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Richard et Pablo Bartholomew : Affinités

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Plus de vingt-cinq ans séparent les photographies de Richard et Pablo Bartholomew. Pourtant, les similarités dans leurs sujets et le regard qu’ils portent sur la société indienne sont frappantes. Accueillie par la Maison Européenne de la Photographie, cette exposition interroge les travaux singuliers d’un père et d’un fils.

Si l’attention peut être considérée comme une forme de prière, et l’action de regarder comme une catégorie d’attention, on peut en déduire que le geste de voir continuellement, et sur une longue période, à la fois le moi et l’univers qui l’entoure, est une extension de la grâce. Une grâce qui transcende la complaisance, en faveur d’une expression artistique généreuse, libérée de la peur d’être vulnérable ou transparent. C’est cette grâce qui anime Richard et Pablo Bartholomew dans la pratique de leur art respectif. Installés au départ du parcours d’Affinités, leurs autoportraits respectifs en sont la manifestation évidente. Réalisés à des moments différents, ils attestent également de leurs sensibilités esthétiques, à la fois celles qui leur sont propres et celles qu’ils partagent. Les deux œuvres sont des portraits de jeunes hommes en tant qu’artistes, appliqués à écrire leur présent et composer leurs trajectoires.

Celui de Richard montre un personnage réfléchi, une cigarette allumée entre les doigts de sa main droite. Son poignet gauche repose sur le bureau, entre une mince pile de papiers maintenus par un porte-plume, et les touches de sa machine à écrire, son index posé sur le retour chariot, comme bloqué en plein vol par une pensée. L’image semble cadrée de façon à la fois méticuleuse et spontanée. On voit qu’elle a été construite, que Richard a géré les pans de lumières qui filtrent par la vitre et qu’il a regardé par l’objectif avec intensité pour remodeler sa posture – l’angle de son menton, la direction de son regard, suffisamment bas pour lui donner l’air d’être perdu dans ses pensées, sans pourtant fermer totalement les paupières. Ce que nous sommes invités à voir, c’est un réfugié birman « chez lui », à sa table d’écriture, son havre, occupé à consigner le contexte de son procédé créatif.

En regard de cet autoportrait introspectif se trouve celui de Pablo, au lendemain d’une soirée festive et certainement teintée de drogue. Alors que le père évite de regarder directement l’objectif, le fils préfère un regard direct, frontal, perçant. Il est assis sur le sol, ses mains et ses jambes sont en contact au niveau des genoux. Il occupe le centre de l’image, son corps mince insensible à la présence ou à l’absence de substances dans son sang. On voit derrière lui l’attirail minimaliste généralement associé aux studios de célibataires.

On pourrait lire son portrait comme celui d’un personnage qui avait été choisi entre tous, un fils de réfugiés, né et élevé à Delhi, renvoyé de l’école pour détention de drogue, puis condamné comme un paria. À l’intérieur du cadre se trouve son refuge : la photographie sera son sanctuaire et les histoires marginales qui définissent ses origines et son adolescence viendront moduler la narration qui découle de son regard.

Il est apte que ce parcours en trois volets démarre avec cette juxtaposition – il y en a trente-six en tout. Elles illustrent les goûts esthétiques du père et du fils et posent le décor pour le penchant des deux photographes, attachés à capturer les intimités et la spontanéité des vies autour d’eux, au sein des univers distincts qu’ils habitent chacun. Les associations qui s’ensuivent s’appuient sur cette relation associative et s’interrogent sur les mêmes choses, mais à différents moments, telles des voyageurs du temps. Richard nous donne accès à des intérieurs d’artistes, une galerie d’art après un vernissage, ou l’intimité familière de son salon, avec sa femme Rati, plongée dans sa lecture, et le jeune Pablo avec son frère, assoupis et roulés en boule dans des fauteuils. Il nous montre des tranches de vie urbaine et des éléments d’architecture, sans compter des vues nocturnes d’une beauté exquise. Pablo, lui, nous montre à quel point son monde d’adulte vivait en parallèle de celui de son père. À l’instar de ce qui s’est passé pour la génération de Richard, l’accueil de la modernité ne s’est pas fait entièrement aux dépens des valeurs traditionnelles et sa bande d’amis était encore imprégnée de l’optimisme effusif de la jeunesse indienne à l’époque de l’indépendance.

Au-delà de l’aura immédiate du moi, des amis et de la famille, on découvre que Richard, l’un des plus éminents critiques d’art en Inde, s’est également abondamment consacré à la communauté de réfugiés tibétains au cours des premières années de leur installation en Inde, après leur exil imposé par la Chine. En 1965, le Dalaï-lama crée la Tibet House (maison du Tibet) à New Delhi. Son but est de préserver et diffuser la culture tibétaine, établir un centre d’études tibétaines et bouddhistes ainsi qu’un lieu permettant aux réfugiés de commercialiser leurs objets d’artisanat et leurs tapis. Dès son ouverture, Richard en est le curateur et le responsable et ce, jusqu’en 1973. À ce titre, il dresse lui-même l’inventaire des collections d’objets religieux du Dalaï-lama et les accompagne jusqu’aux États-Unis et au Japon. Il fait du Lama Domo Geshe Rimpoche, ancien directeur de la Tibet House, le personnage central de son œuvre « Travels with the Lama ». Nous assistons à l’engagement sans réserve de Richard auprès de divers camps de réfugiés éparpillés dans la chaîne de l’Himalaya, ainsi qu’aux efforts acharnés de ces réfugiés pour préserver leur culture par l’art, malgré l’exil.

Enfin, on nous mène faire une incursion dans les cultures alternatives de l’Inde des années 1970 : Pablo consigne sa vision des hippies, en commençant par sa série en huit parties « Times is the Mercy of Eternity », lauréate du prix World Press Photo, puis nous livre une abondance d’images de différentes villes indiennes qui faisaient partie du « parcours au chilom » desdits hippies. Ces photos sont accompagnées de scènes prises lors de festivals universitaires ou dans la sinistre pénombre des bouges à opium de Mumbai, avec des clichés peuplés d’habitants déphasés. Le regard porté ne tient pas du jugement, même dans les atmosphères les plus miteuses et pitoyables, car le photographe n’estime pas être au-dessus de ces excès et intoxications. Toutes réalisées avant que Pablo ne s’engage dans une carrière de photographe professionnel à plein temps, les photos de cette série sont marquées par le plaisir de faire des rencontres au hasard ou parmi les nombreux milieux sociaux qu’il fréquentait. La série évoque également le portrait d’une Inde toute autre, une Inde que les mentalités des orientalistes n’étaient pas à même de concevoir, et qui n’avait pas encore été contaminée, ni par l’esclavage inhérent au capitalisme, ni par l’uniformité monolithique de la mondialisation.

 

Rosalyn Dmello

Rosalyn Dmello est auteure et se spécialise en art. Pour lire ses essais, rendez-vous sur : http://porterfolio.net/rosad

 

 

Richard et Pablo Bartholomew, Affinités
6 septembre – 15 octobre, 2017
Maison Européenne de la Photographie
5-7 rue de Fourcy
75004 Paris
France

www.mep-fr.org

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