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Spéculations par Thierry Maindrault

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Le mot «spéculation» est l’un des vocables les plus utilisés dans notre monde actuel et avec une connotation très souvent péjorative pour beaucoup d’entre nous. Et pourtant, c’est l’un des termes les plus intimement liés à la photographie. Nos photographies se trouvent directement concernées à trois titres par toute la spéculation.

Dans sa source étymologique latine «speculatio» le mot désigne un point d’observation d’où l’on extraira une sorte de quintessence, le «speculator» sera à la fois l’observateur, le rapporteur, voire l’espion. Dans ses origines, la spéculation est le fondement parfait de ce que permettra la photographie moderne. A savoir trouver le point d’observation idéal pour saisir l’image et ensuite la transmettre afin d’éclairer la connaissance des autres. Toutefois il est évident que cette démarche ne trouvera son aboutissement qu’à travers une réflexion intellectuelle : celle du photographe bien entendu.

Puis cette source originelle, si bien adaptée à tous nos cheminements photographiques, s’est scindée, au fil du temps, en deux définitions très divergentes. La première a pris forme dans la didactique et la philosophie. La spéculation devient l’art de s’interroger sur les résultats d’une hypothèse présumée vraie. Elle recherche, elle étudie avec l’objectif de connaissance, dans l’abstrait, dans la théorie, dans la conjecture, dans l’imaginaire, dans la création. L’univers immatériel est une source inépuisable de la spéculation où s’égarent, nos rêves, nos rêveries, nos raisonnements, nos réflexions, nos contemplations, en résumé tous ces synonymes de la spéculation. Cette kyrielle d’actions cérébrales indispensables reste incontournable pour travailler dans et avec la lumière. A ce jour, je n’ai encore jamais rencontré un vrai photographe quelque soit son, ou ses, espaces personnels de travail qui ignore cette spéculation là. Tous les créateurs sont dans la spéculation permanente ce qui n’est guère contesté. Mais, ce qui est moins évident au commun des mortels c’est ce rôle spéculatif des professionnels de la photographie qui est pourtant, lui aussi, incontestable. Ces hommes ont choisi le point de vue (pas n’importe lequel), ils rapportent l’observation (pas n’importe comment), ils éclairent les consciences (chacune de leurs images raconte une histoire). En résumé, tout ce qu’un juge se doit de prendre en considération pour déterminer si l’image qu’il a sous les yeux dépend d’un auteur et que ce dernier est bien un auteur avec ses droits au sens juridique. Pour le reste se sont des milliards de clichés sans spéculation qui certes dépendent des techniques photographiques mais sans aucune création et peu d’avenir.

La seconde branche identifiée de la spéculation concerne l’espace financier. Parmi toutes les définitions semblables à propos de ce phénomène, je trouve très pertinente celle de Nicholas Kaldor en 1939 : «… achat ou vente de biens avec intention de revente (ou de rachat) à une date ultérieure, lorsque l’action est motivée par l’espoir d’une modification du prix en vigueur et non par l’avantage lié à l’usage du bien». En effet, l’aspect financier de la spéculation consiste bien à tirer un profit pécuniaire des fluctuations des prix d’un marché afin de bénéficier de plus-values substantielles plutôt que de satisfaire les usages d’une activité effective. Ces activités spéculatives sont essentiellement assises sur les valeurs de matières premières, de titres et d’objets de collection. Le spéculateur n’achète pas une caisse de vins de Bordeaux pour le déguster dans quinze ou vingt ans ; mais, pour en tirer une plus value substantielle de plusieurs fois sa mise de départ. Il n’acquière pas une peinture ou une photographie pour l’accrocher dans son salon ; mais pour en tirer une plus value exorbitante après quelques mois ou quelques années de séjour dans son coffre fort.

Que la photographie soit concernée et impliquée dans un processus spéculatif financier, les créateurs photographes doivent s’en réjouir. En effet, il s’agit d’une reconnaissance factuelle de la capacité de leurs œuvres à devenir un jour artistiques au même titre que de nombreuses autres créations. Malheureusement comme dans très nombreux autres domaines, le vrai problème apparaît avec le système même de cette spéculation qui suscite trop souvent de la tricherie. Le spéculateur est trop souvent tricheur. Ce n’est pas la procédure spéculative elle même qui triche, c’est le support de la spéculation qui se trouve impliqué pour permettre un profit frauduleux ou injustifié.

Comment nos travaux et nos recherches photographiques qui doivent beaucoup, comme nous venons de nous le rappeler, à une créativité spéculative se voient laminés pendant leur diffusion ? Il existe de nombreuses possibilités d’abuser d’une image photographique pour un profit immédiat indu, et cela très rarement dans l’intérêt de l’auteur. Je vous ai choisi deux exemples que vous avez tous rencontrés et qui perdurent. Les œuvres photographiques qui revendiquent l’appellation d’œuvres d’Art (en termes légaux) doivent répondre à de nombreux critères drastiques clairement définis par la Loi. Parmi ces critères figurent la numérotation particulièrement stricte et très encadrée, dont le numéro ultime est 30 (absolument toutes formes tirages confondues) pour l’utilisation des procédés photographiques. Combien de fois, même dans certaines pseudo galeries officielles, j’ai trouvé des tirages photographiques de confrères très reconnus où des numéros marqués en centaines contaminaient des prétendues «Photographies d’Art». Elles n’étaient plus que de simples images décoratives d’une valeur réelle vraiment très très inférieure à un soi disant prix de vente exceptionnellement bradé pour un investissement artistique annoncé comme plein d’avenir. Autre filouterie bien connue que celle de la surenchère lors d’une vente à l’encan déguisée à soi même pour surévaluer l’auteur et vendre des œuvres surestimées dont la spéculation sera probablement négative pour le néophyte.

Je laisse à votre réflexion ces propos de Yves MICHAUD, Raymonde MOULIN, concernant «La précarité de la vie d’artiste : … Dès lors que la cote devient, au moins sur le court terme, le critère majeur de la valeur de l’art, la majorité des artistes est condamnée à la précarité».

La spéculation didactique est très certainement l’amie du photographe, la spéculation financière qui accompagne ses œuvres semble très souvent bien moins bénéfique. Il en est de la bulle photographique comme pour tout avantage il y a le positif mais le négatif n’est jamais très loin. Restons vigilants.

08 janvier 2021

 

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