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Photographier Gabriel García Márquez

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Ce tendre compte-rendu des diverses occasions auxquelles le peintre et photographe grec Dimitris Yeros a fait le portrait du formidable auteur colombien Gabriel García Márquez, inventeur du concept littéraire de “Réalisme magique”, suscite plusieurs pensées.

Je n’ai jamais rencontré García Márquez, mais je connais bien la ville côtière de Carthagène mentionnée dans l’ouvrage. Je suis également allé à Mexico, où l’auteur a passé les dernières années de sa vie. Carthagène sert de décor à l’un des meilleurs romans de Gabo, L’Amour au temps du choléra, et il est impossible d’errer dans ses rues, parmi les anciens immeubles coloniaux, sans penser à lui.

Cette série de photos-portraits évoque toutefois un autre type de magie, celle du médium photographique. Dimitris Yeros explique dans sa postface qu’une série de photos comme celles-ci, qui représentent un génie, sont, lorsqu’elles sont réussies, une alchimie fugace. Elles nous disent non seulement à quoi ressemblait le grand homme – ce qu’était sa présence dans le monde matériel qu’il a habité en compagnie du photographe – mais transmettent aussi une aura.

Avant l’invention de la photographie, il était très difficile pour les portraitistes de la tradition européenne de transmettre l’essence de leurs sujets. Nous sommes aujourd’hui dépourvus de corrélat objectif nous permettant de mesurer le degré de leur succès. Parfois, notamment dans le cas des grands autoportraits, comme ceux que Rembrandt a réalisés au cours des dernières années de sa vie, nous sentons que l’image doit être en effet triomphalement « ressemblante ». Mais nous ne pouvons jamais en être certains. Il existe très peu de portraits convaincants des grands écrivains de l’époque d’avant la photo. Par le terme « convaincant », je désigne des images qui nous donnent l’impression d’avoir réellement rencontré la personne concernée.

La photographie a changé cela, de plus en plus à mesure que la technologie est devenue plus commune. Elle peut nous dire, avec une exactitude remarquable, à quoi ressemble une personne en particulier à un moment donné – depuis l’enfance jusqu’au vieil âge. Ce qu’il nous faut toutefois encore, c’est l’empathie dont fait preuve le photographe, celui qui tient l’appareil, envers son sujet. Nous savons tous que de nombreux portraits photographiques s’avèrent totalement opaques. Ils montrent quelque chose, mais ne disent rien.

C’est un livre fascinant, parce qu’il montre certains aspects de l’un des plus grands auteurs de notre époque. Chaque représentation est légèrement différente des autres. Chacune est l’avatar d’une personnalité complexe, assez complexe pour se cacher à la vue de tous. On pourrait même aller jusqu’à dire que chacune est une tendre trahison.

Je suis presque sûr que ceux qui tourneront ces pages auront l’impression de se regarder eux-mêmes, pas une fois, mais plusieurs. L’important dans le “Réalisme Magique” en littérature, c’est qu’il cherche à montrer non seulement la réalité extérieure, mais aussi l’opération d’une sorte de royaume intérieur, rattaché à la réalité mais qui d’une certaine façon la transcende.

C’est ce que font ces portraits, grâce à la magie de l’objectif.

Edward Lucie-Smith

Edward Lucie-Smith est un écrivain anglais, poète, critique d’art, conservateur et journaliste.

 
Dimitri Yeros : Photographier Gabriel García Márquez
Publié par Kerber
45 $

www.kerberverlag.com

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