Rechercher un article

Gary Monroe: « J’aime photographier les gens qui bougent et les cultures qui changent »

Preview
Gary Monroe est né en 1951 et a grandi dans l’environnement en perpétuelle mutation de Miami Beach. Il a étudié à University of South Florida où il a obtenu son diplôme de premier cycle et une maîtrise en arts visuels de l’Université du Colorado en 1977. De retour à Miami Beach, il a commencé à photographier la vie de South Beach et en particulier la culture juive. Durant dix ans, il a documenté les changements survenus dans la région et a laissé une trace visuelle étonnante sur la période des années 70.

En 1980, Monroe s’est intéressé aux réfugiés haïtiens qui voguaient vers les côtes du sud de la Floride et a obtenu un accès sans précédent pour photographier le camp de réinstallation de Krome. Il a continué à documenter l’acculturation de Haïti dans le sud de la Floride et la diaspora haïtienne en général, pour ensuite se rendre en Haïti vingt-quatre fois avec l’aide d’une bourse Fulbright afin de documenter la vie dans ce pays.

En 1987, Monroe s’est intéressé aux attractions touristiques et notamment à la commercialisation de Disney World et a exposé des photos dans un style documentaire réaliste dans le cadre du Florida State University Museum grâce à des subventions du Florida Humanities Council. Depuis 1990, un bon nombre de ses images ont pour sujet des cultures étrangères et ont été réalisées durant ses voyages en Inde, en Egypte, en Israël et au Brésil; il a photographié les réalités socio-politiques de ces pays et a monté des expositions sur ces diverses séries photographiques. Depuis le milieu des années 1980, Monroe a cherché à éduquer le public en écrivant sur différents groupes d’artistes. Monroe fait partie de la commission des Florida Humanities depuis 1998 et il a écrit plusieurs livres, particulièrement sur divers artistes de Floride. Il a donné des conférences à l’échelle nationale, et il assiste les collectionneurs et les musées dans le domaine de l’éducation sur la photographie, des cultures internationales, et bien sûr de la Floride et des artistes qui y résident.

Sara Tasini: Vous et moi avons au moins une chose en commun: nous sommes tous deux natifs de Floride! Dites-moi ce que vous avez trouvé si intéressant sur la Floride quand vous avez d’abord décidé que cela ferait un bon sujet po photographique.

Gary Monroe: Nous appartenons à des Florides différentes. Les changements ont été surprenants, en particulier au sud de la Floride depuis le début du 21eme siècle; c’est bien le même lieu, mais c’est un autre endroit. Je n’ai jamais pensé que je faisais des photographies historiques, mais maintenant je le vois, et je l’apprécie. Cependant j’espère que c’est un fait moins important que mes véritables intentions — une conséquence de mes objectifs qui étaient et sont encore purement esthétiques et essentiellement sans raison. Je n’ai jamais consciemment vu l’état comme un sujet. Après mes études supérieures en 1977j’ai eu envie de revenir chez moi à South Beach (quand South Beach était encore South Beach), pour passer une décennie à vivre et à photographier la culture de l’ancien monde qui distinguait alors cette communauté. Comme vous le savez peut-être, South Beach était le dernier recours pour les juifs âgés qui en faisaient une sorte de shtetl, et c’était incroyable. La méthode et même le choix d’un sujet à photographier ne sont jamais conscients –ils se font en cours de route.

Pourriez-vous me parler un peu des «rites de passage» en ce qui concerne les photos de Disney World? Je trouve cette idée assez amusante.

Des vacances à Disney World ne sont pas des vacances normales; Elles ne sont pas vraiment amusantes , du moins je n’avais pas l’impression que les enfants et les familles prenaient du bon temps. C’est une version aseptisée d’une réalité obligatoire de bande dessinée. Il m’a semblé que les familles passaient par une sorte de rite de passage, comme si ce long et difficile voyage allait les sanctifier… et un voyage qui allait s’avérer très cher quand les factures de carte de crédit arriveraient. Mais cela leur permettrait de dire qu’ils l’avaient fait.

Qu’est-ce qui vous a d’abord attiré vers la photographie et qu’est-ce qui vous y retient ?

Pendant mon année d’étudiant de première année à USF je suis passé par le dortoir d’un ami et il avait environ trente photos au format 20 x 25cm sur son mur. Quelque chose m’a touché, pas les images en elles-mêmes mais plutôt comment l’appareil photo médiatisait le regard et la sensation de la réalité et aussi l’autorité que les possédaient les images. J’ai vite changé de spécialité, de la psychologie aux beaux-arts, et je n’ai jamais eu de regrets. Je n’ai jamais travaillé comme photographe commercial ou dans le journalisme. C’est toujours cette transformation de la réalité en image qui retient plus que jamais mon intérêt, bien que la nature de cet intérêt soit, bien sûr, différente de ce qu’elle était dans ma jeunesse. Je suis toujours intrigué, émerveillé par le monde et aussi curieux que jamais de voir comment mes intuitions trouvent une forme picturale.

