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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Certes, nous avons déjà constaté que les images photographiques sont devenues, — dans leur forme —, catastrophiques de par la disparition de leurs qualités techniques. Ce n’est pas tout, si les combats cessent faute de combattants, les photographies s’épuisent par manque de photographes dignes d’arborer cette appellation.

Il s’avère manifestement acquis que l’image restituée devient de piètre qualité, l’interrogation se pose à propos du contenu des œuvres. Qu’en est-il du fond, de l’histoire, de la création, du témoignage ? A l’observation des comportements, des réactions et de diverses analyses, je déduis qu’il ne reste plus rien, ou presque. Le solde d’une préparation (technique et intellectuelle), d’une prise de vue (préparée ou spontanée) et d’une adaptation postérieure (correction et valorisation), frise le zéro absolu, à d’infimes exceptions près.

Remarque liminaire, en sortant de la grande messe parisienne de la photographie rémunératrice [Paris Photo], j’étais conforté dans mes élucubrations à propos des « œuvres » actuellement en vogue pour la photographie. Quasiment toutes les galeries exposaient des photographies anciennes. Pas n’importe quelle ancienneté, cette fois l’antiquité photographique s’installe sur le marché (1850 – 1970). Au passage, il nous faut constater que tous les clichés présentés (issus de techniques très variées) sont toujours d’une grande qualité matérielle et d’une véritable originalité, même pour des sujets très professionnels. C’était le temps des photographes avec un cerveau bien fait et une maîtrise technologique objective. En résumé, une image lisible et bien conservée, une image compréhensible sans décrypteur, une image sensible et émouvante, tels se présentent ces tirages qui enchantent tous les publics de connaisseurs ou de sympathisants. Grandes, ou plus modestes, les vraies galeries de toutes origines géographiques et de toutes spécialités (celles qui prennent des risques, pas les loueuses de cimaises) offrent et présentent des œuvres qui plaisent et qui, surtout, se trouvent des acheteurs.

Pourquoi les réalisations actuelles disparaissent-elles du marché malgré un déferlement surabondant de présentations dans toutes les pseudo-galeries, dans les expositions de « type patronage » et dans les innombrables festivals à deux sous ?

Nous avons déjà pris note que la qualité matérielle de la forme avait disparue ; mais, elle n’est pas la seule. Le contenu de l’image photographique est incertain et quand il existe : il est trop souvent insipide.

Les causes de ces pertes de sens et d’esprit sont nombreuses et variées, mes quelques énumérations sont loin d’être exhaustives.

• En premier lieu, il est certain que la créativité, en général, s’est considérablement appauvrie depuis la fin des années quatre-vingt. La photographie n’a pas le monopole de cette décroissance aussi marquée qu’explicable. Tous les « media », d’expression corporelle ou intellectuelle, ont subi cette dégradation. Le court terme s’est installé avec ses rotations rapides de la mode et une monétisation des œuvres non plus sur leur valeur individuelle intrinsèque ; mais sur les multiples flux qu’elle peut engendrer. Pour être clair, le gain financier ne se fait plus par l’achat d’une œuvre pour l’installer sur un mur. Le pactole se gonfle sur le nombre de clics générés par le positionnement de l’œuvre sur un ou plusieurs réseaux dits — sociaux —. Bien sûr, nous le savons tous, dans ce nouveau système, ce n’est pas le créateur concepteur qui met la monnaie dans sa poche pour (sur)vivre. Le paroxysme se trouve dans ces établissements publics qui achètent à vil prix, quand ils ne se les font pas offrir, des œuvres originales pour les louer à tout un chacun. Dans ce dernier cas, j’ai fréquemment remarqué que lesdites œuvres n’en possèdent que la dénomination. Ces mondes superficiels et éphémères ne peuvent en aucun cas se rattacher au créateur qui lui travaille pour la pérennité.

