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Bruno Mouron et Pascal Rostain: Famous

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On les appelle paparazzi. Ils en sont fiers. Ils ont raison. Ils sont les meilleurs. Un livre Famous et deux expositions à Paris leur sont consacrés, la préface du livre est de Philippe Garner, le Directeur au département Photographie de Christies. C’est une petite merveille.

Capturer des cibles en perpétuel mouvement
par Philippe Garner

Ils préfèrent rester dans l’ombre. Leur objectif n’est pas d’exister aux yeux du public, mais de continuellement fournir à la presse les photographies et les reportages qui incarneront les moments-clés et les chapitres significatifs de notre histoire. Ils savent que pour atteindre cet objectif, la bonne stratégie consiste à préserver son anonymat, afin de pouvoir à se fondre, comme des caméléons, dans le paysage. L’un des axes principaux de leur travail – qui est au cœur de ce livre – est de cerner la célébrité, la place ambivalente qu’occupent dans la conscience collective ces êtres « glamour », auréolés du talent, du pouvoir et de la notoriété.

On les désigne parfois du nom de paparazzi, même si le terme est réducteur : il ne rend pas justice à l’étendue de leur palette, et a acquis une connotation trop péjorative, à mille lieues aujourd’hui de rappeler la glorieuse Rome des années 50 – Hollywood sur le Tibre – où ce label fut accolé à l’exubérante génération de photographes qui, en ces temps innocents, nourrit la fascination pour la vie et les amours des personnalités de tout acabit qui caractérise les médias modernes.
« Ils », ce sont Bruno Mouron et Pascal Rostain, deux photo-reporters – comme ils préfèrent à juste titre qu’on les appelle – inventifs et expérimentés. Basés à Paris, mais prêts à traverser le monde entier pour un scoop, ils ont travaillé en frères d’armes pendant de longues années, depuis qu’ils ont été amenés à collaborer ensemble, à la fin des années 70, à l’un des magazines d’actualité les plus respectés de l’après-guerre, Paris-Match. En 1986, ils décident d’entériner leur partenariat, en fondant leur propre agence indépendante, Sphinx. Si la majorité des images présentées dans ces pages est de leur fait, quelques-unes, notamment celles de Bardot par Philippe d’Exea, sont l’œuvre d’associés de leur agence.

Le déclic qui fit embrasser cette profession à Bruno Mouron fut la découverte d’un livre paru en 1970, Les Reporters, de Christian Brincourt et Michel Leblanc. C’est l’aventure qui l’a tenté, pas l’esthétique photographique en elle-même ; ce qui l’a excité, c’était le défi, la nécessité de mettre au point un véritable jeu de pistes pour traquer son sujet, et réussir, malgré tous les obstacles, à rapporter les bonnes photos. Vitesse et patience, ingéniosité, souplesse et ruse, sont les atouts essentiels, tout comme l’instinct, dans cette rencontre souvent trop brève avec la cible, afin de déclencher l’obturateur au moment précis où le regard, les gestes, et le contexte s’alignent parfaitement. Avec des cibles perpétuellement en mouvement, il n’y a pas de seconde chance.

Ce fut aussi la soif d’aventure, stimulée par son récent service militaire, qui incita Pascal Rostain à se rendre au Tchad, en 1978, pour couvrir la guerre civile qui faisait rage là-bas. Son imagination avait déjà été éveillée par l’exemple de pionniers du photojournalisme comme Erich Salomon et Weegee, et, ainsi qu’il l’explique avec un sens aigü de la comparaison et non sans humour, par le modèle de l’intrépide journaliste et aventurier Tintin. Pas étonnant que le vocabulaire utilisé par les deux hommes pour décrire leur activité et leurs méthodes soit celui des chasseurs de gros gibier, des espions ou des commandos, plutôt que celui que l’on associe avec la pratique classique de la photographie. Tous deux se qualifient volontiers de « mercenaires », de « Zouaves », de « snipers », et expliquent que, jeunes hommes, ils se voyaient en Zorro ou James Bond.

