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Arles 2021 : Éditions Louis Vuitton : Voyages extraordinaires de Francisca Mattéoli

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton publie un ouvrage de Francisca Mattéoli au titre évocateur, Voyages extraordinaires. L’ouvrage est pensé comme une somme de récits, où l’époustouflant côtoie les courses vers l’avant et le raffinement de transports désuets.

Dans le sillon d’une ligne éditoriale élégante, Voyages extraordinaires s’ouvre comme un passeport vers l’ailleurs, vers l’inconnu des aventures oubliées, des transports désuets, des folies d’hier qui paraissent, aujourd’hui où tout va très vite, fébriles, massifs ou dérisoires. C’est tout un bloc en main, coédité avec les éditions Xavier Barral. Un gros livre comme pourrait l’être une bible ou une sommité d’universitaires, relié dans un cuir impeccable et teinté dans un bleu profond. Sur la tranche la main caresse les silhouettes des futures montures, à bicyclette, à dos d’éléphant ou de dromadaire, dans les airs et sur les mers, une merveille de jaspage. L’intérieur comporte tout un océan d’images, quatre cent archives photographiques, images recolorées, affiches de voyages, réclames publicitaires, écus d’aviation… il manque quelques cartes, tant mieux, pour se perdre mieux vaut l’imaginaire.

L’invitation au voyage ne se résume pas à la profusion d’archives, elle passe avant tout par la somme des petites histoires racontées par Francisca Mattéoli. Et plutôt que de faire la grande Histoire du voyage, l’autrice a cherché à rassembler des aventures dans une chronologie quelque peu désordonnée. Le mot d’ordre est l’ébahissement, le spectaculaire, où se disent les aventures humaines les plus connues comme les petites prouesses passées sous silence. Le livre n’en est pas moins fouillé, joyeusement bavard quand il s’agit de conter le passage de l’Atlantique Sud en hydravion, étoffé surtout en chaque récit, à l’exemple des attentes craintives devant l’essor des funiculares de Valparaiso, ces grandes boîtes infernales. Il a le grand mérite de replacer l’humain dans l’ensemble des aventures technologiques. Car avant d’être une course, un périple, un tour du monde ou un simple ascenseur au ciel, un voyage extraordinaire naît d’une idée un peu folle et s’incarne dans une enveloppe charnelle.

Peu de gens, spécialistes mis à part, connaissent ainsi le nom de pionniers, d’ingénieurs, de financiers… Ou bien est-ce la jeunesse de cette plume ? Si l’on vous dit Roald Amundsen, premier conquistador du pôle Sud au gouvernail d’un brise-glaces sur l’équerre des lames australes ?… Et l’Américaine Fanny Bullock Workman qui roula à bicyclette d’Europe à Java ?… Et sa consœur Harriet Clark Fisher au volant d’une locomobile, treize mois en 1909 et 1910 sur les routes à travers le globe, traversant les mers en bateaux, les fleuves en pirogues, pour rejoindre le Japon ?… Et l’aventure fumante de Charles Godard et Jean du Taillis en Spyker, roulant à tombeau ouvert de Pékin à Paris ?… Combien d’autres figures oubliées, parmi d’autres, plus célèbres — les frères Wright jusqu’à la célèbre phrase de Neil Armstrong.

L’extraordinaire est aussi synonyme de ratés, d’échecs, de catastrophes, sinon de tragédies. Le second voyage de Nadar en montgolfière s’écrasa au sol après quinze heures en lévitation. Le fier Titanic coula comme on le sait et les compagnies transatlantiques s’échinèrent à sa suite à arborer le Ruban bleu sur leurs proues en perdant de l’argent dans un faste jamais contenté. On oublie parfois que le premier Concorde fut soviétique, sans que le Tupolev Tu-144 et sa ligne Moscou-Alma Ata ne deviennent rentables.

Le voyage tout du long est interrogé à la lumière de ces aventures humaines. Et celles-ci soulignent la démesure des inventions, la course en avant vers l’innovation : la marine, l’automobile l’aviation puis l’exploration spatiale repoussent sans cesse une forme de représentation du monde. À cette vitesse furieuse, à l’imprécation des corps projetés dans la machinerie, Francisca Mattéoli rappelle aussi la douceur des pirogues, le silence des jonques et le bruissement des flots à peine effleurés. Il y a sous nos pieds, sur les chemins, en balade et dans la flânerie les plus simples émerveillements. Pour un voyage, il ne faut pas toujours un gros moteur mais aussi la plus faible ambition.

La photographie dans ce livre joue le rôle du révélateur. Sitôt qu’il y a prouesse, on retrouve ce médium. Avec le voyage vient le goût de la communication. Elle est partout, dans son rôle historique jusqu’à son message touristique. C’est encore vrai aujourd’hui, si ce n’est que l’image bouge et se répète à l’épuisement quand il y a prouesse, ou vient mourir dans un flux similaire et continu quand elle devient tourisme. Sans image il n’y a pas d’extraordinaire, il reste les mots, les dires, les racontars, et tous pèsent de tous leurs poids sur l’imaginaire. Un voyage en carnet est un récit de fadaises, une porte ouverte au grandiloquent. Un récit pèse de tout son poids et fait rêver mais l’image elle, écrase tout. L’image fixe les mémoires. Elle dit l’apprêté des conditions météorologiques, elle rappelle la figure des héros. Elle a ce rôle d’archive, indubitable preuve de l’épopée.

Nul besoin ici de relancer un débat sempiternel. La littérature contre la photographie. Le verbe contre le voir. L’image contre le mot. Dans ces Voyages extraordinaires, les deux s’enchevêtrent à merveille. Dressant un parallèle entre progrès technique, prouesses humaines et découvertes de nouvelles frontières, l’ouvrage rappelle combien le voyage fut pendant près de deux siècles un enjeu permanent redéfinissant par à-coups la vision de notre monde. Il fut aussi une élégance, une somme d’esthétique, que le livre réveille et incarne à merveille.

 

Voyages extraordinaires de Francisca Mattéoli
Éditions Louis Vuitton et Éditions Xavier Barral
2021, 448 pages, relié, 16,8 x 24 cm
Environ 400 photographies et documents historiques
5 portfolios arts graphiques
L’acheter en ligne.

 

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