• Les thèmes exploités pour la recherche, la conception et la construction d’une photographie sont devenus très égocentrés, sans être pleinement assumés par leur auteur. Le comble s’épanouit lorsque les « qui je suis ? » de l’expression viscérale se déclinent en « ce que je pense de mes pensées (mais, oui) et des évolutions de mon ressenti ». Une auto-psychothérapie — de moindre coût — à partager avec le plus grand nombre de suiveurs virtuels émerveillés. Les sommes rondelettes économisées, chez un bon psychiatre, seront investies séance tenante dans une pseudo-galerie budgétivore ou dans une autoédition d’un livre particulièrement indigeste. Nous avons tous vu ces autoportraits, de formes dénudées, parfaitement flous (d’inexpérience) dans une glauque pénombre (confondue avec un clair obscur) ou alors ces corps plantés dans la nature au milieu de végétations sans attrait. Je vous épargne les décors de friches qui donnent assez fréquemment un petit coté pornographique à la prise de vue. C’est très tendance ; mais sans le moindre intérêt pour le public, sauf peut-être pour l’auteur ou quelques voyeurs.

• La masse de photographies réalisées, chaque seconde, donne le vertige à toute personne normalement constituée. Même, si comme pour l’iceberg, neuf dixièmes deviennent invisibles dans le mois qui suit, il demeure vrai que les images survivantes sont encore en surnombre. La quantité ayant toujours été une contrainte, voire une ennemie, de la qualité, l’exubérance quantitative a assez rapidement rongé le contenu des photographies. Le nivellement par le bas n’épargne pas nos images. Le decrescendo s’est amplifié dans la spirale vicieuse. N’importe quel possesseur d’un appareil à prendre des images, visitant une exposition de clichés loin du top, s’imagine immédiatement qu’il est capable de faire aussi bien, sinon mieux.  Ce n’est pas le cas, toutefois il n’y a aucune raison pour qu’il n’expose pas lui aussi… et ainsi de suite. La boule de neige fonctionne aussi pour les illusions. L’issue est douloureuse pour les photographes authentiques ; mais, tellement juteuse pour tous les parasites incompétents qui profitent de cette destruction programmée.

• Au nom d’une foutaise, aux espérances financières infinies, nombre de naïfs (prêts à être plumés) s’imaginent que la conception numérique binaire (galvaudée sous le pseudonyme erroné d’IA) fera d’eux les Leonardo de Vinci de leur génération. Personne n’y connait rien, ce qui est finalement sans importance, puisque l’ordinateur est là pour cracher des chefs-d’œuvre à une cadence soutenue. Ainsi, le rêve d’une reconnaissance mondiale et éternelle est envisagée par ces créateurs parasites qui tentent de s’imposer. Leur magot se forme à partir de pillages dans les stocks des imprudents donateurs aux réseaux sociaux, dans les vols d’œuvres respectables, parmi les défigurations du travail d’autrui (sans autorisation, sans excuse, sans rémunération). La machine à décerveler de notre ami Alfred Jarry est entrée en action.

• Je limite cette liste des causes qui semble inépuisable en terminant par l’incidence de « l’air du temps » rendu incontournable par le harcèlement permanent de toutes les formes de communication. Une photographie ne peut être prise en considération qu’à la condition impérieuse d’être dans la mouvance mouvante, lors de sa conception. Je me dois de préciser que photographie ne signifie plus systématiquement l’image produite, c’est presque toujours son auteur qui est assujetti. Les critères de vie personnelle, de sexualité, de religion, de couleur de peau, de politique, de confrérie, etc. sont bien plus importants que le sujet traité ou les techniques appliquées pour interpeller ou embarquer le lecteur. Rien n’est plus frustrant pour un créateur sincère que d’apprendre qu’il a été choisi pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il fait.

Le tourbillon quotidien nous aveugle au point de ne plus savoir ce qui est une bonne photographie (encore faut-il se rendre compte qu’il s’agit bien d’une vraie). Comment ne pas réagir à la disparition, par asphyxie, des véritables photographes de nos sociétés.

Toutes les bonnes images portent une âme en leur sein. Malheureusement, les œuvres du nouveau millénaire sont totalement vides et arides pour l’esprit !

Thierry Maindrault, 17 novembre 2023

 

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