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Arles 2022 : Éditions Louis Vuitton : Coco Capitán – Transsibérien

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Après l’Orient Express de Sarah Moon, la collection aborde un autre train mythique : le Transsibérien dans l’œil de Coco Capitán.

On ne réfléchit pas tous pareil. Derrière ce truisme, la science nous apprend aujourd’hui que chaque cerveau se câble différemment d’un autre. Pour un être et pour un autre, penser, s’émouvoir, ressentir, réfléchir se fait chaque fois dissemblable. Le cerveau se construit d’aventures. Peu de mécanismes et beaucoup de feuilles blanches. Il se bâtit au hasard des rencontres. Si bien qu’il serait, électrodes à l’appui et encéphalogrammes brandis, toujours différent d’un autre.

Pourtant son imaginaire s’abreuve de répétitions et de généralités. Avoir un corps à soi n’est pas avoir sa propre pensée. Mises en commun vient plutôt le jeu des ressemblances. Ce sont des rêves semblables, que la psychanalyse a classé en typologies : chuter sans fin, se battre dans le vide. Des angoisses projetées par d’autres, amplifiés, standardisés, remâchés. Et, en d’autres torts plus grands, tous ces stéréotypes jetés sur des visages, de gens vus de trop loin, sans trop oser s’approcher.

Un cerveau différent dans son enveloppe, mais aux pensées bien communes. Sans doute faut-il blâmer le cinéma, la photographie, l’image même prédominante, et son utilisation distordue, archétypique, des médias. Il y aurait bon nombre de chats à fouetter. La médiologie ou la critique des images s’y emploient à merveille. Laissons aux compétents la pensée aiguisée. Préférons le pas de côté.

La photographe espagnole Coco Capitán formule sans fioriture cette curiosité du voyage. Il est chaque fois rêvé par l’image et très souvent rendu curieux par l’appréhension singulière et personnelle de sa réalité. « On a tendance à réduire les villes que l’on découvre à l’idée préconçue que l’on s’en faisait. C’est particulièrement le cas de nos jours : il est très rare de se rendre dans un endroit que l’on ne s’est encore jamais représenté ».

L’imaginaire du Transsibérien est celui d’un train un peu pouilleux, plein de Russes amochés. Un train de bruits et de gargouilles, un train de « passagers bavards et amicaux » pris entre deux villes longues d’un continent. Le train charrie son wagon de stéréotypes. Il est enrobé d’une gaze poétique, dans les mots simultanés de Blaise Cendrars. Il vient dans peut-être se mêler l’imaginaire des trains de l’autre monde, à rebours des wagons policés de notre Occident, là où les banquettes bondées invitent faussement à la rencontre.

Le paradoxe de l’image, photographique ou cinéma, est de venir révéler le monde en un fragment, tout en venant par ce fragment spolier la découverte restante à faire. C’est une connaissance spoliée, une porte qui s’ouvre sur un chemin rétrécissant.

Mais un regard pourtant peut venir écraser tout un imaginaire bien établi. Ce serait peut-être cela, la photographie : réécrire son imaginaire. Traverser la Russie dans ce Transsibérien, c’est en apprendre sur la solitude et la douceur. L’une puis l’autre, l’une dans l’autre. Coco Capitán traverse sans grandes rencontres tout un monde de vastes plaines, de neiges, de steppes silencieuses. Aux froids matins et longues pauses de la gare, elle voit la solitude de gares oubliées, le regard fuyant et curieux de celui qui habite et qu’on vient, des yeux, visiter.

Elle dit l’ennui jouissif du paysage qui passe. Celui-ci interminable et qui change là par une maison un peu plus colorée, là par une colline plus écrasée, petite touche par petite touche, jusqu’à Vladivostok. Sa photographie restitue à merveille le cadre dans le cadre, cette substitution de l’œil à distance d’une fenêtre, entre le fixe et le mouvant, et qui fait cette joie propre aux voyages.

On en vient au bout du livre à ne plus voir que cela. La neige et le calme, le silence et le roulement continu. Il n’y aurait pas de rencontres ? Un train sans voyageurs ? Un voyage sans petites passions ? Pire. Trop de gens à qui l’on parle, et si peu avec s’échangent des idées. C’est sur le tard parfois que les voyages découvrent leurs surprises. La photographe bienheureuse conclut son voyage et son livre sur cette famille rencontrée en Russie orientale et qui fut une forme de joie après une longue ascèse.

Patience est la mère de toutes les vertus.

 

 

Coco Capitán – Trans-Siberian

Éditions Louis Vuitton, 2022

Collection « Fashion Eye », dirigée par Julien Guerrier.

Édité par Damien Poulain.

Bilingue français-anglais, 96 pages.

Disponible en librairie ou en ligne

 

 

 

 

 

 

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