Etes-vous inspiré par d’autres photographes ou artistes? Vos photos urbaines possèdent une certaine ressemblance avec les images de Winogrand, Cartier-Bresson, et Frank.

Vous avez nommé la sainte trinité, et oui, les ouvrages de Bresson, de Frank et de Winogrand m’ont pointé dans la direction que j’ai suivie, dont je n’ai jamais douté et que j’ai explorée. Ils ont compris qu’aucun artifice ne pouvait avoir autant de force que ce qui se passe tout le temps, tous les jours et partout, et combien la réalité est gorgée de possibilités presque impossibles à rendre en photo. Et j’utilise toujours le film et un vieil appareil Leica. J’ai compris dès le début que je devais me débarasser de l’artifice et me concentrer sur l’essence de la forme.

Quand vous voyagez dans des pays comme Haïti et l’Inde, est-ce difficile de s’adapter à la nature très différente des sujets que vous photographiez par rapport à ceux des États-Unis?

Je n’ai jamais eu de difficulté à m’adapter. Je ne me suis jamais senti plus vivant que lorsque j’étais en Haïti; J’y suis allé 24 fois entre 1984 et 2001. Partout où je prends des photos, je suis plein d’exaltation, mais surtout dans les pays du tiers monde: invincible, mais toujours vulnérable..Quand on est exposé, on renonce à ses défenses.

Quelle est l’histoire de votre photo “Lecture spirituelle”?

Mes photographies n’ont pas toutes un titre, donc je ne suis pas sûr de quelle image de la série Cassadaga vous parlez. Cassadaga est une communauté spiritualiste au centre de la Floride et le spiritualisme est une religion basée sur la conviction que l’esprit ne meurt pas avec le corps, mais émigre vers un plan spirituel et que des médiums bien entraînés peuvent communiquer avec les esprits. J’ai eu la chance de pouvoir photographier cette communauté en toute confiance et sans restrictions pendant plus d’un an. La photographie à laquelle vous pensez,je crois, est celle d’un médium conduisant une invocation lors d’un service de soirée, dans leur magnifique sanctuaire.

Vous avez publié plusieurs livres sur les artistes folkloriques floridiens qui étaient en grande partie inconnus avant votre exposition. Qu’est-ce qui vous a amené à défendre le travail de ces artistes?

À mi-vie et à mi-carrière, j’ai pris le mauvais tournant sur l’autoroute I-95, j’ai eu un moment de faiblesse …. Beaucoup de professeurs, de mentors et de photographes que j’avais longtemps admirés avaient cessé de produire ou, pire, produit des versions ternes et médiocres de leur travail dans les dernières années de leur carrière. Je l’ai bien compris: il semble que la création sans entraves, le fondement d’une esthétique, aient une durée de vie limitée. Mais j’étais déterminé à traverser cette frontière en restant relativement indemne. J’ai prévu une année au cours de laquelle je rattraperais mon retard dans la chambre noire, ce qui était inimaginable, et où je réfléchirais aux questions que nous devons affronter lorsque nous nous rendons compte que notre vitalité diminue.

Ca a marché, mais pas comme je le pensais. Comme je ne pouvais pas ne pas photographier, j’ai décidé de faire quelque chose de relativement aisé: photographier des artistes de l’art brut, dont l’énergie impulsive et sans artifice m’a toujours intrigué. Les portraits avaient besoin d’un récit et, comme je venais d’une génération d’étudiants en art à qui on avait enseigné à ne pas parler et surtout pas écrire à propos de leur travail, j’étais réticent et non préparé. Mais j’ai toujours aimé les contradictions et les défis, donc j’ai décidé d’écrire un ou deux paragraphes à propos de chaque artiste. Puis je suis tombé sur les Highwaymen, un groupe de paysagistes afro-américains, et mon éditeur, Florida University Press, a suggéré un livre à leur sujet- sans photos. J’ai donc entrepris une seconde carrière d’écriture pendant presque une décennie. Elle a été gratifiante, et je suis heureux de l’avoir fait, mais heureux qu’elle soit derrière moi: je préfère photographier.

Qu’espérez-vous que les gens apprécient lorsqu’ils regardent vos photos?

Sans vouloir être désinvolte … les photos.

Cette interview fait partie d’une série menée par la Galerie Holden Luntz, basée à Palm Beach, en Floride.

Propos recueillis par Sara Tasini

 

Galerie Holden Luntz
332 Worth Ave
Palm Beach, FL 33480
Etats-Unis

Http://www.holdenluntz.com/

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android