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Eve Morcrette : Cet étrange Ballet

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Cela fait une dizaine d’années que je suis avec une attention particulière le travail de l’Artiste photographe Eve Morcrette. Je l’ai vu évoluer d’une manière favorable, avec toujours comme fil conducteur une véritable réflexion esthétique sur le Médium photographique et une évolution vers un vocabulaire plastique de plus en plus marquée au fil du temps. Cela correspond d’ ailleurs à une évolution personnelle de Morcrette, qui depuis quelques années, tout en continuant à exercer son activité, dessine et peint. Ces deux pratiques ont visiblement modifié chez elle la perception de son propre travail, le revivifiant en lui donnant une profondeur nouvelle à travers des propositions tout à fait insolites. J’ai ainsi pu apercevoir, à ma grande surprise, des photographies se transformer peu à peu en tableaux vivants, comme libérées des contraintes du cadrage. C’est le cas dans la série au titre sonnant comme un ambitieux Manifeste : La Beauté de la laideur. Cependant, nous ne sommes pas invités ici à un débat esthétique. En effet, Morcrette préfère nous convier par sa proposition à une expérience Rétinienne très particulière: dépasser la stupeur de l’Etrange et la sidération de l’Effroi pour trouver l’harmonie dans la galerie de personnages qui peuplent les » tableaux animés » de cette même série.

Ainsi, toute une Théorie d’individus grimaçants pour la plupart, nus, d’une nudité parfois non normée et d’où l’érotisme est totalement absent, évolue sous nos yeux dans un état proche de la transe collective. Contorsions diverses, postures acrobatiques, joutes … C’est un silencieux et singulier Ballet- curieusement non dépourvu d’élégance- qui se déroule sous nos regards, où les corps créent par le découpage de leurs mouvements une chorégraphie particulière étrangement proche du Buto japonais. Cette » écriture » du récit dansé est provoquée ici par la tension posturale et- on le devine- mentale presque sans cesse sollicitée chez ceux que j’ai envie ici de désigner de manière symbolique comme des Acteurs de la narration de l’Œuvre et non de simples modèles. Parfois, certains personnages présents dans ces compositions vivantes abandonnent leurs évolutions infernales -littéralement, une Danse de Chair – et viennent poser, l’air mélancolique ou hagard, devant l’objectif. Mais posent-ils vraiment au sens photographique du terme ? La question mérite ici, de fait, d’être soulevée. En effet, l’appareil de Morcrette devient presque pinceau, saisit au plus juste, par petites touches, les gestes et les attitudes des uns et des autres à l’aide d’un minutieux travail sur la lumière (laquelle est fondamentale ici) et les accessoires. Ces derniers: crâne, squelette, corbeau empaillé… constituent autant d’arguments de la narration de l’œuvre car ils sonnent, sous la forme de Vanités, comme un constat temporel. Nous sommes nés pour mourir un jour. Cette Mort annoncée, les personnages de Morcrette s’en accommodent, posent en son étroite compagnie sans contrainte jusqu’à, parfois, l’Anamorphose. Leurs évolutions sous l’Œil empathique, respectueux et presque tendre de la photographe (ce qui rapproche, à mon sens, sa proposition de certaines de celles d’un Joël Peter Witkin, par exemple) révèlent à qui veut vraiment la voir leur véritable et profonde beauté. Ajoutons, pour conclure ces quelques lignes, que, malicieuse, Eve Morcrette n’hésite pas à se « portraiturer » sous la forme d’un croquis de sa main, caricature d’elle même, tendue par un des ses personnages, comme une signature facétieuse de la photographe à l’intention du Regardeur en même temps qu’une grande marque d’humilité.

« Créature ailée, elle semble, ange fragile, prête à prendre son Envol. Gracieuse, elle est, malgré son extrême maigreur. Elle est « belle et bien » Résurrection. »

Cet étrange Ballet…

Yanitza Djuric. Janvier 2020

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