Cette image est extraite du troisième livre de Michel Setboun et Marie Cousin sur les agences. Le livre est intitulé 40 ans de photojournalisme, génération agences. Quatre-vingts photoreporters ont choisi et commentent une image emblématique de leur parcours. L’image que nous publions aujourd’hui est une photographie réalisée par Judah Passow.
Je passe quatre semaines à Fahme, un village palestinien à la sortie de Jénine, en Cisjordanie. Là-bas, tous les hommes sont devenus des collaborateurs du Shin Beth, le service israélien intérieur de sécurité. Ce qui rend les femmes folles de rage parce que cela ronge totalement les bases de la vie du village. Pourtant, aucun d’entre eux n’est “pro-Israël”. Leurs officiers traitants les ont généralement forcés à collaborer par le chantage, les menaçant d’un long séjour dans les prisons israéliennes. Tous sont payés pour leur travail. Du coup, tant qu’ils échappent à la mort, ils ont un niveau de vie supérieur à la moyenne locale. La collaboration est un système trouble et dangereux, qui ne laisse aucune place ni à l’idéologie ni au romantisme. Je parle toute la matinée avec cette vieille femme. Son mari et son fils sont justement des collaborateurs. Le fils débarque en voiture dans la cour de la maison et se gare juste à côté de nous. Il nous regarde une minute avant de mettre la main derrière son dos et de sortir son pistolet. Il le tend à sa mère, lui suggérant que la photo serait bien meilleure si elle tenait l’arme. D’un coup, l’expression de la vieille femme change. Elle explose de colère, sermonne son fils. Et moi, j’assiste à la scène à travers mon viseur. Je sais qu’il y a une histoire à raconter. La mère se met à maudire son fils, agite les bras et lève sa canne… une sorte de condamnation biblique. Clac. J’appuie sur le bouton. Et je sais. Je sais que j’ai ma photo. Elle symbolise le sentiment de toutes ces femmes qui ne veulent qu’une chose : mettre fin au cycle de violences qui détruit leur vie et celle de leur famille.
Propos recueillis par David De Araujo.
