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Denis Barrau – Rencontres d’Arles, les débuts

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Son nom : Denis Barrau. Il a été engagé comme assistant-bénévole par Lucien Clergue en 1974 aux Rencontres d’Arles. À cette époque et avec son copain Philippe Dumoulin, ils ont fait des photographies. Aujourd’hui, c’est devenu un livre formidable qui s’intitule « Rencontres d’Arles : les débuts » avec en prime, les souvenirs d’un des autres fondateurs des Rencontres Jean-Maurice Rouquette.
En avant-première, Denis Barrau nous a donné ces images et ce texte !

« Jean-Maurice Rouquette m’a raconté l’origine, les débuts et le sauvetage des Rencontres d’Arles dont il est le cofondateur. C’était quand je lui ai présenté les images de Philippe Dumoulin et les miennes, sorties de nos archives et organisées en récit.

Mais comment en sommes-nous arrivés là, à ce livre ?

En 1973, j’accepte de diriger un stage de tirage en laboratoire argentique. Mais je dois aussi exposer. De son côté, Lucien Clergue viendra donner une conférence pour révéler ses pratiques, dont celle-ci : il dit qu’il développait dans un saladier de sa mère avec son doigt pour thermomètre de précision pour contrôler la température du révélateur ! Bien !

À la fin, il visite mon expo puis me fait appeler : « – dis, petit, il faut venir travailler avec nous au festival ! »

En juin 1974, je me retrouve ainsi au Musée Réattu devant une longue table recouverte d’une simple couverture avec une pile de vitres, une autre de journaux (pas n’importe lesquels) et une simple cuvette d’eau claire, pour préparer l’exposition « sous verre » de Georges A.Tice. Apparaît alors, pour contrôler, l’autre fondateur des rencontres : Jean-Maurice Rouquette le conservateur ici chez lui. Et là, mon travail est apprécié “d’acceptable” à … “convenable”, en guise de validation et de félicitations.

En juillet, à l’ouverture du festival, je suis chargé d’accueillir et d’aider Ansel Adams dans un labo aussi présentable que possible, installé dans une cantine scolaire ! Dans la cour du même endroit “les Sudre” (comme on disait) et leur ami Denis Brihat faisaient leurs démonstrations et partageaient leurs secrets, d’une manière autonome. Et c’était “entrée libre”…

Avec les tables de cantine en carré, nous composons une chose à mi-chemin entre une conférence qui semble improvisée et une réunion d’association de village. Monsieur D’Outrelandt de la maison Brandt Frères distribuant Nikon me fait poser un moment le Leicaflex pour goûter à son 15 mm Nikon. Nouveauté vertigineuse qui donne entre autres l’image page 55. Tout le monde est dans la boîte ! Y compris Bernard Perrine avec sa caméra !

C’était ainsi dans ce festival, à ses débuts…

Et notre bénévolat était essentiel : car il n’y avait plus un sou en caisse ! Une caisse qui n’a reçu de subvention du ministère de la Culture qu’après, précisément, la venue d’Ansel Adams, puis des plus grands maîtres du moment, donnant ainsi une autre dimension et un ancrage définitif à cet « événement collectif » comme aime à dire encore maintenant mon ami le cofondateur par ailleurs simultanément conservateur des musées d’Arles.

Il faudra lire comment il parle de Portas le restaurateur aux repas à cinq francs. Celui qui a mis au point le taureau à la broche ! Jean-Maurice Rouquette insiste : c’est volontairement qu’ils ont choisi de faire de grands repas collectifs, de recevoir les participants. Il dit que sans cette façon de s’y prendre avec les invités, les journalistes et les stagiaires, ce festival n’aurait jamais existé et encore moins pu durer. Il m’a appris aussi que c’est délibérément qu’ils ont lié le festival à la nature sauvage de la Camargue, ceci dès le tout début, par les stages de nature et de nu. Œuvre de Clergue oblige ?

Les fameux repas, c’est en Camargue, après les démonstrations de marquage qui n’échappent pas à l’objectif des invités. C’est dans le réfectoire de l’Abbaye de Montmajour, tout juste restauré où on a mangé un cassoulet en été ! (Philippe a les photos), c’est dans une carrière de pierre des Baux-de-Provence aussi (mais là je ne sais plus ce qui était au menu et nous n’avons pas de photos).