Mouron et Rostain travaillent souvent en « planque ». Une mission peut exiger des jours, voire des semaines de reconnaissance et de subterfuges avant que se présente l’occasion de capturer le moment de vérité. Dans d’autres situations, on doit se rendre transparent à la vue de tous, en gagnant la confiance et l’approbation de ses cibles, et ainsi se fondre dans le décor. Même si une certaine accoutumance peut s’installer de chaque côté, Bruno Mouron et Pascal Rostain ne laisseraient jamais leurs cibles orchestrer la situation. Leurs photos, qui ont toujours pour sujet les « gens », sont d’authentiques documents qui « racontent une époque », expliquent-ils, et illustrent avec intégrité et franchise les faits de la vie publique et privée.
Parmi tous leurs reportages, ils évoquent avec une satisfaction particulière les nombreuses photos, publiées dans Match, consacrées aux laissés pour compte de la société, les marginaux, les prostituées, les travestis, et ceux dont les vies sont détruites par la drogue. C’est en effet aux conditions de vie extrêmes qu’ils s’intéressent. À l’autre bout du spectre, ils capturent le magnétisme naturel et le charisme des grandes stars. Ou bien ils pointent dans leurs viseurs l’hypocrisie et la vanité des politiciens et d’autres figures publiques. De ce point de vue, ils jouent un rôle semblable à celui des esclaves de la Rome antique, dont la tâche consistait à monter sur les chars aux côtés des héros pendant leurs parades triomphales et de veiller à rappeler constamment leur condition, non de dieux mais de simples mortels, comme ceux qui, au sein de la foule, les applaudissaient. Depuis l’époque des Césars jusqu’à l’ère de La Dolce Vita, Rome a souvent témoigné du danger qu’il y a à élever les humains au rang de dieux.

Le titre Famous exprime parfaitement une dimension clé de l’activité du duo, celle qui repose sur l’éternelle tendance de la foule – peut-être même s’agit-il d’un besoin vital – à idolâtrer et décortiquer des figures héroïques, à travers lesquelles des millions de personnes peuvent vouer un culte au glamour et à cette réussite affichée dont on connaît le prix à payer. C’est au sein de ce monde où tout paraît possible que nos faiseurs d’images réalisent des clichés qui sont autant d’allégories visuelles du charme, des jouissances apparentes et des frustrations indéniables qui caractérisent l’existence de ces individus souvent pris au piège, et parfois consumés, finalement, par les mythologies que nous construisons autour d’eux.

L’histoire académique de la photographie a tendance à révérer les professionnels animés par de hautes ambitions artistiques, ceux qui créent des photos dignes de figurer dans les musées, comme véhicule sophistiqué de leur créativité. Les curateurs et les critiques, et bien évidemment de nombreux photographes, ont aussi souligné l’importance de la maîtrise méticuleuse de la technique – d’exposition, de développement, et d’impression – si l’on veut exploiter tout le potentiel de ce moyen d’expression. Nos auteurs sont plus pragmatiques et accordent à la vérité et au pouvoir de l’image une importance fondamentale. Pour eux, les raffinements techniques sont juste bons pour la galerie. Ils considèrent qu’une préoccupation excessive pour les questions esthétiques peut nuire à la mise en œuvre des méthodes qu’ils sont obligés d’employer.

« Nous devions fréquemment calculer approximativement nos temps d’exposition et nous reposer sur la large gamme d’action du Tri-X », explique Mouron, éclairant ainsi ce qui compte vraiment dans leur travail. En tant que spectateurs, nous nous retrouvons à notre tour aspirés par l’irrésistible logique visuelle de ce pan non négligeable de l’histoire de la photographie, trop souvent méprisé par nombre de ses supposés champions. Voici un genre brut et spectaculaire où la pure spontanéité et l’immédiateté de la représentation sont tout, où le grain d’un film poussé à ses limites sous un faible éclairage, la profondeur de champ parfois minime dictée par l’incontournable téléobjectif, le flou du mouvement, la contrainte d’un cadre étroit ou d’une structure découpant aléatoirement le champ, peuvent contribuer à l’énergie et au succès ultime d’une image captivante et mémorable qui n’aurait jamais pu être obtenue de façon préméditée. Famous nous encourage à reconnaître, apprécier et célébrer un nouveau cadre de référence, grâce auquel évaluer les mérites d’une formidable photographie.

Les Expositions
Famous – Bruno Mouron & Pascal Rostain
Du 6 septembre au 27 octobre 2012
A.galerie
12 rue Léonce Reynaud
75116 Paris – France

Du 13 au 17 septembre 2012
Palais de Tokyo
13 Avenue du Président Wilson
75116 Paris

Le Livre
Famous – Bruno Mouron & Pascal Rostain
Publié par Robert Laffont
192 pages, 240 x 335 mm
35€
ISBN : 2-221-12872-9

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