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Chalon-sur-Saône: Blumenfeld

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Héritière de Dada et du collage, de la Renaissance et de VU mais produit d’une culture éclectique, – on y rencontre Nietzsche, Villon, Mozart et les Marx Brothers -, la photographie de mode, profile dans son sillage la silhouette d’Erwin Blumenfeld. L’homme au talent précoce a récusé très vite ses dettes et ses références pour rejoindre tôt le panthéon de la photographie appliquée.

Au milieu des années 30, dès les premières commandes des magazines de mode, E. Blumenfeld s’est affranchi du pesant fardeau de la pose convenue et de l’illustration. Certes, la photographie de mode est un métier, mais elle est, avant tout, l’occasion de faire passer une forme, une émotion. Il faut faire rentrer l’art en contrebande dans un milieu pour le moins distant : « la Haute-Couture avait peur de mon talent et pas d’argent pour mes photos ». Cecil Beaton et André Guesclin seront ses premiers soutiens. Et c’est ainsi qu’il débute dans l’affaire Vogue, et « apprit à honnir cette foire de la vanité… ». En 1939, en froid avec le magazine, il rejoint Harper’s Bazaar et Carmel Snow, décision qu’il jugera suffisamment judicieuse pour ne pas y revenir. La signature du contrat le conduit à New-York, découverte d’une cité irréelle, vulgaire et fascinante. Il y revient en 1941, dans l’urgence de la fuite, hébété et perdu. Mais la ville le reçoit à bras ouverts et « les mains vides ». Carmel Snow, « la reine absolue de la mode », lui ouvre grand les portes d’Harper’s Bazaar : « Blumenfeld ! C’est le ciel qui vous envoie ! ». Pour lui, rescapé, stimulé par un monde nouveau, et ses contrats juteux, le studio de Manhattan offre plus qu’une seconde vie. Enfin, d’autres opportunités et des moyens techniques inédits. « C’est ça l’Amérique ! » s’écrie-t-il, autre chose qu’une existence niaiseuse de miraculé, une version romantique du bonheur retrouvé, mais l’impatience au quotidien. Le désir, – maître mot -, d’aller toujours plus loin dans la compréhension des phénomènes photographiques.

Le studio Blumenfeld va devenir le lieu d’une production autonome, une place où rien n’est laissé au hasard. E. Blumenfeld s’entoure d’assistants et choisit ses modèles. De la qualité des plan-films, toujours insuffisants, aux maquettes d’imprimerie, médiocres, E. Blumenfeld se sent à chaque instant livré à lui-même. Et trahi. Le directeur artistique, voilà l’ennemi : « photographes d’art ratés qui se vengent à tort et à travers de ne pas avoir de talent. ». Une photographie publiée est un renoncement, une concession obligée. Il aurait tant souhaité que tout converge, de la prise de vue à l’impression. Cela arrive parfois. C’est qu’il aimait la perfection des formes, et leur duplicité aussi. Fidèle à ses gestes d’avant-guerre, il reprend ses thèmes et les modifie légèrement. Une image se redouble, une figure se multiplie, on la solarise, la superpose, etc. Les citations et les références artistiques apparaissent discrètes mais régulières. E. Blumenfeld se découvre, somme toute, plus classique que moderne et, sans vergogne, réinjecte tout l’arsenal des avant-gardes dans une production sans angoisse. Des inquiétudes formelles, il en aura peu, et soutiendra désormais sans idéalisme un style dénué de toute provocation évidente, jouant de l’allusion et de la subtile perversion. Car la grande affaire du studio, c’est la couleur. Pour le reste, rien de vague, répondre de la manière la plus exacte dans la proposition et pour ce faire la ramener dans le passé, en lui conférant une noblesse artistique. Sans renoncer jamais à la création, le Blumenfeld Studio Inc. renoue avec les partitions européennes. A l’ennui new-yorkais, à la vulgarité américaine, E. Blumenfeld cherche remède dans la fabrication d’images, réminiscences de ces instants parfaits qu’il a autrefois piégés. Il trouve un réconfort dans le plaisir de savoir qu’il a déjà connu ces moments, leur intensité. Doté de moyens conséquents, il va répéter, revivre ces instants photographiques. Mais, mélancolie, il ne se débarrassera jamais de sa défroque européenne. Eternel retour.

Berlin, Amsterdam, Paris, l’Europe fut un renoncement, une blessure jamais cicatrisée. Voici un cas singulier : un photographe  qui ne souhaite pas se retourner sur cette vieille Europe, coupable d’avoir trahi ses idéaux d’humanisme et de beauté, et qui souffre d’un mal incurable, l’inculture et le « synchronisme » américain. Lui qui a cru aux vertus de l’art, aux avant-gardes, n’a plus d’autre ambition que d’étouffer cette trivialité quotidienne. E. Blumenfeld parsème alors ses kodachromes et ses Ektachromes de notes, de rappels constants à un passé qu’il ne peut enfouir, dont il ne peut se séparer. Rien de nouveau depuis le départ forcé de France, l’esthétique reste la même : solide et nuancée, un peu charmeuse mais toujours précise. Il accorde ses deux voies, modernité et classicisme, c’est-à-dire jeu et rigueur. L’audace des poses et des cadrages s’accommode de la sobriété de la composition. Finalement, l’objet même de la commande, le vêtement, il s’en moque. Il détourne cet objet. Voilà le plaisir. Et pour cela, nul effort n’est jamais vain dans ce studio. Le souci d’échapper au quotidien morne et gris, sans intérêt aucun, traverse la photographie. Il faut se départir de l’odeur du réel, de ses apparences, de ses pièges. Seule la conjonction de la volonté et de la libido, unis dans l’art peuvent nous épargner la monotonie et la bassesse des sentiments. La joie de la couleur est fille de l’exigence. Une exigence qui n’eut de cesse de croître pour une image qui ne pouvait souffrir d’aucune faiblesse, au risque de la stérilité.

François Cheval, Conservateur en chef du musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône

Studio Blumenfeld – New York, 1941-1960
Musée Nicéphore Niépce
Du 16 juin au 16 septembre 2012
28 quai des messageries
71100 Chalon-sur-Saône – France

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