Toujours très joyeux ces repas. Il faut dire que le rosé était de la partie …

Dans un autre registre, des images de l’atmosphère feutrée dans la fraîcheur de la cour de l’hôtel d’Arlaten sont là aussi sur plusieurs pages dans ce livre. Elles sont désormais encore plus précieuses au-delà du fait qu’on y voit John Batho à l’intérieur ou Denis Brihat dans la cour, soumettant leurs célèbres images. En effet cette bâtisse qui était mise – par amitié – à la disposition des fondateurs du festival a maintenant changé de mains, sera modernisée, remaniée et probablement devenue inaccessible aux festivaliers ordinaires.

Pour nous, petits photographes modestes et timides, nous étions fascinés de voir des auteurs admirables et très grands à nos yeux, montrer avec une certaine humilité leurs travaux à leurs pairs. Dieuzaide qui, en plein soleil, quitte sa célèbre casquette pour donner à Adams un paquet de tirages, par exemple.

Madame Maryse Cordesse dit bien dans son interview “qu’au début, cette manifestation était faite presque pour les photographes, pour qu’ils puissent se rencontrer, discuter, montrer leurs photographies“.

D’ailleurs ce festival qui à son lancement était animé par des auteurs qui ne se reconnaissaient pas dans les dogmes de beaucoup trop de clubs et qui voulaient faire sortir la photographie de l’indifférence, a réussi à “Aller de l’émergence à la reconnaissance de la photo d’auteur” dixit Daniel Barroy l’année dernière quand il m’encouragea vivement à continuer d’œuvrer pour consolider cette réunion d’images “testimoniales”.

J’insiste ! À cette époque les grands photographes invités sont proches, attachants, accessibles, bienveillants. C’est tout de même extra-ordinaire de voir Adams qui s’occupe de régler la cellule Lunasix d’un jeune homme inconnu, ceci avant le repas, en dehors de tout stage. Ou Dieuzaide, Lisette Model, Adams encore, Neal Wite ou Doisneau (m’a-t-on dit) qui prennent en main un portfolio pour l’apprécier au coin d’une rue ou sur une table de bar.

À ce propos, Jean-Maurice Rouquette m’a bien dit et redit qu’en ce temps-là, il a observé ceci : les photographes – même les plus grands Américains – étaient finalement heureux et même surpris d’avoir un si vaste public attentif ainsi mis en face d’eux.

Je me rappelle même de certains qui commentaient leurs images sans retenue au point d’en devenir lassants. (C’était surtout au temps du champ clos dans la cour de l’archevêché.) Les choses ont changé avec les mises en forme suivant des thèmes, des présentations spectaculaires apparues avec le transfert des soirées au Théâtre Antique. Alors certains auteurs n’avaient pas la gentillesse d’être là et de se présenter au public.

À propos de changements, j’ai vécu ceci à la fin des années traitées dans le livre : de 1974 à 1982.

Voici : je suis en compagnie de M. Rouquette et nous traversons d’un bon pas la place devant la mairie pour entrer dans l’exposition de la Chapelle Saint-Anne le jour du vernissage qui inaugure le festival. En haut des marches sort en pleine lumière un grand Sénégalais dans un bel uniforme bleu sombre. Gentil et souriant, il nous demande de produire nos cartons d’invitation. Ni le fondateur ni le bénévole n’ont pensé à se munir du sésame. Et bien, il nous a fermement interdit l’entrée et nous avons attendu sur un banc de la place de crouler sous les quolibets des copains quand ils sont sortis pour aller à l’exposition suivante !

Et oui, cela avait changé !

Un pas vers l’entreprise culturelle et de spectacle comme je me plais à le dire.

En travaillant à ce livre, nous avons voulu donner vie à ces archives, en restituant autant que possible l’ambiance bon enfant et typique de ces années-là où régnait une camaraderie, avec de nombreuses, âpres, longues, discussions, à la façon des années après 68.

Avec 430 images, avec des notes et des commentaires qui courent entre elles, des témoignages, ce livre déroule au fil des 180 pages une multitude de scènes où les participants sont à la fois acteurs et spectateurs.

Nous espérons que cette sorte d’album de famille constitue un ouvrage précieux pour revoir, se remémorer ou découvrir cette époque essentielle, mais peu documentée.

Un moment inoubliable et si important de l’histoire de la photographie en France. »

Archives des l’Œil de la Photographie – Denis Barrau, 2016

 

LIVRE
Rencontres d’Arles, les débuts
Editions GEIMO Créations
Jean-Maurice Rouquette, Denis Barrau, Philippe Dumoulin
240 x 200. 180 pages.
Français
[email protected]

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