. Remettons dans le droit chemin cette bande d’hurluberlus. Comment tous ces crânes d’œuf, avec ou sans plume, ont-ils pu réussir une telle opération publique d’anéantissement de la photographie ? Tout simplement, avec une technique qui leur est familière, celle dite de l’échelle, avec le levier fondamental des politiciens.

Lorsque la petite sauterie initiale, sur le « bateau-festival » des copains d’abord, a pris un peu d’importance dans une société qui retournait doucement aux loisirs, après la guerre, le danger est apparu. Comme toute chose susceptible de générer des voix électorales (de la crèche jusqu’aux maisons pour anciens), les manifestations photographiques ont attiré les politiciens qui se sont empressés de faire force promesses. Nos organisateurs et gestionnaires initiaux, un peu naïfs, n’avaient pas compris qu’une promesse n’engage que ceux qui l’entendent. Sans s’apercevoir, qu’elles n’étaient pas perdues pour tout le monde. L’administration, à l’affût de tout ce qui est susceptible de la rendre indispensable et de lui faire prendre de l’embonpoint, s’est engouffrée dans la brèche. Certes, les pouvoirs publics allaient débloquer quelques fonds (toujours beaucoup moins que la promesse) ; mais, il est évident que nos joyeux drilles inconscients de photographes ont été déclarés d’une incompétence totale pour gérer ces quelques picaillons avec les monceaux de démarches et de formulaires, aussi inutiles qu’incontournables à mettre en œuvre. Il est devenu indispensable de nommer un membre (directeur si possible) rompu aux rouages de cette administration puisqu’il en est issu. Les échelons de l’échelle se gravissent ainsi, non plus en fonction de l’intérêt de la manifestation pour tous, mais uniquement en fonction des plans de carrières de tous ces parachutés du cénacle. Il est à noter que les premiers intervenants, hors photographes, étaient souvent de vrais passionnés qui prenaient des vrais risques en termes de carrière. Malheureusement, nous ne pouvons pas constater une continuité pour leurs successeurs, beaucoup plus attentifs à leur ascension personnelle.

L’évolution devient cocasse lorsque nos brillants administrateurs se sont trouvés confrontés à des problèmes financiers. Les ressources des Etats n’étant pas inépuisables, même en pulvérisant les lignes d’emprunts publics, les concepts budgétivores de nos gestionnaires incultes ont dû trouver d’autres sources de revenus. Comme toujours dans ces cas-là, le cœur d’origine d’un évènement devient qu’un prétexte accessoire pour faire tourner une usine à gaz qui n’a plus d’âme.

Les sauveurs sont les empereurs de la finance, ces héros qui sortent du même moule que les administrateurs, mais en version moins limitée par les scrupules. C’est ainsi que les plus grandes manifestations photographiques internationales arrivent sur les derniers barreaux de leur échelle et se retrouvent dans un équilibre fort instable. Partout, la communication remplace l’intérêt photographique par la mise en avant des gentils sponsors qui affichent clairement leur présence omniprésente.

Le comble arrive maintenant avec un nombre important de colloques, de réunions, de petits déjeuners ou de conférences de presse orientés sur la photographie (son avenir, sa pérennité, sa place sociétale, son rôle, sa fonction écologique, ses obligations sociales, etc.). Toutes ces petites sauteries, plus ou moins subventionnées, oublient les photographes (les vrais qui savent faire une photographie qui ressemble à une photographie) qui ne sont jamais sollicités. Il faut dire qu’ils sont de moins en moins nombreux, en sus s’ils savent faire tout cela, ils sont vieux. Mais quand même, un peu de décence, ce n’est pas acceptable, je connais d’excellents photographes jeunes (moins de 40 ans cela convient !).

Fonctionnaires (plutôt coté finances), conservateurs (les mêmes, coté culturel), avocats (forcément spécialisés), commissaires d’exposition (depuis dix ans, ils ont poussé comme des champignons après une pluie d’automne), curateurs (ce sont les mêmes, mais ils ne savent pas encore), journalistes (un tour de table sans journaliste, c’est un jour sans pain), galeristes (qui confondent une encre de Chine et une solarisation), eux sont tous invités pour palabrer, sans voir s’étioler la photographie. Certains, un peu vicieux, participent activement à cette disparition des trublions.

Revenons à notre échelle photographique, échelle culturelle professionnelle, du haut en bas, elle est abondamment garnie d’un nombre important de spécialistes dont il est inquiétant que si peu connaissent les réalités et les merveilles de ce savoir-faire photographique.

Faut-il accepter la soumission à tous ces diktats, se laisser marcher sur les pieds, ou sur les pieds du collègue ? Profitons-nous de ce soi-disant confort (je m’occupe de tout pour vous) qui ressemble à une authentique tromperie. J’aurais préféré évoquer une galéjade.

Thierry Maindrault, 08 septembre 2023

[email protected]

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