Au printemps 2022 la Galerie Miranda expose des tirages d’époque exceptionnels de deux séries photographiques mythiques : Dirty Windows (1994) de Merry Alpern et TV Shots (1972) de Harry Gruyaert. En particulier, l’exposition propose une séléction de tirages de Gruyaert qui sont des Cibachromes uniques de l’époque, jamais présentés à la vente jusqu’à présent.
L’exposition emprunte son titre du célèbre manifeste la Société du Spectacle (1967) de Guy Debord, pour lequel “Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » Ainsi la série TV Shots de Harry Gruyaert documente le ‘spectacle’ de la société anglaise en 1972 vu à l’écran d’une télévision déréglée qui transforme toute image en tableau Pop Art, pixelisée et psychédelique. En 1994, vingt deux ans plus tard, Merry Alpern photographie à New York le ‘spectacle’ de jeunes femmes légèrement vêtues qui dansent pour divertir de richissimes tradeurs, ‘spectacle’ observé à travers les fenêtres d’un club de lap dance clandestin dans le quartier de Wall Street.
Dans la série photographique TV Shots (1972), l’enchevêtrement indifférencié d’images de publicité, d’actualité, de séries américaines, de films et d’émissions sportives, incarne et critique cette fragmentation sociale : une perte de répères et la monétisation implacable de la vie quotidienne imposées par le pouvoir grandissant de la télévision. Dans la série Dirty Windows (1994), la vie réelle, le cinéma et la consommation – de femmes – se téléscopent à travers des images contrastées et floues. Dans une mise en abîme en miroir de la pensée de Debord, cette série aurait inspiré la vidéo clip d’Alain Bashung de ‘La nuit je mens’, réalisé en 1998 par Jacques Audiard.
Les deux séries s’opposent par leur choix de couleur – saturée pour TV Shots, noir et blanc charbonneux pour Dirty Windows – mais se retrouvent dans leur parti pris de composition, chacune structurée par un dispositif de ‘spectacle’ – écran, fenêtre – derrière lequel chaque artiste se positionne pour regarder.
50 ans sont passés depuis la réalisation de TV Shots et plus que 30 ans depuis Dirty Windows et chaque décennie a apporté d’importantes innovations technologiques qui confondent la vie réelle avec celle mise en scène par la technologie. Ces évolutions ont été récemment documentées et commentées par des artistes comme Michael Wolf (A Series of Unfortunate Events, 2011); Doug Rickard (A New American Picture, 2012); Arthur Jafa (Love Is the Message, the Message Is Death, clip for Kanye West, 2016).
Cette tension croissante entre l’expérience humaine et sa version technologique, médiatisée et monétisée, est résumée dans un tout nouvel ouvrage photographique de l’artiste américaine Tabitha Soren : “Nous cherchons par tous les moyens de rester humains face à cet interface froide et inhumaine. Nous espérons que l’acte de témoigner nous rendra plus humain, pas moins » (Jia Tolentino, préface de Surface Tension, Tabitha Soren, RVB Books, 2021).
Harry Gruyaert est présenté par la Galerie Miranda en collaboration amicale avec la Gallery FIFTY ONE, Anvers.
A PROPOS DE CHAQUE SÉRIE PHOTOGRAPHIQUE
MERRY ALPERN: Dirty Windows (1994) et Shopping (1999)
Un soir de novembre 1993, la photographe Merry Alpern rend visite à un ami qui habite un loft dans le quartier de Wall Street à Manhattan. Il l’amène à l’arrière du bâtiment où, médusée, elle découvre une toute petite fenêtre, celle des toilettes d’une boite de striptease illégale ; elle voit défiler traders en costume-cravate et danseuses en strass qui échangent baisers, argent, drogues et autre. Elle saisit son appareil photo et pendant neuf mois, jusqu’à la fermeture de la boîte, elle photographie les transactions qui s’opèrent derrière cette fenêtre sale, travaillant sans flash et avec une pellicule qui génère des images en noir et blanc granuleuses, cinématographiques. Avec ce travail, l’artiste postule en 1994 à une bourse de la National Endowment for the Arts (NEA). La bourse lui est octroyée et puis, à sa surprise, retirée : avec les artistes Andres Serrano et Barbara DeGeneviève, Alpern subit des dégat collateraux d’une bataille politique sur le financement de la culture dont les conservateurs contestent la ‘moralité’.
En 1999, suite à la série Dirty Windows, Merry Alpern produit la série Shopping, où, équipée d’une petite caméra de surveillance cachée dans son sac à main, elle flâne dans les grands magasins, les centres commerciaux et les cabines d’essayage, cherchant à capter la quête obsessionnelle – la sienne et celle des autres ‘shoppeuses’– pour l’achat parfait.
Galerie Miranda présentera pour cette exposition des tirages d’époque en édition limitée, signés, numérotés et datés par l’artiste, ainsi qu’une oeuvre unique de la série Shopping, composée de captures d’écrans de l’époque.
