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Yusuf Sevinçli ou les rêveries du promeneur solitaire

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Du 11 janvier au 5 mars 2017, Le Château d’Eau à Toulouse présente la série Dérive du jeune photographe turc Yusuf Sevinçli dont la pratique photographique quasi compulsive de la vie quotidienne est le moyen pour lui de rester connecté aux êtres et aux choses.

À quoi tient l’âme d’une ville ? À la rectitude des trottoirs étroits, lissés par le temps ? Aux taches de rousseur d’enfants saisis par les frimas ? Aux noctambules qui errent sous la fusion des lampadaires ? Une ville livre ses secrets à ceux qui l’arpentent sans fin, poussent la porte des bars, déjeunent sur le coin d’un comptoir et dînent au coin d’un autre, croisent les gavroches le matin sur le chemin de l’école et les retraités l’après-midi, qui siestent sur les bancs.

En acceptant de conduire au printemps dernier une résidence à Vichy, Yusuf Sevinçli a endossé la figure du photographe marcheur, du flâneur indocile qui guette les offrandes du jour et les blêmissements du couchant : ici un croupier à la pâleur lunaire, là un chien mouillé convoquant les derniers fantômes de la nuit. Bien malin qui serait capable de reconnaître dans les images funambulesques de ce jeune photographe turc les coquetteries de Vichy la française, Vichy la bourgeoise, arc-boutée sur ses façades art nouveau, ses villas néoclassiques et les splendeurs de l’Allier. La ville thermale, qui vit naître l’écrivain voyageur Albert Londres, devient une terre de rencontres et d’aventures, une projection mentale, un poème visuel né des chimères d’un artiste stambouliote qui pratique les déplacements dans tous les sens du terme, physiques et psychiques. Vichy, grâce à lui, s’éveille d’un drôle de rêve où passent des guirlandes de lumières et des gamins aux poings serrés.

Coutumier des dérives existentielles, adepte des noirs contrastes, Yusuf Sevinçli est de ces artistes alchimistes qui se livrent, dans chaque lieu où ils se rendent, à d’étranges opérations de transfiguration. Ils ne préméditent pas leurs clichés, cadrent à l’instinct et déplacent les lignes. Ils sont à la fois témoins et acteurs, maintiennent un pied hors de l’image et un pied dedans. Ils vacillent avec le vent, trébuchent avec les ivrognes, palpitent avec les reines de beauté. Ils sont bien plus que des photographes car leurs photos délivrent des sons et des parfums, comme si leur présence sensible au monde créait de nouvelles synesthésies. Sous la griffe du regard nomade de Yusuf Sevinçli, Vichy est dessaisie de son histoire et de sa géographie, elle flotte dans un espace-temps qui est celui du rêve éveillé, elle chaloupe et chavire, traversée de fulgurances, filochée de brouillard, sertie de noirs charbon et de blancs incandescents qui la rendent à la fois plus ardente, plus nerveuse et plus insaisissable.

Natacha Wolinski

Natacha Wolinski est une journaliste et auteure spécialisée en photographie. Elle vit et travaille à Paris.

 

Yusuf Sevinçli, Dérive
Du 11 janvier au 5 mars 2017
Le Château d’Eau
1, Place Laganne
31300 Toulouse
France

http://www.galeriechateaudeau.org/

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