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Du Noir et du Blanc, les photographies de Michael Abramson dans le Chicago des années 70

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Depuis les années 80, le Chicagoan Michael Abramson est connu et respecté en tant que photographe indépendant dont le travail est présent dans des magazines nationaux. Mais au cours des années 70, il a eu une carrière de photographe documentaire brillant, et c’est juste avant son décès en 2011 que ses œuvres de jeunesse ont été redécouvertes et appréciées pour leur valeur tant historique qu’artistique. Ses photographies en noir et blanc des boîtes de nuit du sud de Chicago sont jugées particulièrement importantes. À vrai dire, son exploration de la scène underground des années 70 (funk, blues, débuts du disco) est souvent comparée au Paris nocturne vu par Brassaï dans les années 20.

Les photographies anciennes de Michael Abramson ont été présentées dans deux publications saluées par la critique. Dans la plus récente, Gotta Go, Gotta Flow (2015), chacun de ses clichés de Chigago est accompagné de quelques lignes de slam, dont le texte retranscrit parfaitement l’énergie et l’émotion émanant de l’image. L’auteure de ces poèmes est l’écrivaine afro-américaine Patricia Smith, primée par de nombreux prix. Elle-même a grandi à Chicago et se souvient que son père fréquentait les clubs immortalisés par Abramson.

Six ans plus tôt, en 2009, la célèbre société d’enregistrement Numero Group a sorti un livre-CD intitulé Light on the South Side (avec une introduction de Nick Hornby). Près de cent photos de la taille de CD sont présentées dans ce somptueux coffret. Une atmosphère intime se dégage naturellement des scènes où figurent essentiellement des clients afro-américains, ce qui met en évidence le fait qu’Abramson, un blanc, ne se contentait pas de faire une ou deux virées dans le sud de Chicago, mais était un habitué des lieux. Ces photographies, prises sur une période de trois ans, exhibent la mode exubérante de l’époque et l’atmosphère joyeuse, presque délirante, de ces boîtes de nuit. On découvre des défilés de drag-queens dans un milieu qui n’était pourtant pas très ouvert aux homosexuels. On voit aussi la façade des clubs de l’extérieur et les véhicules rutilants dans lesquels certains clients arrivaient. Cependant, ce qui rend Light on the South Side unique, ce sont les deux LP qui contiennent les airs de blues qui passaient à l’époque (d’après ce qu’on en sait) dans ces établissements animés. Cette publication étant considérée comme un enregistrement musical, elle a été sélectionnée pour les Grammy Awards dans la catégorie meilleur coffret, fait extrêmement rare pour de la photographie.

Il est important de noter qu’Abramson était conscient de sa position d’homme blanc photographiant le milieu noir. Il a admis que c’était son appareil photo qui lui conférait la licence nécessaire pour accomplir ce qu’il a fait. À propos des scènes auxquelles il a assisté, il nous livre son analyse : « Que ce soit par les gestes, l’habillement ou le comportement, les gens de la nuit semblaient transformer leur environnement plutôt ennuyeux en un théâtre vivant, un univers à part où chacun faisait partie d’un spectacle sensationnel. Ils représentaient un monde nocturne très particulier qui n’existait que pour lui-même. J’étais entré dans un espace hors du temps, où naviguaient des tas d’acteurs et actrices, parés pour tous les rôles imaginables ».

De l’autre côté de la ville, dans un quartier plus blanc du nord de Chicago, et dans les banlieues proches, Abramson a choisi comme sujet suivant la culture alors en voie de disparition des salles de bals, ce qui donne lieu à des images saisissantes. Dans des endroits comme le Aragon Ballroom (construit dans les années 20), c’est un milieu de la nuit bien différent qui se déploie, plus classique, aussi. Ses clichés, pris avec des angles de vue étranges, procurent une sensation d’irréalité et nous montrent (nous mettant dans le rôle de voyeurs privilégiés) des êtres dansants figés sous un éclairage surprenant, habillés de manière formelle, arborant des bijoux de famille et des coiffures bouffantes démodées.

Par son exploration de ces deux milieux très différents, Abramson nous livre le témoignage de comportements extravagants durant cette période, avec la splendeur du noir et blanc – littéralement, car on est au cœur de cette ville de ségrégation qu’est Chicago. Examiner ces images à travers l’objectif de notre époque, c’est avoir un aperçu d’un temps révolu, avant que les étiquettes ne définissent la fréquentation démographique des bars et des boites de nuit, et dont nous commençons seulement à nous démarquer aujourd’hui.

En plus des boîtes du sud et des salles de bal du nord, Abramson a fréquenté un club de strip-tease lors de son événement mensuel, “nuit de la photo”. En échange d’une contribution modeste, les hommes, blancs comme noirs, pouvaient venir photographier les danseuses avant que le spectacle ne commence vraiment. Comme ses congénères, Michael Abramson a pris des clichés intimes, à la fois dans les loges et sur scène, lorsque les strip-teaseuses répétaient leurs mouvements. Mais au bout d’un moment, il a songé à tourner son objectif vers les autres photographes. Et lorsqu’ils ont compris son manège, il a été chassé du club !

Il est évident, aujourd’hui, lorsque l’on voit ces joyeux drilles qui swinguent dans les salles des quartiers sud, ces prises de vue de guingois de couples valsant dans une ambiance rétro, et ces femmes qui exhibent absolument tout pour un océan de mâles voraces, que Michael Abramson nous a offert un éclairage inhabituel sur le théâtre humain de la nuit à Chicago, à cette époque donnée.

Federico Hewson et Midge Wilson

Frederico Hewson est écrivain, commissaire d’exposition et militant. Il vit actuellement à Berlin, en Allemagne. Midge Wilson est la directrice exécutive du Abramson Arts Foundation et Abramson Estate.

 

www.michaelabramson.com

www.michaelabramson.com

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