Cette image est extraite du troisième livre de Michel Setboun et Marie Cousin sur les agences. Le livre est intitulé 40 ans de photojournalisme, génération agences. Quatre-vingts photoreporters ont choisi et commentent une image emblématique de leur parcours. L’image que nous publions aujourd’hui est une photographie réalisée par Scott Thode.
« Te fatigue pas à dire bonjour ! » : Voilà comment Vénus m’accoste la première fois… Je travaille depuis deux ans sur la problématique du sida. J’ai décidé de m’intéresser aux séropositifs sans domicile fixe, à ceux qui vivent dans les rues de New York. Cette rencontre chamboule ma vie. Lorsque je prends cette photo, il fait nuit. L’air est chaud. Vénus se déshabille et décide instinctivement de danser dans l’eau qui jaillit de la bouche d’incendie. C’est une explosion d’énergie. Je réalise alors que je ne fais plus seulement du journalisme. Ici, il s’agit de dévoiler l’âme d’une personne. Vénus et moi sommes devenus très proches l’un de l’autre. Je connais sa famille, elle connaît la mienne. Jusqu’au bout, elle se bat contre la mort. À cette époque, aux États-Unis, les gens ont encore peur d’être contaminés par le virus en serrant la main d’un malade. Grâce à JB Pictures, je peux me concentrer sur ce type de travaux au long cours. C’est une toute petite agence. Nous sommes très jeunes, on s’entraide — de véritables enfants avides d’apprendre ! Aujourd’hui, tout le monde peut prendre une photo. Mais l’implication dans un sujet, la profondeur des reportages se sont un peu perdues. On ne sait plus comment raconter une histoire. Après la mort de Vénus, c’est devenu trop dur émotionnellement. Je ne veux plus être sans cesse sur la route. Ma vie a changé. Je suis devenu éditeur. Ce n’est plus moi qui photographie, mais j’ai découvert de nouvelles manières de raconter les histoires grâce au montage vidéo. Ce qui me manque le plus, c’est l’effervescence collective que j’ai connue chez JB Pictures. Je crois toujours aux mêmes valeurs. Je n’ai jamais cessé de témoigner du monde qui m’entoure, mais aujourd’hui, je mets cet idéal en pratique grâce à de nouveaux moyens.
Propos recueillis par Daphné Breytenbach.
