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Rencontre avec Liu Yue par Marine Cabos

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Liu Yue (né en 1981 à Shanghai, Chine) s’est tout d’abord initié à la peinture, pour se consacrer essentiellement à la photographie une fois son diplôme en poche. Ses œuvres peuvent paraître simples en apparence, mais à y regarder de plus près on remarque qu’elles possèdent une profondeur étonnante, arrivant à métamorphoser et questionner l’essence d’objets du quotidien. Bien que ses séries soient variées, une grande partie témoignent de ses réflexions et de son attention particulière aux notions d’espace, de temps, aux formes et propriétés structurales des objets. Liu Yue manie intuition, réflexion et aime montrer la banalité afin d’en dévoiler son côté magique et de remettre en question notre propre perception des choses. Ce jeune talent a déjà attiré l’attention de quelques institutions culturelles internationales, notamment Paris Photoquai en 2011 organisé par le Musée du Quai Branly.

Marine Cabos : Vous souvenez-vous de votre première expérience avec la photographie ? Qu’est-ce ce qui vous a motivé ?

Liu Yue : Dans le passé, quand les appareils photo n’existaient pas, les gens utilisaient d’autres moyens pour laisser libre court à leur sensibilité artistique. Il y avait par exemple la peinture et la sculpture entre autre. Aujourd’hui les gens n’ont que l’embarras du choix grâce au développement et au progrès réalisés de manière générale. La photographie, même avec ses cent ans d’existence, représente un nouveau médium dont l’aspect est radicalement différent de ce que l’on a pu connaître auparavant. La photographie s’ancre dans la contemporanéité, elle s’oppose aux notions habituelles de déterminisme ou de vitesse, vous pouvez obtenir à peu près ce que vous voyez même si parfois ce n’est pas si évident. Je dirais que c’est un médium rempli de contradictions et de fourberies, qui peut à la fois dissimuler et mettre à jour.
J’ai véritablement commencé à créer des photographies artistiques après l’université, mais jusqu’à maintenant je ne me suis jamais considéré seulement comme un photographe puisque la photographie n’est qu’un composant de mon processus créatif. Cependant, il arrive qu’inconsciemment la photographie apparaisse comme l’unique moyen de m’exprimer, cela se fait plutôt de manière passive, c’est ma passivité qui au final me fait choisir ce médium.

MC : Quelles sont les étapes lorsque vous créez une photographie ?

LY: Je vais expliquer cela à travers un exemple. Avant que de commencer une conversation, on a en tête une vision claire du but à atteindre et des attentes quant au résultat final (sinon il serait impossible d’avoir des questions logiques et rationnelles, ou d’obtenir des réponses claires). Mais dans la pratique on ne sait jamais sur quoi cela va aboutir. Autrement dit, c’est une condition inconnue inscrite dans le temps, une manière subjective d’énoncer un paradoxe prédéterminé. Dans le processus de la conversation, il nous est impossible de savoir quelles seront les conséquences, pourtant il semble qu’avant d’obtenir le résultat réel de notre face à face on essaie toujours de le prévoir. Ce procédé qui nous fait avancer dans une direction inconnue va au delà d’un jugement prédéterminé. Cette quête de la connaissance et de l’inconnaissable, cette sorte de chaos contradictoire, m’intéresse particulièrement.
Quand je créé quelque chose, même si cela provient d’un désir subjectif, je ne peux absolument pas prévoir ce que sera le résultat final, j’ai beau tenter de programmer et de contrôler le résultat est souvent trompeur. L’œuvre finale va s’orienter vers une normalité inconnue, plus naturelle et plus précise. Je souhaite explorer ce genre de concept coercitif ainsi que les choses d’apparences naturelles. Je n’ai pas de plan fixé clairement qui pourrait me donner une ligne directrice stable et suffisante, mon processus créatif consiste simplement à exprimer de manière formelle les difficultés ou les problèmes auxquels je fais face. Peut-être que je créerai cette œuvre de telle manière et une autre d’une autre manière, cela dépend. Je n’ai pas envie que mes travaux reposent sur des méthodes vraiment certaines ou fiables.
Je trouve mon inspiration à travers les objets du commun. Je tente de dévoiler leur essence, elle-même conditionnée par un temps donné. Dans de telles conditions prédéfinies, je m’efforce de ressentir ces choses importantes et pourtant si insignifiantes. Regarder sans détour un objet permet aussi de révéler à l’audience d’autres choses d’apparence banale. Cette banalité au fur et à mesure va être accentuée et donner davantage d’information, elle ne devient alors pas si ordinaire que ça. Peut-être qu’il s’agit simplement de l’apparence réelle des choses dans leur condition naturelle.

MC : Explorez-vous dans votre série Echo (2011) les diverses définitions du mot ou est-ce plutôt une exploration de notre propre perception des choses? Que vouliez-vous exprimer à travers cette série ?

