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Tim Walker : « La vie et l’imagination gagnent toujours »

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Succédant à Peter Knapp, William Klein ou encore Erwin Blumenfeld, Tim Walker est à l’honneur à la Villa Noailles, à Hyères, où il présente The Mirror, une série réalisée au cours des quatre dernières années. Spécialement conçue pour le festival de Mode et de Photographie, l’exposition convie la figure emblématique de Jean Cocteau et offre au photographe britannique un cadre à la mesure de son imaginaire flamboyant. Pour L’Œil de la Photographie, il revient sur son parcours et sur sa relation complexe avec l’industrie de la mode.

 

Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez eu un appareil photo entre vos mains ?

Je devais avoir douze ou treize ans, peut-être moins. J’ai emprunté l’appareil de mon père et, tout naturellement, j’ai commencé à photographier des champs, des arbres, ce qui m’entourait. La technicité de l’appareil m’intimidait un peu, jusqu’à ce que je comprenne que ce n’était qu’une boîte entre moi et ce que je voulais saisir.

À quel moment avez-vous commencé à lire des magazines de mode ?

J’étais en pleine adolescence quand j’ai remarqué le langage de la photographie de mode. Mes parents m’avaient envoyé en pension et je me souviens que tous les jeunes de mon âge installaient des posters sur les murs de leur chambre. Il s’agissait surtout de stars de cinéma ou de célébrités sportives. La mienne était tapissée de photos de mode. Je ne m’intéressais pas particulièrement aux femmes ni aux vêtements, mais l’idée d’une histoire fantastique m’intéressait. Et je voyais déjà que la photographie de mode était sans doute la seule manière dont je pouvais raconter une histoire.

En quelle mesure votre travail sur les archives de Cecil Beaton a-t-il influencé votre vision personnelle ? Vous  considérez-vous comme un héritier, un dépositaire d’une certaine tradition de la photographie de mode ?

Personne n’a envie d’être un simple écho. Chacun veut avoir sa voix propre, même quand on sait que ce n’est pas totalement possible. L’art est un langage universel, c’est quelque chose de vivant, en constante évolution. On trouve toujours quelqu’un pour vous inspirer, pour vous inviter à des associations inattendues et surprenantes, et tant mieux ! Beaton est ma référence ultime. Je pense que le comprends en profondeur. La découverte de ses archives a été la meilleure des écoles. Il avait développé un sens ludique bien particulier, un mélange unique d’éléments. Il est la source de presque toutes mes connaissances et ce lien avec le passé a été essentiel à un moment donné pour donner du poids à mes choix artistiques.

Quelle est votre principale source d’inspiration ?

La vie, tout simplement. Une conversation, une lecture. Les gens, le temps qu’il fait, la nature, les animaux, les couleurs… tout cela m’inspire. Récemment, j’ai fait un shooting inspiré par les œuvres de Francis Bacon parce que je voulais faire des nus masculins.

Beaucoup de liens et de sources d’inspiration sont issus de votre enfance, et de votre réticence à la quitter. Il y a souvent de la nostalgie et même parfois un côté assez sombre dans vos images, mais sans tomber dans le sentimental. Qu’avez-vous peur de perdre en devenant adulte ?

Difficile à dire. C’est presque une réaction inconsciente. En grandissant, on perd en innocence, en capacité à l’émerveillement, mais si on en était totalement dénué, on ne pourrait pas être photographe. La curiosité est nécessaire, tout comme une facilité à entrer dans un jeu, avec une certaine fraîcheur. Il faut tout voir comme si c’était la première fois. Les adultes n’ont plus le temps. Nous sommes tous pressés. Un enfant dispose de beaucoup de temps pour flâner, rêvasser. Je suis constamment épaté par l’infinie variété de la vie.

Vous êtes très critique au sujet des diktats imposés par l’industrie de la mode. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre entre vos inspirations personnelles et vos travaux de commande ?

