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Éditions Louis Vuitton : Daniel Obasi : Lagos

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Lagos du phographe nigérien Daniel Obasi est un manifeste inquiet comme ardent pour la jeunesse nigériane.

« Les événements du 20 octobre 2020 entacheront pour toujours le drapeau nigérian, et je me suis promis de ne jamais oublier cette journée », explique Daniel Obasi à Patrick Rémy, éditeur de l’ouvrage. En octobre 2020, cinquante-six personnes sont assassinées par les autorités nigérianes après plusieurs jours de manifestation contre les violences policières, contre la corruption de cette même police et pour une véritable justice indépendante et non exécutive.

Nommé #EndSARS (End Special Anti-Robbery Squad), le mouvement donnant corps aux manifestations débute sur les réseaux sociaux et révèle, par des photos, vidéos, et témoignages les exactions de la Special Anti-Robbery Squad : barrages illégaux, corruptions, détentions illégales, extorsion, violences en tous genres viols. Une police qui fut incriminée par plusieurs rapports indépendants, notamment celui d’Amnesty International en 2016, de violations des droits de l’homme.

« Voir des civils se faire tirer dessus par des militaires dans ces circonstances reste à ce jour l’une des images les plus déchirantes de ma vie. J’ai été d’autant plus touché en plein cœur que j’avais participé à une manifestation au même endroit la veille », relate le photographe. Son livre publié par les Éditions Louis Vuitton fait entièrement suite à ce moment fondateur de sa propre conscience politique comme militante. « Pour la première fois depuis longtemps, cette génération a fait bloc contre le gouvernement et les pouvoirs oppressifs ».

Pour autant l’ouvrage Lagos, sous-titré Beautiful Restistance, de Daniel Obasi n’est pas une restitution photojournalistique de ce que furent les manifestations. Dans cette évocation de la violence comme de la résistance, l’essentiel est dans la sublimation. L’artiste présente dans l’ensemble de l’ouvrage toutes les facettes possibles d’une jeunesse double et composite.

Cette jeunesse se démarque par la présence profondément libre de ses postures. Les muses nombreuses, employées d’une série à l’autre par Daniel Obasi, dégagent tant par la mise en scène de l’artiste que par le choix de postures, une forme d’irréalité qui correspond à la vision de Lagos de l’artiste : « une Lagos mystérieuse et irréelle ».

Cette jeunesse dès lors se grime de maquillage, se vêtit des vêtements traditionnels puis de robes divines, des habites d’une sainte ou d’une simple peinture dorée. Elle tient dans ses mains des banderoles et des objectifs tournés vers soi, comme pour mieux affirmer son propre scintillement et se moquer des mépris. Elle campe un pape follement esthétique et et se pare de masque d’arlequins, de bauta et moretta qui, couplés aux boubous et aux costumes fuchsias, surjouent le mystère sans jamais pourtant lasser.

Naturellement ces compositions des corps, des couleurs et des costumes, qui singent les postures guerrières et crient en image tout leur saoul, défendent une vision élargie de la jeunesse. « Présenter différentes idées de la beauté permet d’interroger nos acquis conventionnels sur l’apparence ou les actions attendues de chacun ». Il s’agit non plus seulement de raconter la vibrionnante révolte du Lagos, mais bien davantage d’ouvrir le spectre des rêves et des métaphores partagés par les communautés queers et féministes.

Lagos se veut comme une affirmation plus qu’une somme d’observations. Ce n’est ni une requête ni une approbation, mais bien davantage le cri d’une existence. La composition de ce nouvel opus de la collection « Fashion Eye » a été soigneusement pensée pour servir cet élan. Les photographies sont toutes montrées en pleine page ou pleine double page, ce qui donne au lecteur la capacité de plonger dans les mises en scène, de passer comme dans une composition cinématographique, d’une mise en scène à une autre.

Le livre suit un fil conducteur marqué par la présence de la couleur rouge, qui « dégage une sorte de plénitude » d’après l’auteur. La présence répétée de plusieurs muses dans des plans parfois rapprochés, près du visage, comme pour en souligner leurs beautés irrégulières, parfois éloignés, renforce le caractère irréel des scènes, l’artiste jouant très clairement avec son environnant.

Une même photographie est enfin, d’une page à l’autre imprimée dans sa moitié de livre sur un papier mat et dans son autre moitié sur un papier brillant, comme pour renforcer le caractère discontinu, déroutant, presque chimérique de ces imaginaires.

Le livre se finit (ou presque) sur un générique, qu’on imagine pouvoir défiler avant que les lumières ne se rappellent brutales à nous. Une femme de dos croque une pomme dans l’ombre et le sillage d’une croix. Encore un symbole à résoudre, dans un livre plein de rêves et de beautés. De très loin, cet ouvrage s’avère le plus mystérieux de la collection « Fashion Eye ». Et il est à la violence de sa police, aux injustices de son Etat, un délicieux pied-de-nez qui répond avec une arme méprisée, la beauté.

 

Daniel Obasi — Lagos
Éditions Louis Vuitton, 2022
Collection « Fashion Eye »,
Edité par Patrick Rémy
Graphic design by Lords of Design.
Bilingual French-English, 112 pages.
Available in bookstores or online

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