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Arles 2022 : Éditions Louis Vuitton : Miles Aldridge – Cordoue

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Depuis son premier voyage à Cordoue, Miles Aldridge garde le même regard amouraché pour le luxe et la pesanteur de ses processions religieuses.

Il arrive qu’on tombe amoureux d’une ville au hasard d’un passage, au coin d’une rue, quand l’esprit divague. Cet amour souvent se prépare. Il est le fruit de lectures et de tableaux, de tout un pan de l’imaginaire qui vient dans l’ombre tirer les ficelles de la grande émotion. Pour le photographe britannique Miles Aldridge, ce fut Cordoue.

Cordoue ce fut par l’entremise des mots l’écrivain García Lorca, dans les volutes nyctalopes de Miles Davis. C’était prêt. Le grand chavirement arrivait. Ce fut là, sans grand coup, sans élément perturbateur. Comme Aldridge est aussi bon orateur que regardeur, citons-le : « Nous sirotions un verre de Montilla-Morilles — cet incroyable vin blanc local — dans un bar de Cordoue, mon épais recueil de Lorca posé devant moi – lorsqu’ont résonné d’extraordinaires échos de percussions, de trompettes et de chants. Ça détonnait totalement avec le calme ambiant. Je suis sorti du bar et suis tombé nez à nez avec la Vierge Marie qui descendait l’étroite allée, au beau milieu des bougies et des effluves d’encens, portée par de jeunes gaillards ».

Tombé amoureux en semaine sainte, Alrdidge y revint sans régularité, « sept ou huit fois », quand le besoin se fait pressent. De ces amours lancinants qui reviennent à heure fixe, comme une procession nécessaire hors de la furie du monde. Qu’y retrouve-t-il ? Au coin des rues, tout le folklore espagnol. Les mentons fiers tendus au ciel avec sur leurs épaules, une vierge appesantie de parures. La procession des morts et des vivants, chacun affublé du masque de l’autre, figé dans un moment solennel, comme au purgatoire. L’encens suspendu à la balançoire des poignets, au bout d’une chasuble, et la nuit obscure, un peu lente, troublée par les silhouettes pointues des processionnaires masqués.

On ne garde quand on aime que le meilleur des souvenirs. Cet amour se chérit. On lui suce le suc et quand il vient des tristesses, le souvenir rejaillit, comme un caractère éternel, répété et retrouvé. Dans cette Cordoue, l’amour se revit dans la procession et les rites. Mais ce serait ne figer que le recommencement de la litanie. Cordoue en semaine sainte est bien plus. C’est la nuit étirée des enfants. « Ils sont dehors, à trois et quatre heures du matin, avec leurs grands-parents. Ils aiment récupérer la cire qui coule des bougies et en faire des boulettes. »

Le Cordoba Miles Aldridge joue de cette ambivalence entre un folklore incarné avec gravité, promesse d’une tradition chaque fois retrouvée, et la fête païenne qu’il suscite dans toute la ville. « Le sacré et le profane se confondent », dit plus loin le photographe. Son livre se promène comme un habitué du quartier, dans l’ambiguïté des symboles et la solitude des grandes foules.

Le livre alterne couleur et noir et blanc dans sa sélection ; la première choisie pour recomposer des tons charbonneux qui évoquent Caravage, la seconde pour se concentrer sur des scènes et ne plus voir que des curiosités. Le livre se compose dans un papier d’une élégance feutrée et se permet un interstice lustré d’or, comme on ouvrirait les volets d’un retable, sur le visage de marbre de la Vierge, presque vivant.

Composition, couleurs, fabrication. C’est un livre d’une grande élégance. On en oublierait la balade d’Aldridge. Le photographe donne tout du long à voir la mystique d’une Cordoue habitée toute une semaine par ses démons et ses anges, et qui choisit la parenthèse des nuits pour se réveiller et revivre. En tous points c’est une réussite.

 

 

Miles Aldridge – Cordoba

Éditions Louis Vuitton, 2022

Collection « Fashion Eye », dirigée par Julien Guerrier.

Édité par Sylvie Lécallier.

Graphisme par Lords of Design.

Bilingue français-anglais, 96 pages.

Disponible en librairie ou en ligne

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