En tant que photographe, la mode ne me sert pas de ligne directrice. En fait, je n’aime pas trop la mode, mais j’aime les beaux vêtements. Il y a bien des façons de trouver sa « voie du milieu » sans se perdre en cours de route.

Votre travail actuel est moins axé sur des tableaux luxuriants que sur des portraits dépouillés. Comment décririez-vous l’évolution de votre travail au fil des ans ?

Très lente. Si vous avez la chance de développer un style reconnaissable, vous finissez par prendre les dix mêmes clichés pour le restant de vos jours, quand bien même vous pensez que c’est une nouvelle photo. Il ne faut pas tomber dans ce piège. Il est trop facile de se cacher dans le monde délicieux d’un éventail restreint. Avec l’argent gagné grâce à mon travail commercial, je me suis acheté un studio à Londres. C’est juste un espace blanc et je l’adore. Il est important de sortir de sa zone de confort si on veut garder l’esprit ouvert.

Stefano Tonchi, le directeur de publication de W magazine a dit que vous étiez le dernier grand photographe de mode romantique. Êtes-vous d’accord avec cette description ?

La photographie est arrivée à un carrefour. Je ne sais pas ce qui va se produire, mais j’espère que la poésie, la vulnérabilité et les émotions y auront toujours leur place. C’est ma définition du romantisme.

Vous affirmez souvent que vous adorez les imperfections inhérentes aux êtres humains. Depuis le début de votre carrière vous avez combattu les idéaux de beauté très restreints des images de mode. Quelle est votre définition de la beauté ?

La beauté n’a rien à voir avec les mannequins stéréotypées de l’industrie que je trouve vraiment sans intérêt. La mode a pris une voie très conservatrice. Tout le monde peut avoir un immense talent devant un appareil photo. Présenter des beautés hors du commun me fascine. J’ai travaillé avec des femmes comme Stella Tennant, Tilda Swinton, Kristen Mc Menamy et Karen Elson, que l’on trouvait moches, et qui sont maintenant reconnues comme de grandes beautés par l’industrie de la mode.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la série exposée à la Villa Noailles ? Quelles sont les affinités entre votre travail et celui de Jean Cocteau ?

Jean Cocteau était un créateur d’images d’une puissance inouïe. C’est un incontournable pour beaucoup d’artistes, toutes nations confondues. Il me fascine depuis mon plus jeune âge. Aux yeux d’un Anglais, cet homme semble incroyablement sophistiqué et naïf à la fois. Comme Beaton, il avait cette capacité à transformer une page blanche en une sculpture à la beauté exquise. Au moment où le festival m’a contacté, je travaillais sur une série avec Emma Watson, qui jouait dans le nouveau film Disney La Belle et la Bête. J’étais plongé dans le film de Jean Cocteau, avec ses décors magnifiques et ses éclairages magiques. Le timing était tout simplement parfait !

Certaines de vos photographies font partie des collections permanentes de deux grandes institutions. Faites-vous la distinction entre la photographie d’art et la photographie de mode ?

C’est l’histoire qui en décide. Le temps est un grand arbitre. L’exposition Irving Penn vient d’ouvrir au Metropolitan. C’est de l’art, indéniablement. Le principe de mettre des étiquettes aux photographies m’a toujours semblé un peu étrange. Vous pouvez dire que je suis un photographe de mode, mais personnellement, je ne fais pas de distinctions entre les diverses formes que peut prendre la photographie.

Propos recueillis par Cathy Rémy

Cathy Rémy est journaliste au Monde depuis 2008, dans lequel elle présente le travail de jeunes photographes et d’artistes visuels émergents. Depuis 2011, elle est une contributrice régulière de M Le Monde, Camera et Aperture.

 

Tim Walker, The Mirror
Du 27 avril au 24 mai 2017
Villa Noailles
Montée de Noailles
83 400 Hyères
France

http://www.villanoailles-hyeres.com/

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