LY : Je souhaitais sans doute exprimer quelque chose d’abstrait allant au-delà des expériences sensorielles. Je considère « écho » au sens littéral du terme, possédant une définition très claire, et qui nous fait penser à des choses d’apparence banales que l’on peut voir en temps normal. Mais au fond quelles sensations nous donne le mot « écho » ? Qu’est-ce que ce mot signifie en soit ? Nous n’en savons rien en réalité. Nous le comprenons comme un phénomène, par exemple lorsqu’un son se répercute d’un objet ou d’un mur. De ce fait, nous pensons que ce son une fois reflété est la création de celui qui l’a produit, alors qu’en réalité c’est l’espace qui nous entoure qui le crée, et nous n’avons aucune idée de ce qu’il signifie. Il s’agit simplement d’un phénomène qui se présente devant soit et dans un espace, une force à la fois mystérieuse et naturelle, inévitable et inconnue. Donc la préface de l’exposition n’est qu’un rappel de ce que les gens interprètent comme étant un « écho », j’essaie de faire que le spectateur change cette vision univoque des choses.
Dans cette série, vous remarquerez que tous les objets manifestent un certain vide, voire le néant. Ils ne possèdent ni matérialité, ni qualité, ni temporalité. Par exemple, des couvertures faites de satin et de soie apparaissent dans certaines œuvres, d’un point de vue matériel elles semblent belles, douces, et sont supposées ne pas pouvoir supporter le poids d’une chose lourde. Pourtant, c’est comme si elles se transformaient en une forme n’ayant aucun rapport avec le matériau originel, comme une sorte de chevron imposant, réfutant donc ce que les gens jugeaient comme qualités intrinsèques de l’objet. Les sphères au-dessus manquent de caractéristique et de valeur, certaines ne sont que la subtile empreinte laissée par la surface d’une sphère préalablement polie, fine et délicate. D’un point de vue général, ces œuvres semblent atemporelles puisque le cadre n’indique aucun élément historique ni de la vie de tous les jours, ce qui crée quelque chose d’indescriptible, dépourvu de signification, d’ordre, et dépassant l’entendement. Ce qui est intéressant, c’est que ces couvertures, ces sphères, ces cadres entre autres viennent tous du monde réel, mais ils ont été abstraits de leurs contextes initiaux pour devenir quelque chose d’apparence contradictoire et vide.
C’est comme si l’on voyait la composition de ces objets avec une lumière magnifique et ancienne, qui nous permet d’aller au delà de ce que nous connaissons et d’admirer leur véritable beauté. C’est comme quand on nous dit qu’on est un homme ou une femme, on va ensuite partir de cette supposée vérité pour tout juger. Une fois qu’on se détache de ces définitions habituelles, on peut alors vraiment se demander qui on est. Peut-être que ces définitions ont une certaine correspondance avec les apparences et phénomènes extérieurs, mais au moins ce détachement aura aidé à voir clairement l’essence de tout un chacun.
Il y a, dans l’apparence de ces œuvres, de nombreuses choses contradictoires et surréalistes. Lorsque l’on regarde attentivement, on se rend compte que le point de contact entre tous ces objets est infime et que ce qui apparaît comme un support plausible est en fait contre-nature. Il semble difficile d’imaginer que ce genre de matériaux puisse apparaître de la sorte. Tous les liens entre ces objets, y compris leur relation avec l’espace, ont été purifiés et retravaillés, ils sont uniques. C’est comme si nous pouvions nous débarrasser des nos préjugés afin de regarder des choses abstraites de la réalité, afin de leur faire face avec une approche plus naturelle, elles n’en sont que plus belles et vibrantes.

MC : Est-ce « minimalisme » serait un terme correct pour qualifier votre approche ?

LY: Le terme minimalisme ne peut pas définir toutes mes œuvres. D’un point de vue historique, ce terme tout d’abord ancré dans le modernisme est passé dans le postmodernisme, sa définition reste très vague et correspond à une période spécifique. A l’époque, il s’agissait d’insister sur la forme et d’aller au delà des choses. Par la suite, tout le monde espérait vivement que le postmodernisme allait proposer certes une continuité mais surtout une conclusion à ce concept. En découlèrent de nombreuses définitions et compréhensions biaisées. Maintenant notre monde actuel est toujours postmoderne, ce qui cause un grand paradoxe puisque nous utilisions des approches modernistes pour juger des phénomènes postmodernistes. Pour regrouper les artistes ayant les mêmes pratiques, il faut passer par des milliers de définitions de divers styles d’art, par exemple l’op art et de l’art moderne occidental ont largement influencé le Mono-ha japonais. C’est très intéressant car cela me donne la fausse impression que tout jusque ici a été basé sur de fausses idées, et penser de la sorte est au final assez postmoderniste. Toutefois, il paraît difficile d’approuver une connaissance lorsqu’elle résulte de fragments mis bout à bout.
Selon moi, ce que contient ou reflète l’apparence d’une œuvre n’est qu’une forme latente d’une expérience personnelle. Peut-être que cela tient de la pensée philosophique orientale, du postmodernisme, ou encore des esthétiques anciennes, il n’empêche que cela ne pourra jamais être défini pas un « -isme ». C’est comme si après la découverte d’une variété de plante avec des feuilles gigantesques, on prenait l’habitude de mettre dans le même moule toutes les autres plantes avec le même type de feuille, alors qu’en fait la deuxième n’a rien à voir avec la première.

MC : Quels sont vos projets à venir ?

LY: J’aurai toujours l’occasion de faire des expositions par-ci par-là, mais c’est toujours à peu près la même chose et leur utilité n’est pas souvent évidente. J’ai envie de réutiliser les concepts de mes anciens travaux mais de manière plus rationnelle et perfectionnée. J’ai déjà pas mal d’œuvres et plein de projets de grande dimension que j’aimerais réaliser, pour ensuite pouvoir les exposer de manière claire car les gens se font souvent une fausse idée de mon travail. Bien que cela n’ait parfois pas vraiment d’importance, la formulation et la présentation font aussi parties de la magie de l’art. C’est pour cela que je souhaite aussi pouvoir écrire davantage sur ce que je fais, écrire un livre par exemple. Je ne négligerai pas les autres médiums bien entendu.
De plus, j’espère trouver un espace qui corresponde véritablement à mes travaux. Ce n’est pas vraiment d’actualité, cela serait juste dans l’idéal. Je pense que l’œuvre immédiatement après avoir été créée peut avoir un impact sur le spectateur, et construire ce genre de ressenti est très important. J’espère que je pourrai montrer des travaux qui seront encore plus parfaits et extrêmes.

Marine Cabos

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