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Émeric Lhuisset, la dernière guerre de l’eau

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Pour reprendre les mots du critique d’art Philippe Dagen, « Émeric Lhuisset est un artiste d’un genre qui n’existait pas il y a une dizaine d’années […]. Faute de mieux, elle pourrait être dite celle des artistes historiens ». Pour aborder la question stratégique de l’eau au Moyen-Orient – une région que Lhuisset connaît bien pour y travailler depuis treize ans –, et particulièrement en Irak, il a combiné les perspectives climatiques, géopolitiques, historiques et esthétiques. « Je me suis penché sur cette problématique et me suis aperçu que tous les facteurs étaient réunis pour qu’un conflit lié à l’eau éclate », explique-t-il.

Au niveau local, il s’agit des tensions ethniques et religieuses combinées à la présence de milices extrêmement difficiles à contrôler, mais essentielles à la lutte contre Daesh, ainsi qu’un accroissement constant de la population. Au niveau régional, la dépendance de la région aux deux fleuves qui ont donné son nom à la Mésopotamie fait du projet de barrage du GAP, en Turquie, un défi de coopération majeur. Enfin, au niveau mondial, le changement climatique entraine une baisse du niveau des eaux et une montée du sel sur les territoires agricoles. Un déplacement des populations est inévitable à moyen terme, avec pour conséquence un mélange risqué des communautés chiites et sunnites d’Irak et un possible conflit.

« Comment parler d’un conflit qui n’existe pas et n’existera peut-être jamais ?, interroge Lhuisset. Je me suis penché sur le passé et me suis appuyé sur la seule guerre de l’eau de l’histoire de l’Humanité, qui s’est déroulé il y a 4.500 ans dans l’actuel sud de l’Irak et qui a opposé deux cités-Etats, Umma et Lagash (actuel Girsu). »

Débarqué dans ce désert aride et monochrome dont il ne reste que de rares vestiges – tas de briques que l’on prendrait aussi bien pour une terre érodée et scarifiée par les strates de sel –, Lhuisset en a capturé le minimalisme. Vues aériennes, cartographiques ou à hauteur d’homme, elles transpirent quelque chose de primitif. Loin des images codifiées du théâtre imminent de la guerre, à moins d’inclure dans cette catégorie celles de Fazal Sheikh en Israël et Palestine, elles n’en sont pas moins des preuves froides et métaphoriques d’une catastrophe. « Il y a des monticules de terre, on imagine une construction, mais il n’y en a aucune. Les seules traces que l’on voit sont celles que l’eau a laissées avec l’érosion », décrit Lhuisset.

Il en est de même des images réalisées au drone, dont la perspective fait perdre la notion d’échelle, et du même coup du temps. « Entre les ruines et l’eau, la vase se souvient des cris et des flammes. Le fleuve coule toujours sous la citadelle aux paupières closes. Il coule vers Pesh-Khabour, poste frontière entre deux pays imaginaires que délimitent le fleuve et les armes des riverains », écrit Allan Kaval, journaliste au Monde, en introduction de son livre publié chez André Frère.

L’exposition à l’Institut du Monde Arabe ajoute quelques clés, notamment au travers de deux types de vidéos. L’une, réalisée au drone, accentue l’effet des images. L’autre renvoie à quelque chose de concret, sous la forme de témoignages d’habitants de l’extrême sud de l’Irak qui ont déjà commencé à être touchés par l’aridification. En mêlant ainsi deux temporalités différentes, antiques et contemporaines, le projet rend compte du caractère éphémère de toute civilisation. « Cela montre la fragilité de ce qui nous entoure », conclut Lhuisset.

Laurence Cornet 

Laurence Cornet est une journaliste spécialisée en photographie et commissaire d’exposition indépendante basée à New York.

Émeric Lhuisset, Last water war, ruins of a future
Jusqu’au 4 décembre 2016
Institut du Monde Arabe
1 Rue des Fossés Saint-Bernard
75005 Paris
France

www.imarabe.org

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