HARRY GRUYAERT: TV Shots (1972)
Dans les années 1970 à Londres, Harry Gruyaert prenait des photographies d’un écran télévision déréglée :
“Au début des années 1970 je vivais à Londres et il y avait chez moi une vieille télé cathodique complètement déréglée. En jouant avec l’antenne et en bidouillant les contrôles je pouvais obtenir des couleurs délirantes. J’ai passé quelques mois devant cet écran à suivre l’actualité qui était particulièrement forte cette année-là : j’ai pu ainsi suivre les premiers vols d’Apollo et les JO de Munich, mais aussi des séries américaines et anglaises, des publicités. A l’époque, les enregistreurs n’existaient pas encore; les boutons ‘pause’ ou ‘rewind’ non plus. Aussi je me trouvais devant l’actualité, tout près de l’écran, appareil à la main, pour saisir les images à vif. Aujourd’hui je me dis que si la technologie avait été meilleure, les images n’auraient pas été aussi intéressantes, fraiches. »
Ses images expérimentales et quasi abstraites de la vie quotidienne s’approchent du Pop Art et témoignent également de la façon dont des millions de personnes ont vécu des événements importants de l’époque, à travers leurs écrans télé :
« La découverte du Pop Art à New York dans les années 60 m’a appris que notre société de consommation peut être regardée autrement, avec à la fois lucidité et humour. J’ai beaucoup admiré le travail d’artistes comme Rauschenberg, Lichtenstein and Nam June Paik. Ainsi je suis devenu une sorte de photojournaliste de chambre face à cette « société de spectacle », face à cette usine de la pensée unique. »
Lors de ses première expositions – en 1974 à la Galerie Delpire à Paris, ensuite au Centre for Fine Arts de Bruxelles et l’International Center of Photography de New York – la série iconoclaste provoque un vif débat sur la définition du photographe de presse. A l’époque la série était présentée sur de grands rouleaux de papier photographiques de 50 cm de large et accrochés cote à cote créant une grande fresque anxiogène. Ces rouleaux sont aujourd’hui dans la collection permanente du Centre Pompidou à Paris.
Pour l’exposition ‘Société/Spectacle’, la Galerie Miranda proposera une sélection de cibachromes d’époques, uniques, et des tirages pigmentaires contemporains au grand format, en édition limitée.
BIOGRAPHIES des ARTISTES
MERRY ALPERN (née 1955, New York)
Merry Alpern est une photographe américaine connue pour son oeuvre controversée et pour son utilisation des techniques de surveillance. Née le 15 mars 1955 à New York, NY, Alpern fait des études de sociologie à Grinnell College dans l’Iowa, rentrant à NY avant de terminer ses études, afin de poursuivre sa passion pour la photographie. Aujourd’hui, Dirty Windows et Shopping figurent dans des collections prestigieuses privées et publiques, au Whitney Museum of American Art; San Francisco Museum of Modern Art; Museum of Modern Art (NYC); National Museum of Women in the Arts (Washington DC); et au Museum of Fine Arts, Houston. En 1996 la série faisait partie de l’exposition collective « By Night » à la Fondation Cartier (Paris); en 2010 de l’exposition « Exposed: Voyeurism, Surveillance & the Camera » de la Tate Modern Museum (Londres); et en 2017 de l’exposition « Public, Private, Secret » à l’ICP Museum (NYC).
HARRY GRUYAERT (né 1941, Belgique)
Harry Gruyaert étudie à l’école de cinéma et de photographie de Bruxelles de 1959 à 1962. Puis, il s’installe à Paris où il travaille en tant que directeur de la photographie pour la télévision flamande entre 1963 et 1967. Il voyage beaucoup en Europe, Afrique du Nord, Asie et puis va aux Etats-Unis en 1968, où il découvre le Pop Art et des artistes comme Roy Lichtenstein and Robert Rauschenberg. En 1969 il effectue son premier voyage au Maroc, où il réalise un travail primé par le Prix kodak en 1976. En 1982 il a rejoint magnum Photos. Récemment, son travail a fait l’objet d’expositions en Europe à la Fondation d’Entreprise Hermès, Paris, et le FOMU, Antwerp, pour n’en citer quelques unes. Il a publié une vingtaine d’ouvrages dont: Made in Belgium (Delpire, 2000); Harry Gruyaert: Rivages (Textuel, 2004); Harry Gruyaert: TV Shots de Jean-Philippe Toussaint (Steidl, 2007); Harry Gruyaert de Francois Hebel (Thames & Hudson, 2015); Harry Gruyaert: East/West (Thames & Hudson, 2017); et Harry Gruyaert – Roots (Editions Xavier Barral, 2018). Ses photographies figurent notamment dans les collections du Centre Georges Pompidou; la Bibliothèque Nationale de France; Foto/Industria, Bologna; le Metropolitan Museum, Tokyo; Deutsche Börse Foundation.
Harry Gruyaert est présenté par la Galerie Miranda en collaboration amicale avec la Gallery FIFTY ONE, Anvers.
Merry Alpern, Harry Gruyaert : Société / Spectacle
du 3 février au 30 avril 2022
Galerie Miranda
21 rue du Château d’Eau 75010 Paris FRANCE
Mardi-vendredi 14:00 – 19:00 / samedi 12:00-19:00
ou sur rendez-vous www.galeriemiranda.com