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Esprit de Corps : Witkin, Coplans et Molinier

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“J’avoue mon insensibilité profonde en présence des oeuvres d’art qui, d’emblée, ne me procurent pas un trouble physique caractérisé par la sensation d’une aigrette de vent aux tempes.”
André Breton (L’Amour fou)

Le corps est cette réalité concrète, présente à notre être, qui devient le lieu d’une interrogation infinie. A la fois objet et sujet, ainsi divisé, il déploie sa relation avec le monde dans ses dimensions organique et symbolique. L’art en a fait son bien qui nous renvoie à cette complexité : un corps, ça se parle, et c’est parlé. Le langage de l’artiste sera de rendre visible ce réservoir de signes et de nous ouvrir, au-delà du donné sensible, un nouvel horizon non donné. La photographie contemporaine a fait du corps un de ses thèmes majeurs.
L’exposition Esprits de Corps présente les oeuvres de John Coplans, Pierre Molinier, Catherine Rebois, Miroslav Tichy et Joel-Peter Witkin, démontrant la spécificité et la complexité du traitement photographique du corps, dès lors qu’il reflète les ruptures, les fantasmes et les angoisses qui caractérisent notre rapport au réel aujourd’hui.

Martine Lusardy

• John COPLANS (1920-2003)
Né à Londres en 1920, John Coplans passe son enfance en Afrique du Sud où son père exerce la médecine. A dix-huit ans, il s’engage pour lutter contre le fascisme dans les Kings’ African Rifles et fait l’expérience de la guerre en Éthiopie contre les Italiens, puis en Birmanie contre les Japonais. Revenu à la vie civile, il choisit l’art comme l’activité la plus conforme à ses convictions humanistes et libertaires. Sa reconnaissance comme artiste peintre géométrique et abstrait demeurant hypothétique sur la scène londonienne, John Coplans s’installe aux Etats-Unis en 1960. Il y exerce une activité d’enseignant, de directeur de musée, de commissaire d’exposition et de critique, notamment en présidant aux destinées d’Artforum qu’il crée en 1962 avec Philip Leider et qui devient la revue de référence pour la défense de l’art contre le conformisme et le pouvoir de l’argent. Son goût personnel le porte vers des artistes minimalistes, pop, ou sériels, notamment Warhol, Lichtenstein, Judd, Serra, auxquels il consacrera des expositions lorsqu’il dirigera le Pasadena Museum of Art de 1967 à 1971, mais aussi vers les photographies de Carleton Watkins, Brancusi, Weegee, Walker Evans ou Lee Friedlander.
C’est donc par la photographie que John Coplans revient à la création au début des années 80, âgé de soixante ans. Son propre corps lui fournit le motif principal en devenant un argument incessant de fragmentation et de montage, une auto-fiction réaliste, intime et monumentale. Singulier et universel, marqué par la vie mais en permanente métamorphose, ce corps constitue aussi une riposte tant au culte de la jeunesse et de la beauté dans la photographie commerciale qu’aux vanités du monde de l’art des années 1980.
John Coplans est décédé en 2003 à New-York. Aujourd’hui, il est surtout connu pour son oeuvre photographique, exposée et conservée partout en Europe et aux États-Unis.

• Pierre MOLINIER (1900-1973)
Molinier est né le 13 avril 1900 à Agen. Photographe, peintre, poète, il se suicidera le 3 mars 1973 à Bordeaux. Pendant la première partie de sa carrière, Molinier peint de façon figurative des sujets classiques – il poursuit de concert son activité de peintre en bâtiment. En 1936, il rencontre des émissaires du Dalaï-lama et oriente son travail vers une représentation ésotérique. En 1950, il se photographie en “gisant”.
Une année plus tard, il présente, lors d’un salon, Le Grand Combat : une oeuvre érotique radicale. Ce changement de cap marque la rupture de l’artiste avec la bonne société bordelaise. Il prend alors contact avec André Breton qui lui organisera des expositions et l’assimilera au surréalisme. Cependant, Molinier, trop en marge, restera finalement éloigné de ce dogme. À partir des années 60, il se consacre exclusivement à la photographie et à ses autoportraits fétichistes et androgynes : désormais, mettant en scène son propre corps en le travestissant, il cherche au travers de son oeuvre à “rejoindre l’androgyne initial”. Par le biais du photomontage, il créera des images où il ira parfois jusqu’à se faire l’amour à lui-même. L’érotisme est inscrit en profondeur dans le coeur de son oeuvre, il y travaillera jusqu’à la fin de sa vie où il mettra en scène son suicide. L’ampleur de son travail autour de la sexualité a fait de lui une influence majeure chez les créateurs du body art et de l’art fétichiste.

