Comme tous les photographes travaillant dans la mode ou dans la publicité, Stéphane Coutelle reçoit des mannequins venant se présenter et montrer leur book dans l’espoir de décrocher une séance photo. Aspirantes ou débutantes, ces jeunes filles viennent souvent de pays lointains, parlent à peine l’anglais, rarement le français, et connaissent que peu de choses, voire rien, du métier dont elles rêvent. Pendant cinq ans, Stéphane Coutelle les a photographié dans son petit studio, son Shoebox, pour une séance brève, avec un minimum d’accessoires, dont résultent ces portraits sans mise en scène.
La situation n’est pas celle du maître face à son modèle, mais bien plutôt celle du maître à l’élève. Même dans ce cadre restreint, le professionnalisme est présent parce qu’il tisse les conditions de la rencontre : l’un sait, l’autre en est souvent au point ou elle voudrait savoir ne serait-ce que ce qu’il y a à savoir. Aussi le regard de Stéphane Coutelle va à l’inverse de celui du photographe qui cherche un visage pour un annonceur, un corps pour une image préconçue. La rencontre est furtive parce qu’il s’agit de saisir immédiatement une psychologie, une histoire, avant que des manières d’être plus ou moins professionnelles ne s’installent, avant même que la rencontre n’instaure une complicité. L’artiste agit ici sans idée, ouvert à tous les possibles.
On est parfois gêné devant ces portraits, et on pourrait attribuer cette gêne à une forme de voyeurisme ou de dureté de la part de Coutelle. Il s’agit plutôt de solidarité. Car ce n’est pas le photographe qui est dur, mais le monde dans lequel les deux protagonistes évoluent. En réalité, ils sont comme l’ombre et le corps : inséparables, n’existant que l’un pour l’autre, et c’est leur destin qui se joue sans cesse dans le huis clos des séances de shooting. Shoebox Studio est un projet majeur parce que les portraits qu’il rassemble nous conduisent du particulier, du psychologique, à la condition humaine contemporaine dans laquelle le besoin d’être vu et reconnu est devenue une aspiration majoritaire un fait de société.
