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Rencontres de Bamako 2022 : Entretien avec Cheick Diallo

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Cheick Diallo est pour la première fois le directeur général de la 13e édition des Rencontres de Bamako. Il revient sur une édition complexe à monter et sur la force de caractère de la biennale.

 

Cheick Diallo, vous êtes designer, architecte de formation et fondateur de l’Association des Designers Africains (AAD). Vous êtes pour la première fois Déléguée général des Rencontres de Bamako. Comment explique-t-on ce passage du design à la photographie ?

La photographie était présente dès mes études dans le cursus de design et d’architecture, et bien sûr, dans le cinéma. En 2019, j’ai réalisé la scénographie de l’édition et j’étais tant impliqué que le gouvernement malien m’a proposé de prendre la direction de la Biennale. C’était auparavant Lassana Igo Diarra. Les Rencontres de Bamako tiennent sur une petite équipe de cinq personnes resserrée et soudée. L’édition 2022 a été conçue par le commissaire d’exposition invité Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, comme l’édition précédente.

 

Comment s’est passée la conception de cette biennale ?

C’était intéressant, mais fastidieux. Intéressant dans la mesure où les choix du commissaire s’étoffent ceux de l’équipe curatoriale. Fastidieux parce que l’organisation de cette biennale s’est trouvée être plus compliquée que les années précédentes. À titre personnel, diriger une biennale, superviser son organisation et concevoir sa scénographie relèveraient dans d’autres cas de plusieurs métiers différents.

Revenons justement sur la scénographie qui me semble particulièrement réussie. Le choix des lieux y joue pour beaucoup, à l’image de l’ancienne gare ferroviaire ou de la Maison africaine de la photographie.

En 2019, nous avions conçu une scénographie un peu trop forte. Elle pouvait faire de l’ombre aux expositions, ce qui n’est pas le but recherché. Mais il fallait marquer le coup pour les 25 ans de la Biennale et l’inscrire dans une autre dimension. On y avait mis notre cœur. Cette année, il m’a semblé bon de laisser sa place, comme il se doit, à la photographie. On a pu nous reprocher récemment d’avoir été aussi sobres. Mais il faut laisser aux visiteurs la possibilité que les œuvres éclatent, qu’ils s’approprient l’espace.

La biennale actuelle tient en sept lieux différents. Organiser une exposition dans la gare ferroviaire de Bamako est un vieux rêve que j’avais. C’est la toute première fois que cela arrive. Nous parlions de notre patrimoine et cet espace-là a pour moi une histoire propre. Elle se situe à côté du Buffet de la Gare, un lieu qui fut longtemps une scène musicale forte, un lieu de rencontres avec les artistes et son public. Quand on était nos mômes, on allait chercher des colis qui venaient du Sénégal et on en profitait pour aller écouter de la musique au Buffet. Pour l’ouverture de la Biennale, le musicien Cheikh Tidiane Seck s’y est produit avec un orchestre de Raï. Et la gare se trouve être une architecture particulièrement forte, avec ses quais, sa galerie tout juste repeinte. C’était le moment. Cette gare est le cœur central de Bamako. Et toute une génération ignore son histoire, car elle ne sert plus. Un de mes neveux ne connaissait pas son existence. Il traverse les rails tous les jours, mais ignore que Bamako a sa gare. Et nous ne voulions pas qu’un commerçant l’achète pour en faire des boutiques.

Un autre lieu des plus surprenants des Rencontres de Bamako est le Lycée des jeunes filles. Il est encore en activité. On y croise ces lycéennes qui sortent de classe.

Il faut cela ! Si on veut réconcilier la photo avec son public, il ne faut pas enfermer les expositions des lieux vides. Aujourd’hui, tout le monde se transforme en photographe, mais se sentir concerné à l’art photographique est un autre pari. Beaucoup de Maliens ne savent pas que la Biennale se passe à Bamako. On la connaît davantage à l’étranger qu’à Bamako. C’est notre mission. Le lycée nous permet de faire de la médiation. Le jour de l’ouverture, j’étais noyée parmi les élèves. Je souhaite que cette cantine devienne un lieu de culture dans un lycée mythique. Ma mère y étudiant. C’est le lycée qui a vu les premiers bacheliers de la ville. Et il se trouve au cœur de Bamako, dans le quartier de la Médina.

 

Comment les Rencontres de Bamako peuvent-elles mieux se faire connaître de son public local ?

Disons que l’occasion fait le larron. Il ne s’agit de ne pas uniquement de faire des expositions, mais beaucoup d’animations et de médiations, des conférences, des rencontres où des photographes expérimentés rencontrent de jeunes photographes. Je tiens à une idée qui sera, si nous en avons les moyens, très forte : projeter tous les soirs sur la façade de la gare les travaux d’un jeune photographe différent. Les sortir de l’état d’observateur à l’état d’acteur.

 

L’avenir des Rencontres de Bamako est-il assuré, dans un contexte géopolitique et financier compliqué – du fait notamment des relations entre le Mali et la France

La Biennale est aussi importante qu’un bol de riz. C’est une respiration pour l’esprit. Nous avons connu beaucoup de soubresauts, mais nous nous en sommes bien sortis. Oui, il y a ce contexte franco-malien pesant. Mais en tant qu’artiste, nous défendons la liberté. Nous sommes plus ouverts et nous pouvons, par ces manifestations, infléchir des positions ou des points de vue. Et la tenue de cette édition a suscité une prise de conscience, un véritable réveil. À titre personnel, je n’abandonnerai jamais. Il faut souligner combien c’est possible de faire une édition après l’autre, de fédérer les énergies. Il faut aussi montrer combien cette biennale est unique au Mali comme en Afrique. Il n’y a pas d’autres événements d’aussi grande envergure au Mali.

L’édition actuelle présente des artistes africains, mais aussi caribéens, asiatiques voire nord-américains. Pour finir, comment pourrait-on résumer l’esprit de cette 13e édition ?

Cette biennale s’est construite sur un esprit panafricain. Elle a une dimension internationale et doit regarder au-delà de l’Afrique, vers ses diasporas, ses communautés qui ont voix au chapitre. Cela permet de ne pas être entre soi, de ne pas verser dans le nombrilisme ou la nostalgie. Les frontières s’estompent avec cette biennale.

 

The Bamako Encounters 2022
https://www.rencontres-bamako.org

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