• Catherine Rebois (1960)
Née en 1960, Catherine Rebois est artiste, photographe et théoricienne de l’art. Elle a fait ses études dans le cinéma puis s’est très vite déterminée pour la photographie. L’image reste sa préoccupation principale.
Docteur en Esthétique de l’Art, Arts Contemporain et Photographie, elle est membre de plusieurs laboratoires de recherche. Ses investigations tant artistiques que théoriques sont étroitement liées. Elle expose, écrit et publie, collabore à des projets artistiques internationaux et poursuit ses recherches personnelles. Elle expose son travail photographique et plastique en France et à l’étranger et participe à de nombreux colloques et des conférences, INHA, Ecoles des Beaux Arts, Universités Internationales. Elle enseigne l’esthétique de l’image à Paris.
Elle a exposé au Musée de l’Elysée à Lausanne en Suisse, au Brésil avec Réflexio, en 2011, dans le cadre de l’Année de la France, au Santander Cultural de Porto Alègre, exposition suivit de l’édition d’un livre, REFLEXIO. Elle a également exposé au MAM de Sao Paulo. A deux reprises elle fut sélectionnée pour le prix Niepce.

• Miroslav TICHY (1926-2011)
Né en 1926 en Moravie, Miroslav Tichy étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Prague. Marqué par les influences de Picasso, Matisse et des expressionnistes allemands, il entame une carrière de peintre interrompue par la prise de pouvoir des communistes en 1948. Il est envoyé faire son service militaire qui est un épisode visiblement traumatique. De retour dans sa ville natale de Kyjov, il se renferme sur lui peu à peu, il néglige son apparence, se laisse pousser barbe et cheveux, porte des habits rapiécés et fait de l’isolement social et culturel sa forme de vie. Il s’initie, au milieu des années cinquante, à la photographie, qu’il réinvente de toutes pièces, construisant notamment ses propres appareils avec des bouts de carton ou des boites de conserve et concevant ses propres optiques.
À partir des années 1960, il se met à photographier de manière obsessionnelle. Il réalise quotidiennement plusieurs dizaines de clichés, ayant pour principal sujet le corps féminin, celui des femmes de Kyjov qu’il surprendre dans les rues, les parcs ou à la piscine. Les images tirées et agrandies par ses soins sont souvent retouchées, montées et encadrées sur des matériaux pauvres, journaux, cartons, et parfois ensuite abandonnées plusieurs années dans son atelier.
Son comportement, marginal et indépendant, est à rebours de l’idéologie du régime en place, ce qui lui vaut divers internements en établissements psychiatriques dans les années 1960 et 1970 et l’expulsion de son atelier en 1972.
L’oeuvre de Tichý est découverte au début des années 1980 par le psychiatre et spécialiste d’art brut Roman Buxbaum mais n’apparait sur la scène de l’art contemporain qu’en 2004 à la biennale de Séville, introduite par Harald Szeemann. Tichy obtient le prix « Découverte » aux Rencontres de la photo d’Arles en 2005. Suivront de nombreuses expositions individuelles notamment à la Kunsthaus de Zurich en 2005, au Centre Pompidou à Paris en 2008 et à l’International Center of Photography de New-York en 2010.
Jusqu’à sa mort en 2011, Tichy ne quitta pas sa petite ville de Moravie et ne prit aucune part active dans ses expositions, ni dans toute la promotion faite autour de lui.

• Joel-Peter WITKIN (1939)
Né à Brooklyn en 1939 d’un père juif et d’une mère catholique, Wikin assiste à l’âge de six ans à un accident de voiture au cours duquel une petite fille est décapitée sous ses yeux. Il est profondément marqué par cet événement, tout comme il le sera, durant son adolescence, par les photographies journalistiques de Weegee. Il réalise ses premiers essais photographiques à l’âge de seize ans. Remarqué par Edouard Steichen, ce dernier expose son travail au musée d’Art moderne de New York. Enrôlé de 1961 à 1964 dans l’armée en tant que reporter des accidents militaires, il revient à New York où il entreprend des études de sculpture, mais c’est la photographie qui demeura son domaine de prédilection. Goya et Bosch deviennent ses « héros suprêmes ». En 1976, il entre à l’université d’Albuquerque où il s’établit puis devient luimême professeur de photographie à l’université du Nouveau-Mexique. Il se voit accorder de nombreuses subventions afin de continuer à élaborer son univers très controversé. Witkin passe régulièrement des annonces pour trouver des modèles hors norme, et les morgues lui fournissent la matière première de ses travaux. La prise de vue terminée, Witkin gratte au rasoir, redessine, ajoute des pigments aux négatifs, afin de leur donner une texture reconnaissable entre toutes.

Esprit de Corps
John Coplans, Pierre Molinier, Catherine Rebois, Miroslav Tichy, Joel-Peter Witkin
Exposition du 16 novembre au 24 février 2013
Topographie de l’art
15 rue de Thorigny
75003 Paris – France
T. 01 40 29 44 28
[email protected]
Entrée libre – Du mercredi au dimanche de 14h à 19h

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