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Carleton Watkins, le paysagiste oublié

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Les éditions Getty publient, après presque trois décennies de travail, le catalogue complet de l’œuvre du photographe américain Carleton Watkins. Cet esthète rigoureux du XIXe siècle est longtemps resté discuté jusqu’à ce son travail libère la passion du très respecté Weston Neaf.

« Carleton Watkins est à la photographie ce que Cézanne ou Van Gogh sont à la peinture, lâche Weston Naef, conservateur émérite du département photo au J. Paul Getty Museum. Cet homme est probablement le plus grand artiste américain de son temps Et son nom est à peine connu. » Il est vrai que si l’on arrête un passant et qu’on cite le doux nom de Carleton Watkins, il y a fort à parier qu’il ne lui sera pas familier. Il s’avère pourtant que, de son temps, Watkins jouissait d’une certaine renommée.

Né en 1829, ce photographe s’est d’abord fait connaître pour ses photographies du parc naturel de Yosemite, travail qui a influencé le congrès américain pour la préservation du site, classé Parc National en 1890. Il serait néanmoins réducteur de seulement l’associer à ce seul projet. Paysages de Californie, rues de San Francisco au temps de la ruée vers l’or, portraits de mineurs en situation : dès 1961, Watkins étrenne dans tout l’Ouest américain son large appareil, dont l’appellation « Mammoth Camera », en anglais, est devenue commune. Engagé sur des projets, commerciaux ou non, ce natif de New York se rend sur un lieu pour tenter d’en faire l’état en captant une atmosphère ou un esprit. « Il réfléchissait réellement en tant qu’artiste », illustre Weston Naef.

Il tire alors de grands négatifs sur des plaques de verre, fait de cette expérimentation photographique sa marque de fabrique, et vend ses photos dans des cadres, parfois en noyer, pour qu’elles soient accrochées comme des tableaux. « L’invention de Watkins pour l’histoire de la photographie a été de décréter qu’une photographie, à l’image d’une peinture de la renaissance, devait exister dans une taille considérable », explique Weston Naef. Conscient de son art, Watkins signe ses œuvres par centaines et les exporte à Tokyo, Stockholm, Londres, Paris ou New York, où la plupart dorment encore. Des photographies à l’indéniable caractère historique, minutieusement imaginées et élaborées, qui cachent presque toutes un réseau invisible de lignes entrelacées. « Si vous créez un diagramme de l’image, détaille Naef, vous y trouverez qu’elle est unifiée, avec une grande précision, par différents éléments du premier plan au dernier, à la manière de Cézanne. Cézanne était un peintre de la couleur et de la perception et Watkins un photographe de la perception. » Une œuvre de la perception dont la quasi totalité des négatifs disparaît dans l’incendie de son studio provoqué le tremblement de terre de San Francisco en 1906 (un seul survit).

Dans les méandres de l’histoire de la photographie

L’imposant livre publié aujourd’hui recense presque toutes les photographies de Watkins, en dix chapitres. Elles sont, par la force des choses, d’une certaine rareté : sur les 1273 photos du catalogue, au moins un exemplaire a été retrouvé. Un tiers de ces photos n’existent qu’en un seul exemplaire. Un autre tiers en deux à cinq. Et le troisième tiers existe en six à trente exemplaires, dont trente images en trente exemplaires. « Ce n’est pas beaucoup », dit Weston Naef. Rassemblées de par le monde, elles figurent majoritairement dans les collections d’institutions qui ont reconnu leur valeur, non sur la réputation de Watkins mais par un sens de l’observation.

Pour Weston Naef, l’histoire débute en 1975, lorsque le conservateur organise au Metropolitan Museum de New York l’exposition Era of exploration regroupant les œuvres de cinq photographes : Eadweard Muybridge, Timothy O’Sullivan, William Henry Jackson, Andrew Russell et Carleton Watkins. Rapidement, il s’aperçoit que ce dernier n’est quasiment pas présent dans les grandes expositions du même type ou les encyclopédies de la photographie. « Lorsque j’ai découvert ses photos, j’ai tout de suite reconnu l’œuvre d’un photographe sous évalué », se souvient-il. Commence alors un grand travail de recherche, un puzzle aux nombreuses pièces manquantes, qui durera presque trente années, dont quinze à la réalisation active du catalogue. « Personne n’était allé à la New York Public Library pour observer une série de photographies qui y dormaient depuis des années, explique Weston Naef. Il n’existait pas d’archive à proprement dite, comme pour Cartier-Bresson par exemple. Il n’y avait même pas d’iceberg qui laisserait entrevoir quelques pistes au dessus de la surface et une multitude de résultats en dessous. Ce fut un long travail. »

Carleton Watkins, précurseur de la technique photographique et doté d’un sens de l’esthétisme digne des plus célèbres, aura donc attendu plus d’un siècle pour voir naitre l’inventaire de son œuvre complète. Une œuvre qui aujourd’hui laisse entrevoir les prémices d’un autre style photographique, cher à tous les grands du XXe siècle. «Watkins avaient deux appareils, un ‘mammoth plate’ et un plus petit, aussi sur trépied. Un Leica du XIXe, pour les instantanés. »

Jonas Cuénin

Carleton Watkins, The Complete Mammoth Photographs
Weston Naef et Christine Hult-Lewis / J. Paul Getty Museum
A paraître le 15 novembre 2011
608 pages, $195

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