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Gilles Peress : Whatever You Say, Say Nothing – Jours de Prison

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Reality’s Forceful Vengeance (La Vengeance Puissante de la Réalité) – Texte par Gilles Peress

Je me rends compte maintenant qu’en photographie, le projet de faire un livre est toujours une folie. Le livre prend très vite le dessus et dicte ; la cohérence stylistique exigée par le livre devient un frein non seulement à la photographie mais aussi à la perception elle-même. C’est un peu comme si le poème étranglait le poète. Bien sûr si je devais le refaire (grande question) je le ferais tout à fait différemment, mais dans l’état actuel des choses, le livre ne pourrait pas être autre que ce qu’il est. Ha!

Je devrais insérer ici une mise en garde concernant la paternité en matière de photographie. Si dans d’autres formes d’art on peut ériger l’auteur en démiurge, en figure divine qui crée une réalité, ce n’est évidemment pas le cas en photographie. La photographie est par essence un « texte ouvert » et, en tant que telle, est d’une démocratie dérangeante, radicale et sauvage. A fortiori il y a, en photographie, une multiplicité d’auteurs. Au-delà du photographe, il y a l’appareil photo, et quiconque a été sérieusement impliqué dans le processus vous le dira : chaque appareil photo a une voix différente. Il y a aussi la Réalité, et la Réalité parle avec une force de vengeance : chaque parcelle de ce que Barthes appelle le «studium» peut intervenir, faire irruption et perturber. Ce qui se passe au bord du cadre, et à l’extérieur du cadre, parle souvent à contre-courant de ce qui est au centre du cadre. Et enfin, il y a le lecteur, qui peut être passif ou actif, et, s’il est actif, il est au même niveau en termes d’auteur, à la Réalité, au photographe et à l’appareil photo.

Une fois que l’on embrasse la nature de texte ouvert et multi-auteurs de la photographie, il ne sert à rien de faire des photographies qui se présentent comme des emballages fermés, comme des unités de sens univoques telles que celles proposées par les médias, où un œuf au centre de l’image ne peut être contredit par aucun autre élément de l’image et est renforcé dans sa signification prédéterminée par une légende redondante : « œuf ». Au lieu d’essayer d’étrangler la dissonance, le photographe doit tenter de la libérer, offrant au public une nécessaire ambiguïté qui demande, qui exige une lecture active. Cette « lecture », ce décryptage de la bataille entre forme et contenu, prend du temps et résiste à l’étiquetage ou au catalogage de l’image ;  lutte contre l’énoncé « C’est ça ! » Cette résistance naturelle, le temps qu’elle prend, est difficile, et provoquera des plaintes. Mais à la fin, cela provoquera un « abandon » à l’image qui lui permet de fonctionner comme quelque chose de valable, comme quelque chose qui produit du sens.

Gilles Peress, de Minority Claim, publié dans Annals of the North pour accompagner Whatever You Say, Say Nothing

 

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